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Les 50 qui ont marqué la Coupe du Monde : Andrés Escobar

Lors de la Coupe du Monde 1994, le capitaine Colombien Andrés Escobar inscrit un but contre son camp lors d'un match décisif. Cette erreur lui coûtera la vie. Récit.


Andrés Escobar face aux USA lors du Mondial 1994. Image : WeSport

Andrés et Pablo : les deux Escobar


Andrés Escobar naît en 1967 à Medellín. Toute sa vie, tout son destin sera lié à cette ville, pour le meilleur comme pour le pire. Deuxième ville de Colombie, Medellín, à partir des années 70, devient l’épicentre d’un cartel de la drogue dominé par son homonyme Pablo Escobar ; en dix ans, la cité va devenir la ville la plus violente du monde où enlèvements et assassinats se multiplient dans un climat de guerre des gangs, quasiment de guerre civile. Toute la ville est gangrenée par les cartels. Pablo Escobar, classé 7e fortune mondiale selon le magazine américain Forbes, fournit 80 % de la cocaïne américaine. Avec cet argent de la drogue, il finance des maisons et des écoles dans les communautés pauvres. Son acte préféré de bienfaisance ? La création de terrains de foot dans les bidonvilles. Toute une génération de gamins pauvres grandit sur ces terrains financés par l’argent de la drogue. Le football, la passion de Pablo Escobar, lui permet également de blanchir son argent sale. Fraude sur la billetterie et sur les transferts : le sport est un paradis pour les trafiquants. L’implication de Pablo Escobar dans l’Atletico Nacional Medellín n’est un secret pour personne. Les arbitres, quant à eux, sont soumis à une pression terrible, abattus si on a le moindre doute sur leur honnêteté. C’est dans ce contexte que grandit le petit Andrés, loin des bidonvilles, dans une famille de la classe moyenne. Naturellement, c’est à l’Atletico Nacional qu’il fait ses classes. Francisco Maturana le fait débuter en D1 en 1987 et il s’y impose immédiatement au cœur de la défense, ce qui lui ouvre les portes de la sélection à 20 ans. Il a même le privilège de marquer à Wembley contre l’Angleterre pour sa 2e cape (1-1). Alors que sa carrière ne fait que débuter, Andrés et l’Atletico Nacional remportent la Copa Libertadores 1989 contre les Paraguayens de l’Olimpia Asunción contre lesquels il transforme le premier des tirs aux but au retour à domicile. Suivront la Copa interamericana, une défaite contre le grand Milan AC en Coupe intercontinentale sur le plus petit des scores à deux minutes de la fin des prolongations puis une qualification pour la Coupe du monde 90, la 1 e pour la Colombie depuis son unique participation 28 ans auparavant. Meilleurs 3e , Los Cafeteros sont éliminés en 1/8e de finale par le surprenant Cameroun de Roger Milla après une bourde monumentale du gardien René Higuita, le fantasque portier coéquipier d’Andrés à l’Atlético Nacional. Mais le pays est en guerre contre les narcotraficants. Rien qu’en 92 à Medellín, on compte pas moins de 8 921 morts. La chasse à l’homme se rapproche de Pablo Escobar. Le 19 juin 1991, après une longue négociation avec le gouvernement colombien, ce dernier accepte de se rendre. En échange de la promesse de ne pas être extradé vers les USA, il est emprisonné dans la Catedral, une prison qu’il a lui-même faite aménager de manière luxueuse avec des gardes choisis par ses soins. Il reçoit publiquement la visite de « ses » joueurs et même de Maradona. Après une évasion retentissante, recherché par à peu près la moitié du globe, il est abattu le 2 décembre 93 après une course-poursuite sur les toits. Plus de 25 000 personnes assistent à ses funérailles, tant son influence était grande sur les quartiers pauvres de la ville. Avec la mort de Pablo Escobar, les joueurs ont perdu leur protecteur. René Higuita, le gardien indiscutable de l’Atlético Nacional et de la sélection, est le premier à en faire l’amer constat : il est arrêté un moment et suspendu jusqu’à nouvel ordre de toute sélection pour avoir visité son ami El Patrón à la Catedral un peu trop ostensiblement, devant un parterre de journalistes. Il manquera de fait la Copa America 93 et la World cup 94.


