Contre-attaquant exceptionnel et plus jeune capitaine de l'histoire à soulever la Coupe du Monde, Carlos Alberto est surtout resté dans les mémoires pour son but en finale du Mondial 1970 face à l'Italie, souvent considéré comme "le plus beau de l'histoire du mondial". Portrait d'un homme à jamais associé à cette mythique 86ème minute du 21 juin 1970.
L’homme du 21 juin 1970
Au fil du temps, alors que les générations de footballeurs se renouvellent, les anciennes gloires sont remisées aux livres d’histoires, antichambres de l’oubli. Eclipsées par les plus grandes légendes de leurs temps qui accaparent encore la lumière une fois leur carrière terminée, bon nombre d’anciens grands noms deviennent des Madeleine de Proust d’amateurs de ballon rond se remémorant les souvenirs de leur jeunesse : « Ahhh tu te souviens de ce quadruplé de Berdoll contre Saint-Étienne en 1973 ? Et pourtant c’était la grande époque des Verts avec Curko dans les buts, Piazza en défense, Hervé Revelli et tous les autres ! ». Et puis, le temps poursuit son inlassable labeur et ces joueurs autrefois si célèbres et populaires deviennent seulement connus par quelques irréductibles passionnés. Pourtant, outre les Pelé, Di Stéfano, Puskas, Cruyff et autres Garrincha, il existe une autre catégorie, plus rare, de joueurs dont le souvenir demeure vivace grâce à un but, un geste, qui a marqué l'histoire du football. On pense par exemple à Alcides Ghiggia, dont la simple évocation fait encore frémir les brésiliens plus de 70 ans après son but lors du Maracanazo, Gordon Banks, qui, aussi grand fut-il, est aujourd’hui constamment associé à son « arrêt du siècle » face à Pelé, Geoff Hurst, l’auteur du « but-fantôme » le plus célèbre de l’histoire et bien entendu Carlos Alberto, le latéral de la Seleçao qui, le 21 juin 1970, inscrivit le but que l’on considère bien souvent comme étant le plus beau de l’histoire de la Coupe du Monde.
Les consignes de Zagallo
Rappel de l’histoire. Alors que l’on joue les cinq dernières minutes de cette finale de Coupe du Monde entre le Brésil et l’Italie, la Seleçao mène 3 buts à 1 et file vers le troisième sacre de son histoire après 1958 et 1962. Dépassés, les Italiens courent après le ballon que les artistes auriverde s’amusent à faire tourner. Puis, une fois le toro terminé au milieu de terrain, les Brésiliens écartent sur le côté gauche. En position de latéral, Rivelino, époustouflant tout au long du match, lance Jairzinho, ailier droit délocalisé à gauche, celui-ci repique dans l’axe, trouve Pelé qui temporise puis décale Carlos Alberto. Lancé comme une flèche, le capitaine de la Seleçao reprend en une touche d’un extérieur du droit splendide qui se loge dans le petit filet opposé. Quelques temps avant son décès survenu en 2016, celui que l’on surnommait O Capitão racontait : « Zagallo nous avait dit que, si, quand ils nous attaquaient, Tostão, Jairzinho et Pelé se déplaçaient vers la gauche, le côté droit de l’attaque était grand ouvert. Cela me laissait totalement libre d’attaquer. Il suffisait d’être prêt à le faire. La balle est alors arrivée sur Jairzinho et c’est là que je me suis lancé. Je me souis souvenu de ce qu’avait dit Zagallo. Le ballon est vite venu sur Pelé, il a simplement regardé sur le côté et a vu que j’arrivais, car lui aussi était alerte. Il se souvenait du discours du coach. Il a fait passer le ballon sur sa droite et j’ai marqué. »
L’apogée d’une génération dorée
