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Alexandre Villaplane, de capitaine des Bleus à la Gestapo

Le 13 juillet 1930 l’Équipe de France ouvre la toute première Coupe du monde en Uruguay par une victoire 4-1 sur le Mexique. Capitaine des Bleus depuis le début de l’année, le défenseur Alexandre Villaplane fait figure de cadre avec ses 23 sélections depuis 1926 et vit le sommet de sa carrière sportive. Plus dure sera la chute…

Alexandre Villaplane

Le temps des succès


Né en 1905 à Alger, il débarque en métropole avec son oncle, à Sète, à l’âge de 16 ans. Surdoué, surclassé pour l’occasion, il fait ses débuts dès l’année suivante en équipe première du club local, l’un des clubs phare du football français : à une époque où le championnat de France n’existe pas encore, le FC Sète remporte chaque année la Division d’honneur du Sud-Est depuis sa création et n’a pas d’égal dans le sud de la France. Bien qu’encore junior, Villaplane participe à l’épopée qui amène le club en finale de la Coupe de France 1923 mais ne dispute pas la finale perdue contre le Red Star de St-Ouen (2-4) au stade Pershing à Paris.

Auteur de performances remarquables, il est remarqué par la Fédération et connaît sa 1e sélection en équipe de France en 1926 contre la Belgique et s’impose immédiatement comme un titulaire indiscutable qui va l’amener à participer aux JO d’Amsterdam (1928). Pour des résultats pas toujours très heureux. Après une escapade au SC Nîmes en échange de la promesse d’un emploi fictif de représentant généreusement rémunéré, puis un bref retour à Sète, il signe au Racing Club de France. Sous la direction d’un nouveau président, le club parisien a décidé d’investir pour rivaliser avec les meilleurs clubs que sont Sète, Marseille ou le Red star. L’amateurisme « marron » qui permet aux joueurs de toucher d’importantes sommes d’argent sans que cela ne soit déclaré fait que les joueurs qui savent y faire profitent largement de la situation. Le professionnalisme n’est pas encore de mise mais Villaplane ne se cache pas de gagner des fortunes, qu’il dépense dans les bars, les cabarets, et surtout dans les courses de chevaux. C’est d’ailleurs là qu’il commence à se faire de peu recommandables fréquentations. Animé par son moteur, l’argent, depuis sa jeunesse, Villaplane trouve à Paris le plus beau des terrains de jeu, hors-stade.

Après une défaite en finale de Coupe de France face à Sète, ironie de l’Histoire (il ne remportera jamais l’épreuve), il prend la route de l’Uruguay pour y disputer la première Coupe du monde en tant que capitaine. Il est vrai qu’il fait figure d’ancien du haut de ses 22 sélections (seul lui et le gardien Thépot dépassent les 10 capes). Avec deux défaites, les Bleus sont éliminés dès les poules par l’Argentine. Il ne s’en doute pas, mais plus jamais il ne reportera le maillot frappé du coq, car sa carrière va prendre un tour bien lamentable, précisément en raison de son goût pour l’argent facile.


Une fin de carrière difficile


Il redescend dans le sud en 1932 lors de la création du Championnat de France professionnel. De la capitale, il ramène la passion des courses et de solides relations parmi les gens du milieu. Il succombe d’abord aux sirènes d’Antibes mais est contraint de quitter le club après un scandale de match truqué ; passé ensuite à l’OGC Nice, il enchaîne les absences à l’entraînement et les piètres performances. Dans l’Éclaireur de Nice et Sports du Sud-Est, on critique son manque de combativité, sa vie facile, et sa passion pour les courses de chevaux. Sa réputation dans le milieu du football français est désormais terrible, plus personne ne veut de lui. L’OGC Nice est relégué en Division 2 et Villaplane, une fois de plus, est contraint de partir.

Il tente de rebondir à l’Hispano-Bastidienne de Bordeaux, en D2, où l’entraîneur mythique Victor Gibson lui offre une dernière chance. Mais l’expérience, une fois de plus, tourne au fiasco, car il ne terminera même pas la saison. Au bout de trois mois, il est licencié pour ses absences répétées. Nous sommes en 1935 et ses 25 sélections en équipe de France ne sont déjà qu’un lointain souvenir. Villaplane est perdu pour le football. Ses seules apparitions dans les journaux se font désormais dans les pages des faits divers. La saison 1934-35 n’est même pas encore terminée qu’il est condamné à 6 mois de prison pour tentative d’escroquerie dans une affaire de paris truqués dans les hippodromes de Paris et de la Côte d’Azur. C’est la fin, brutale, de sa carrière sportive…