Le calvaire de la World cup 94


Andrés, sur le flanc depuis 8 mois après une blessure, fait son retour dans les meilleures conditions, capitaine en club et en sélection. La Colombie est au sommet : à nouveau dirigée par l’emblématique Francisco Maturana, elle est invaincue depuis le 21 juillet 91, et se qualifie brillamment pour la World cup 94 aux États-Unis en surclassant notamment l’Argentine 5-0 à Buenos-Aires lors de la dernière journée décisive. À leur retour à Bogota, des dizaines de milliers de personnes reçoivent les héros de Buenos Aires, dans un délire incontrôlable. Cette soudaine hausse de la cote de l’équipe nationale va changer bien des choses en Colombie. Désormais, un échec est hors de question, et les paris les plus fous s’accumulent au pays, pronostiquant une victoire des Cafeteros. Mais si la confiance est au maximum, l’équipe arrive aux États-Unis sous pression et épuisée. Escobar est en pourparlers avancés avec le grand Milan AC, mais l’officialisation ne pourra se faire qu’une fois la Coupe du monde achevée. Le climat de guerre qui plombe le pays va plomber également la sélection, car les enjeux sont énormes. Le frère du défenseur Luis Fernando Herrera est ainsi tué dans un accident de voiture attribué à la mafia et Andrés et sa petite amie échappent de peu à la mort, arrivant quelques instants après l’explosion d’une bombe en plein Medellín. À l’heure de s’envoler pour les États-Unis, la tension est à son maximum autour des footballeurs et leurs familles, la sérénité et la joie procurées lors des mois précédents semblent alors bien éloignées. Fatalement, sur le terrain, les choses ne vont pas se passer comme on l’espérait au pays. Los Cafeteros s’inclinent d’entrée 3-1 face à la Roumanie de Hagi. Le fils de 3 ans de Chonto Herrera, l’ami le plus proche d’Andrés en club et en sélection, est kidnappé avant d’être rapidement relâché. Francisco Maturana reçoit des menaces lui enjoignant de ne pas faire jouer Gabriel Barrabas Gómez sous peine de mort pour le sélectionneur et le joueur, qui suivra le match contre les USA dans les tribunes. Plus question de représenter le pays, le deuxième match n’est qu’un long calvaire. La suite, on la connaît. En ce 22 juin 94 opposés au pays organisateur au Rose Bowl de Pasadena devant 95 000 spectateurs, les Colombiens s’inclinent 1-2. Pire, à la 35e minute, Andrés se jette sur un centre de John Harkes et trompe son propre gardien, pris à contre-pied. La victoire 2-0 contre la Suisse ne change rien : Los Cafeteros rentrent au pays la tête basse…


Drame sur un parking


Contrairement aux conseils de Barrabas Gómez, Andrés décide de rentrer directement au pays. Le Gentleman du football n’a tout simplement pas peur, à l'instar de Faustino Asprilla. Cette décision va lui être fatale. Le 2 juillet, alors que les 1/4 de finale sont en train de se jouer aux États-Unis, il est pris à partie dans une boîte branchée de Medellin par plusieurs clients qui lui reprochent son CSC face aux USA. Il retrouve sur le parking les hommes qui l’avaient insulté à l’intérieur de la boîte, baisse la vitre de son 4X4 et tente à nouveau de leur faire entendre raison, ne sachant pas à qui il a affaire. Soudain l’un d’entre eux, sort son arme et vide le chargeur dans la tête du défenseur colombien en criant Gol ! à chaque coup. Escobar décède 45 minutes plus tard à l’hôpital. Réputé pour sa gentillesse, son éducation et son investissement pour les plus défavorisés, Andrès Escobar était apprécié du peuple colombien. Plus de 120 000 personnes assistent à ses obsèques. Le crime est élucidé en 24 heures. Il s’avère très vite que le meurtrier est un homme de main des frères Gallón, membres de la mafia et trafiquants notoires. Pedro et Santiago Gallón, à l’origine de l’altercation en boîte, sont très vite libérés sous caution et seront mis hors de cause lors du procès ; Humberto Muñoz Castro, quant à lui, s’il a avoué le meurtre, affirmera toujours n’avoir pas su que la victime était Andrés Escobar, affirmant qu’il était à moitié endormi dans la camionnette lorsqu’il a entendu son patron se disputer. Humberto Muñoz a été condamné à 43 ans de prison pour l’assassinat d’Andrés Escobar. Onze ans plus tard, il sera libéré pour bonne conduite...


Frédérik Légat


L'auteur : Spécialiste des enjeux géopolitiques du football, Frédérik Légat est l'auteur du tout récent "Géopolitique du football. 1900 - 1939" paru chez Bibliomonde cette année. On lui doit également les excellents "Destins Maudits du Football" (Spinelle, 2020) , dont est extrait cet article, ainsi que "Les plus grands exploits de la Coupe du Monde" (Spinelle, 2021).

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