Alors que l'on pense bien souvent que son émergence date du début du XXIème siècle, le football féminin a en réalité une histoire presque aussi vieille que son homologue masculin. Ainsi dès le début du XXème siècle, des rencontres opposant des équipes féminines étaient capables des dizaines de milliers de spectateurs ! Retour sur les prémices d'une histoire pas comme les autres.
Hommes au front, femmes aux ballons !
28 juin 1914. L’assassinat du prince François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, met l’Europe à feu et à sang. A cause du jeu des alliances, la majorité des pays du Vieux Continent se déclarent tour à tour la guerre. La France ne fait pas figure d’exception et décrète la mobilisation générale. Les hommes partis au front, le pays à besoin de main d’œuvre à l’arrière pour faire tourner le pays. Pour la première fois, ce sont donc les femmes qui se dirigent par milliers dans les usines afin de prendre la place de leurs soldats de maris. Accédant à une indépendance qui leur avait toujours été refusée jusqu’ici, certaines femmes vont prendre goût à cette nouvelle liberté et vont se tourner vers une catégorie de sports qui leur était inaccessible jusque-là : les sports athlétiques.
Pourtant, dès 1912, un club omnisports féminin appelé Femina Sport avait vu le jour à Paris afin de faire bouger les choses. Avant le déclenchement des hostilités de 1914, ce club avait réussi à mettre un pied dans l’athlétisme grâce à quelques têtes d’affiche figurant parmi les fondatrices du club. On relèvera les noms de Suzanne Liébrard, spécialiste de la course de haies et des épreuves de saut ainsi que celui des sœurs Jeanne et Thérèse Brulé, respectivement spécialistes du sprint et du saut en hauteur. En ce début de siècle, Liébrard et les sœurs Brulé font figure de véritables pionnières. En effet, si les jeunes femmes pratiquaient déjà de plus en plus le sport depuis quelques temps, les médecins et dirigeants du milieu sportif avaient imposé un cadre très strict à cette pratique. Ainsi, les femmes devaient faire de l’exercice pour être en bonne forme physique mais leur activité devait développer la grâce, la souplesse et non les muscles. Les sports athlétiques leurs étaient donc refusés, sous prétexte que la charge physique imposée pourrait dégrader la santé de la femme, bien le plus précieux dans une société où le rôle de celle-ci est d’avoir des enfants.
Motivées par leurs premiers succès dans l’athlétisme et de plus en plus libérées des interdits masculins, les jeunes femmes du Femina Sport vont se tourner vers le sport athlétique qui est en train de devenir le plus populaire de son temps : le football. La toute première rencontre relevée a lieu le 30 septembre 1917. Ce jour-là, les licenciées du Femina Sport se divisent en deux équipes, l’une emmenée par Suzanne Liébrard l’autre par Thérèse Brulé. La rencontre, disputée "avec grand entrain" d'après le journal L'Auto se solde par une victoire 2-0 de l'équipe de Thérèse Brulé. Emballées par ce nouveau sport qui s'ouvrent à elles, la cinquantaine de sociétaires du Fémina Sport décide de renouveler l'événement et vont multiplier les matchs. Mieux, leur succès fait des émules un véritable championnat féminin est mis en place, championnat au sein duquel Reims, Quevilly et Paris jouent les premiers rôles.
Le premier âge d'or du football féminin
Dans la foulée de ces débuts prometteurs, le football féminin va connaître un court âge d’or aussi bien en France qu’en Angleterre. De l’autre côté de la Manche, la Fédération Anglaise prend en charge l’organisation des compétitions et le football britannique s’est trouvé sa nouvelle équipe vedette avec les Dick Kerr Ladies de Preston. Créée par un industriel anglais, cette équipe a notamment disputé un match de charité devant près de 10 000 personnes à Noël 1917. Ce chiffre montre que le football féminin connaît un certain succès. Intrigués par cette nouvelle tendance, près de 25 000 spectateurs se pressent à Manchester en avril 1920 pour assister à un match entre les Dick Kerr Ladies et une sélection français. Pour le retour à Roubaix en novembre de la même année, la rencontre attirera 12 000 curieux, un chiffre supérieur à la finale de la Coupe de France masculine de cette année-là (8000 spectateurs) !
La mise à mort du football féminin
Néanmoins, malgré ces années de gloire, le football féminin va rapidement décliner. A l’instar des autres franges de la société investies par les femmes pendant la guerre, le milieu du football va adopter une attitude réactionnaire vis-à-vis de cette « intrusion » des femmes. Ressortant les vieilles théories concernant les conséquences néfastes pour la santé des femmes et critiquant l’absence de niveau du football féminin, les dirigeants et journalistes de l’époque vont mettre à mort celui-ci. Ancien joueur devenu particulièrement influent à la Fédération Française de Football, Gabriel Hanot refuse par exemple de soutenir le développement du football féminin, déclarant purement et simplement que "le jeu ne vaut rien". Critiqué de toute part, le football féminin est interdit en Angleterre dès décembre 1921 tandis qu’en France, la Fédération des Sociétés Sportives Féminines de France qui s’occupait de l’organisation des compétitions délaisse le football féminin à partir de 1932. Retombé dans l’anonymat, il sera définitivement prohibé par le régime de Vichy en 1941.
Quarante ans de perdus !
De retour à partir de la fin des années 60, le football féminin a connu une véritable accélération dans son développement depuis une vingtaine d’années. En France, grâce notamment à l’action de présidents novateurs tels que Jean-Michel Aulas ou Louis Nicollin, il a obtenu de véritables succès sur la scène européenne, bien loin des médiocres résultats obtenus par son homologue masculin. Même si des progrès doivent encore être effectués, le succès populaire de la Coupe du Monde 2019 organisée en France démontre que le football féminin suscite lui aussi l’intérêt du public, comme cela avait déjà été démontré il y a plus de 100 ans…
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