Alors qu’il aurait pu être purement anecdotique, ce quatrième but de Carlos Alberto est resté dans l’histoire comme étant « le plus grand but de l’histoire de la Coupe du Monde ». Pourtant, lorsque l’on regarde l’action sans prendre en compte le contexte, le but est certes très bien construit mais il n’est pas des plus impressionnants. Le match est déjà joué et les Italiens, visiblement émoussés, laissent de nombreux espaces à des Brésiliens en représentation. Alors pourquoi ? Pourquoi ce but, qui n’a eu aucun impact sur le dénouement final, qui ne semble pas si exceptionnel au premier regard, a tant marqué l’histoire du football. Au lendemain du match, la presse mondiale ne s’attarde d’ailleurs pas outre-mesure sur ce but mais célèbre surtout le triomphe de Pelé et des siens, à l’issue d’un Mondial particulièrement réussi. C’est donc le temps, encore lui, qui a consacré le but de Carlos Alberto comme étant légendaire. A posteriori, cette action collective parfaite a été considérée comme l’expression-même et l’ultime cadeau au football de cette Seleçao de 1970. En effet, revoir ce but c’est revoir tous les grands noms d’une équipe de légende caresser ensemble une dernière fois le cuir avant de prendre leurs places dans les livres d’histoire. Tostao, Gerson, Rivelino, Jairzinho, Pelé et finalement Carlos Alberto, tous ces noms de légende touchent le ballon sur cette ultime action qui assoit définitivement leur domination sur le football de leur époque. En une quinzaine de secondes suspendues dans le temps, les artistes brésiliens offrent au football une dernière danse avant de tirer leur révérence, laissant le soin à Carlos Alberto d’abaisser le rideau sur l’une des plus belles pages de l’histoire du ballon rond.
O Capitão
Si son but est entré dans l’histoire, il serait réducteur de résumer la magnifique carrière de Carlos Alberto à cette fameuse action du 21 juin 1970. Plus jeune capitaine de toute l’histoire à soulever la Coupe du Monde, O Capitão avait puisé une source de motivation immense dans la désillusion qu’il avait connu quatre ans plus tôt. Titulaire avec la Seleçao lors de la préparation au Mondial 1966, il avait été écarté de la sélection au tout dernier moment : « J’avais 21ans, j’étais au sommet de ma forme physique, mais, une semaine avant le départ, j’ai été écarté. Ce fut un vrai choc. » Cette absence lors d’un des plus grands échecs de l’histoire du Brésil (élimination dès les phases de poules), a finalement peut-être constitué une aubaine pour l’absent surprise dont plus personne ne contestait la place à l’issue du Mondial anglais. Contre-attaquant exceptionnel dans la lignée de son aîné Djalma Santos, latéral du Brésil en 1958 et 1962, Carlos Alberto fut l’un des plus dignes représentants de la grande tradition des latéraux brésiliens. Aussi technique et rapide que bon nombre d’ailiers, le coéquipier de Pelé à Santos était également capable de lancer ses attaquants grâce à son jeu long ultra-précis. Toutefois, à l’image de bon nombre de ses coéquipiers de 1970, c’est bel et bien lors de ce Mondial Mexicain qu’il connut l’apogée de sa carrière à tout juste 25 ans. Handicapé par les blessures, il loupe le Mondial 1974 et connaît sa dernière cape en 1977, année de son départ pour les New-York Cosmos. Reconverti entraîneur puis consultant, O Capitão décède en 2016 d’un infarctus à seulement 72 ans. Erigé en modèle par bon nombre de ses successeurs brésiliens, il est élu 2ème meilleur défenseur droit de l’histoire par France Football en 2020 derrière Cafu. Lors de son interview pour le journal français, l’ancienne mobylette du Milan AC aura bien évidemment un mot pour son aîné au moment de citer ses modèles : « Je suis né en 1970, l’année où Carlos Alberto a soulevé la Coupe du Monde. J’ai été bercé par son but en finale ». Un but pour l’histoire, définitivement.
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