Assiégés par le Reich pendant 872 jours au cours de la Seconde Guerre Mondiale, les habitants de Leningrad ont connu la misère, le froid et la faim. Toutefois, même dans ce quotidien marqué par les décès et les bombardements, le ballon n'a pas cessé de rouler...
Leningrad et la "Route de la Vie"
8 septembre 1941, Leningrad. Alors que l'armée soviétique reculait inexorablement depuis le lancement de l'opération Barbarossa trois mois plus tôt, les soldats d'Hitler sont cette fois arrivés aux portes de Leningrad, ex-capitale de l'Empire Russe. Encerclée par les Allemands au Nord et les Finlandais au Sud, la ville n’est plus reliée au monde que par le lac Ladoga. Si la résistance s'organise tant bien que mal, la vie quotidienne des 3 millions d’habitants devient immédiatement un enfer : la nourriture est rationnée, l'électricité est coupée, les tramways cessent de fonctionner en novembre 1941, il n'y a plus de lumière ni de chauffage, alors que les températures descendent jusqu’à à - 40°C l’hiver. Dans ces conditions, le ravitaillement en vivres et en énergie par le lac Ladoga, indispensable « Route de la vie », sera la priorité n°1 durant les 872 jours du siège. Possible par navigation jusqu’en novembre, celui-ci est assuré par traîneaux et camions l’hiver pour les vivres, tandis qu’un oléoduc et une ligne électrique de 29 km de long sont déposés au fond du lac à l’été 42. Cette « Route de la vie »sera aussi, pour beaucoup, la « Route de la mort », tant ce mince lien vers l’extérieur est rendu dangereux par les bombardements allemands ou la fonte des glaces qui engloutit des convois entiers lors du dégel.
Le plus long siège de la Seconde Guerre Mondiale
Les Allemands, peu confiants en leurs capacités de conquérir Leningrad par une attaque généralisée décident de maintenir le siège, espérant ainsi que le froid et la faim aient raison de la population de la ville. Pour cela, ils s'efforcent de couper l’unique ligne d’approvisionnement qui subsiste, cette « Route de la vie ». Une stratégie efficace. Malgré l’évacuation d’un million de personnes durant la durée du siège, les rations alimentaires sont réduites constamment pour tomber à 250 g de pain et 1 067 calories par jour pour un ouvrier spécialisé et à 125 g de pain et 644 calories pour un enfant. Encore, ce pain contient-il moins de 40% de farine, le reste étant une mixture composée de malt et de sciure. Les soldats sont nourris correctement le plus longtemps possible, mais durant les dernières semaines de l'année 1941, alors que la « Route de la vie » n’est pas encore pleinement opérationnelle, les rations sont à peine suffisantes. La terre est tellement gelée par le froid et la neige que les morts ne sont plus inhumés mais abandonnés près des cimetières, enveloppés dans des draps et généralement enterrés dans des fosses communes creusées à la dynamite, ce qui laisse libre cours à de nombreux vol de chair humaine sur des cadavres gelés ou à plus de 1 200 assassinats pour des cartes de rationnement. Au final, plus de 1 500 000 Soviétiques périront durant ce siège, le plus long du conflit mondial, dont plus de 1 million civils, la plupart morts de faim, malgré une légère augmentation des rations à partir de janvier 42.
D'un point de vue militaire, la défense de la ville est assurée sur les deux ceintures défensives par 3 armées fortes de 75 divisions au total, parmi lesquelles des divisions d’infanterie de milice formées de volontaires civils à la valeur combattive très limitée, tandis que les non-combattants participent à l’édification des défenses. Le destin des footballeurs de la ville n’est pas différent de celui du restant de la population : ceux du Spartak, militaires, sont envoyés au front ;ceux du Dynamo, policiers, participent à la défense de la ville ; ceux du Zénith, ouvriers, sont évacués avec leur famille à Kazan et travailleront jusqu’à 12 ou 14 heures par jour dans les usines.
Le football malgré tout ?
