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Le jour où le LOSC recruta un faux vice-champion du monde.

Dernière mise à jour : 25 févr. 2022

En 1954, le LOSC, au sommet du football français depuis près de 10 ans pense toucher le jackpot lorsque le vice-champion du monde hongrois József Zakariás vient lui proposer ses services... ou presque !


Ladislav Vereb, champion du monde ... des escrocs !

Un Hongrois dans la ville


Juillet 1954. Le LOSC, meilleure équipe française de l’après-guerre prépare une nouvelle saison avec sérénité. Tout auréolé de son doublé coupe-championnat lors de l'exercice précédent, le club nordiste a de quoi voir venir et s'annonce comme le principal candidat à sa propre succession.... avant que le président Henno, le principal artisan de ces succès, ne commette une erreur qui va mettre à mal un club si puissant. Comme nous le savons tous, le Onze d’or hongrois mené par Puskás, Kocsis, Hidegkuti, Czibor et consorts, perd contre toute attente la finale de la Coupe du monde en Suisse le 4 juillet 1954 contre la RFA. Ce que nous savons moins, c’est que le 28 juillet 54, à 2 h du matin, un homme, après une longue marche, arrive à Lille. Quelques heures plus tôt, à la frontière franco-belge de Rekkem, ses papiers ont été contrôlés : ils sont en règle. Arrivé sur le territoire français, notre homme se renseigne auprès d’un facteur puis se présente au café du président des supporters du LOSC, Gaston Davidson. Cet homme, c’est József Zakariás, le défenseur du Onze d’or hongrois, vice-champion du monde le mois précédent, joueur du Vörös Lobogó SE (nouveau nom du MTK Budapest) qui vient de fuir son pays. Décidé à poursuivre sa carrière de footballeur, il propose tout simplement ses services au LOSC ! Aussitôt emmené au siège du LOSC par Davidson, il est présenté au président Henno qui manque de s’étrangler. Celui-ci boit les paroles de la star hongroise. Et ce n'est pas fini puisque Zakariás lui annonce que ses coéquipiers József Tóth et Zoltán Czibor sont en route : ils ont pris un caboteur transportant du charbon aux Pays-Bas, et s’apprêtent à débarquer à Dieppe. Ni une, ni deux, Louis Henno appelle l’entraîneur de Dieppe et lui demande de récupérer les joueurs afin de les aiguiller aussi vers Lille ! Avec ses trois internationaux hongrois, le président lillois s'apprête à frapper un coup sans précédent sur le marché des transferts !


Tournée des bars


En attendant ses deux autres vedettes, Henno chouchoute son nouveau joueur : tournée des meilleures brasseries, logement dans un hôtel de luxe, passage dans des boutiques de vêtements, recherche d’un appartement, versement d’un peu d’argent de poche. Il s’agit d’offrir un accueil digne du standing d’un récent finaliste de la coupe du monde. Le samedi 31 juillet une conférence de presse théâtrale présente le Hongrois comme la nouvelle recrue du club ; ça tombe bien, le Néerlandais Van Der Hart, qui joue au même poste, ne veut pas revenir, à moins qu’on ne l’augmente de 10 000 francs, ce qu’Henno refuse ! Interrogé par la presse, le nouveau venu roule des mécaniques, se vante de ses exploits, passés et futurs et raconte par le menu sa fuite à l’Ouest à travers la Tchécoslovaquie, l’Allemagne et la Belgique. Cette nouvelle étonne bien la presse, qui n’a pas eu vent d’une défection venant de Budapest et ne reconnaît pas trop le Hongrois qu’elle a pourtant vu évoluer en Suisse le mois précédent. La Voix du Nord, qui a questionné le joueur et reçu des réponses bidon sur ses connaissances footballistiques a beau avoir de sérieux doutes, l’histoire est si belle, et Louis Henno semble si content… Le président ne s’inquiète même pas des éventuels problèmes que pourrait lui poser la fédération hongroise pour cette défection. L’important, pour le moment, c’est le premier match amical d’avant-saison, prévu le lendemain contre le FC Rouen, au cours duquel Zakariás pourra faire l’étalage de tout son talent. Ou pas.


Emeute, télégramme et pieds carrés


Ce match amical du 1er août contre Rouen à Cany-Barville va révéler la supercherie, alors que du côté de Dieppe on a enrôlé toute l’équipe pour récupérer les deux autres Hongrois, qui n’arrivent pas. Dès le coup d’envoi, c’est la stupéfaction : le nouveau-venu qui se vantait encore auprès de ses coéquipiers une heure avant ne parvient pas à contrôler un ballon et, s’il en touche un, c’est pour dégager loin devant n’importe comment. Le public, nombreux pour voir la star, commence à manifester. Cerise sur le gâteau, par maladresse, il blesse sérieusement l’Autrichien Ernst Melchior. Le match vire au pugilat et les gendarmes, prévenus par la direction du LOSC, interviennent et l’arrêtent. En fait, à peu près au moment où le match débutait, les dirigeants Lillois ont reçu un télégramme de Budapest signé… Joseph Zakariás. Le vrai. Alerté de sa prétendue arrivée au LOSC, il indique qu’il prend l’apéro avec un journaliste qui lui a parlé de Lille, qu’il est en Hongrie, où il se sent très heureux avec son épouse et ses enfants, précise qu’il n’a pas 24 mais 30 ans, et transmet ses amicales salutations. Au final, il s’agit bien d’une supercherie. L’usurpateur prétend d’abord être le frère de Zakariás ; mais l’examen de ses papiers, que le président Henno avait omis de lui demander, révèle un livret militaire au nom de Ladislav Vereb, un légionnaire tchécoslovaque de retour d’Indochine qui a déserté, qu’on avait assigné à résidence surveillée dans le Sud-Ouest le temps qu’on l’expulse… Dans les jours qui suivent, Ladislas Vereb, incarcéré à Yvetot pour fausse déclaration d’état civil et infraction à un arrêté d’expulsion, ne donne toujours « aucune explication cohérente » à ses agissements si ce n’est « faire parler de lui ». Jugé, il en sera bon pour deux mois de prison avant d’être expulsé. Louis Henno est furieux d’avoir été berné mais est désormais la risée de la France entière. Cette mystification est le début du déclin de son club, moqué à chacun de ses déplacements. Sportivement, Van Der Hart n’est finalement pas remplacé, ce qui affaiblit considérablement l’équipe lilloise, championne en titre, qui réalise en 1954/1955 la pire saison depuis sa création, en finissant 16e, évitant la relégation lors d’un barrage contre Rennes, et avec 58 buts encaissés, mais malgré la victoire en coupe, ce n’est que partie remise avec, finalement, la descente en D2 en 56 puis l’ascenseur durant 10 ans, avant l’abandon de son statut professionnel en 1969...


Frédérik Légat

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