Du grand banditisme à la Gestapo


Dès la fin de sa carrière, Villaplane plonge définitivement dans le grand banditisme, ce qui lui vaut jusqu’en 1940, des séjours prolongés à la prison de la Santé. C’est là qu’il se trouve lorsqu’il est libéré par Henri Lafont, dangereux multirécidiviste qui a choisi le parti de la collaboration avec les Allemands pour s’assurer l’impunité. Celui-ci recrute une bande de repris de justice pour mettre Paris sous sa coupe. La bande de Bonny et Lafont, dite de la Gestapo française, est née. Sa devise : « Ni communistes, ni fascistes mais pognonistes. »… Arrestations, perquisitions, détentions s’opèrent sans aucun contrôle de l’autorité allemande qui ne s’immisce pas dans les affaires de ces Messieurs et qui ne prend en charge que les malheureux que Lafont consent à lui livrer. Pillage des biens juifs, récupération d’or, des bijoux de valeur, chasse aux patriotes, luttes contre les maquisards sont les moindres actions de cette équipe de tueurs à la solde des Allemands qui les chargent des hautes et basses œuvres de leur justice, enlèvements, tortures, exécutions, disparitions des traces de crimes. Des milliers de patriotes passeront par les locaux du 93 rue Lauriston et y seront torturés, voire carrément assassinés. La chasse aux valeurs est des plus motivantes, car très lucrative pour les permanents. Villaplane n’est pas le moins zélé de la bande.

Il prend du galon en février 44 lorsque Lafont crée la Brigade Nord Africaine, force supplétive de l’Armée allemande formée de 300 membres d’origine nord-africaine recrutés à Barbès ou Belleville contre la promesse d’une bonne solde et de l’impunité pour les exactions commises. Villaplane commande l’une des 5 sections, avec le grade et l’uniforme de SS-Untersturmführer (sous-lieutenant SS). La section de Villaplane arrive à Périgueux, en Dordogne, le 14 mars 44 et est immédiatement mise à disposition du chef de la Gestapo en Dordogne, le brutal Michaël Hambrecht, pour lutter contre les partisans, très actifs dans le département. Elle défile aussitôt dans les rues de la ville, sous les yeux d’une population périgourdine pour le moins interloquée à la vue de cette étrange unité qui lui semble présager le pire pour les jours et les semaines à venir. Le travail de terreur commence aussitôt : des coups de mitraillette sont tirés sur les boulevards, et les promeneurs sont poursuivis dans les rues attenantes durant une demie heure. L’arrivée de ceux que les Périgourdins allaient nommer les « Bicots » va entraîner une période d’exactions sauvages et mettre la Dordogne entre les mains d’une bande de voyous et de criminels protégés par les autorités allemandes et face auxquels l’administration de l’État de Vichy va être incapable de réagir.

On peut suivre le parcours sanglant de cette bande sanguinaire au travers de multiples massacres, à commencer par ceux de Brantôme (26 otages exécutés) ou de Mussidan (52 otages exécutés), où il s’illustre personnellement en exécutant 10 otages de ses mains, dont un enfant de 13 ans. Bien plus qu’une unité de répression chargée de lutter contre la Résistance, la BNA est une entreprise terroriste, qui constitue l’instrument de terreur de la Gestapo sur les habitants du département. Durant les 5 mois de sa présence en Dordogne, la brigade emploie une violence extrême pour débusquer, voler, violer et assassiner les Français soupçonnés à tort ou à raison de résistance au régime nazi.


Peloton d'exécution pour le "Lieutenant Alex"


Mais à l'été 1944, le vent tourne. Paris lutte pour sa libération, et Villaplane est arrêté le 24 août 44 durant les combats. Au cours de son procès, de nombreux témoignages viennent accabler l'ancien capitaine des Bleus :

"Ils arrachaient les bijoux des cadavres et j'ai vu les poches pleines de bagues dégoulinantes de sang. C'est le lieutenant Alex qui les commandait, il se pavanait dans un uniforme allemand, saluait à l'hitlérienne et traversait Périgueux dans une Citroën criblée de balles, il l'avait volée aux maquisards et s'en glorifiait."

Devant de telles preuves, le procès tourne court. Au petit matin du 26 décembre 1944, il est fusillé au fort de Montrouge avec toute la bande. Ironie du sort, le fort de Montrouge, où il est exécuté, est situé en face du vieux stade Buffalo, où il affronta l’Irlande du Nord en 1928 avec le maillot bleu, avant qu’il ne passe du côté obscur de la force, mû par son goût de l’argent facile…


Frédérik Légat

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