En mai 1942, alors que la "Route de la Vie" permet une légère amélioration du quotidien des assiégés, un câble électrique jeté au fond du lac Ladoga permet à certains tramways d'enfin refonctionner. Dès lors, le football peut reprendre ses droits et un championnat local, limité à 6 équipes, est annoncé dans la ville. Toutefois, sur ce point, les sources manquent de clarté. Il apparaît cependant fort probable que ce championnat, annoncé à grands renforts d’affiches et de retransmissions radiodiffusées, n’a jamais existé que dans la tête des propagandistes du parti communiste de Leningrad. Il est aujourd’hui quasiment certain que ces « directs », commentés par le major Mikhaïl Okun, l’entraîneur du Dynamo Leningrad rappelé exprès des premières lignes, retransmettaient des matchs qui n’eurent jamais eu lieu. Peu importe, l'objectif était ailleurs : le football étant un signe de vitalité, il était essentiel que les Allemands croient que l’on joue encore au football dans la ville martyre.
Coup de tête et baume au cœur
Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le 31 mai 1942, au cours d’un « festival sportif » est organisé un match de football entre le Dinamo Leningrad (2e lors de l’interruption du championnat en juin 41) et le Zenit (11e à la même date). En raison des conditions extrêmes, la rencontre doit cependant subir des aménagements. Initialement programmée sur le stade du Dinamo, celle-ci doit être déplacée en raison de l'état pitoyable de l'enceinte, usée par les bombardements. Finalement, le match a lieu sur un terrain annexe sur l’île Krestovsky devant à peine 100 spectateurs, dont beaucoup de blessés d'un hôpital situé à proximité immédiate du terrain. La durée des périodes est réduite à 30 minutes, tant les joueurs manquent d’entraînement et sont faibles. Enfin, beaucoup d’ouvriers du Zenit ayant été évacués, les adversaires du Dinamo sont renforcés par plusieurs joueurs du Spartak (12e du Groupe A à l’arrêt du championnat), revenus des lignes de défense grâce à une permissions spéciale ; pour compléter, on a fait appel à quelques ouvriers de la grande usine de métal de la ville, Nevsky Zavod.
La légende raconte qu’un joueur du Zénit hospitalisé pour dystrophie avait obtenu une permission spéciale pour disputer ce match. Totalement à bout de forces, celui-ci s’écroula sur le terrain, assommé après avoir joué le ballon de la tête. À la pause, aucun joueur n’accepte de s’asseoir, de peur de ne pas arriver à se relever. Mais l’essentiel est que ce match, disputé par une belle journée ensoleillée, soit bien allé à son terme, avec un score anecdotique de 6 à 0 en faveur d’une équipe du Dinamo en meilleure forme (les soldats disposaient d’une ration normale). Evénement banal en temps de paix, l'organisation de ce match est une véritable bulle d'air pour la population mais aussi une aubaine pour la propagande russe qui ne va pas se priver de le relayer.
Si un second match est organisé, même lieu même heure, la semaine suivante, nous disposons de moins de sources pour cette rencontre ; nous savons néanmoins que, interrompu par un bombardement, le score en restera à 2-2.
Héros de propagande
Par la suite, comme « récompense » à leur participation au réconfort de la population, les joueurs du Dinamo seront évacués vers Moscou, où ils pourront affronter les équipes locales, puis participeront à une tournée de propagande à travers tout le pays. Ils pourront reprendre la compétition lors de la reprise du Championnat d’URSS en 1945.
Très partiellement brisé en janvier 43 par une offensive de l’Armée rouge qui rétablit un contact terrestre avec la ville, le martyre de Leningrad ne prendra fin qu’en janvier 1944. En 872 jours de siège, les Soviétiques ont perdu 1,8 million des leurs (dont environ 1 million de civils), tandis que les forces de l’Axe (allemands, Finlandais, Espagnols) en ont perdu 200 000. Le football, par le soutien moral qu'il a apporté à la population, a joué son rôle dans la résistance acharnée menée par les soviétiques. Récupérée par la propagande russe, l'histoire du football à Leningrad demeure entourée de nombreux mystères. Toutefois, son souvenir reste bien vivace. Aujourd’hui encore, au Musée de la Défense et du Blocus de Leningrad, à Saint-Pétersbourg, on peut observer une caricature se référant à cet épisode. Sur ce dessin, un footballeur du Dinamo transperce avec un ballon une affiche du IIIe Reich se vantant de démoraliser les habitants de la ville, le ballon terminant même sa course dans le visage d’un personnage tout de noir vêtu….
Par Frédérik Légat
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