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Les 50 qui ont marqué la Coupe du monde : Ferenc Puskas

Quand on revisite les articles évoquant Ferenc PUSKAS, reviennent alors tous ces lieux communs, major galopant, match du siècle, suspension, embonpoint, résurrection madrilène… mais aussi l’image d’un artiste qui aurait marqué le tournoi de 1954… Et si l’impact de la légende hongroise dans l’Histoire de la Coupe du Monde était à relativiser ?


Ferenc Puskas. Crédits : Hungary Today

Le joyau de l’Aranycsapat


Quand en cette fin d’après-midi du 17 juin 1954, les 18000 spectateurs présents dans les tribunes du Stade du Hardturm de Zurich dévisagent les 22 acteurs qui pénètrent dans l’arène, leur curiosité est évidemment stimulée à la vue des ‘’tigres’’ sud-coréens. Mais ils avouent s’être avant tout déplacés pour applaudir les stars de cette fameuse Aranycsapat, dont la réputation a franchi les frontières des terres magyares depuis bien des années déjà. Championne olympique en titre, tenante de la Coupe Internationale, celle qui se traduit par "l’équipe d’Or" mérite bien ce label, quand on sait que cette Hongrie est invaincue depuis plus de 4 ans, et ce, après avoir écrasé les anglais 3-6 à Wembley puis 7-1 à Budapest quelques mois plus tôt. Deux humiliations pour les britanniques, dont le retentissement dans le monde du football est tel, qu’à l’heure où commence cette Coupe du Monde 1954, personne ne peut alors raisonnablement dégager un autre favori que ce onze sans doute à son apogée, que dirige celui qui s’oppose à la rigidité du WM, le fameux Gusztav Sebes.


Ce dernier, dont l’approche d’un football agile reposant sur la qualité technique, la fluidité du jeu, et la mobilité des acteurs, dessine en fait déjà les contours d’un système qui sera optimisé vingt ans plus tard par les Oranje bluesen de Rinus Michels. Pour jouer leurs symphonies, les deux coaches bénéficieront aussi d’individualités hors-normes, avec dans le rôle du Chef d’Orchestre, deux joyaux, Cruyff pour les hollandais, et Puskas pour les hongrois. Si le physique et le style de ces deux fuoriclasse n’ont rien en commun, la comparaison en revanche se tient à l’aune de leur statut au moment où ils s’apprêtent à entrer dans le bal des deux compétitions mondiales en question. Et en 1954, bien que le Ballon d’Or encore en gestation ne puisse donc couronner officiellement un roi, le numéro 10 du Honved Budapest est effectivement considéré comme le meilleur joueur planétaire du début de la décennie en cours, pourtant bien pourvue en talents. Parmi les plus remarquables d’entre eux, ses propres coéquipiers : Sandor Kocsis, la tête d’or, Nandor Hidegkuti, le métronome, Zoltan Czibor, le génial rebelle, Josef Bozsik, le cerveau…


Deux galops d’essai, et… Werner Liebrich


C’est donc honoré par cette notoriété que Puskas touche ses premiers ballons face à une sélection asiatique qui fait office de parfaits sparring-partners. Pour Sebes, l’objectif du jour se résume à prendre la température du tournoi, de parfaire encore si besoin quelques automatismes, et d’emmagasiner de la confiance en produisant une prestation de qualité parachevée par un score fleuve. Et si les hongrois mettent un petit quart d’heure avant de tromper l’infortuné Duk-Yung Hong, la rencontre tourne vite à la démonstration. Au coup de sifflet final, et alors que Puskas vient juste de clôturer la marque 77 minutes après l’avoir aussi ouverte, aucune conclusion ne peut pourtant être tirée de ce 9-0 qui n’illustre en fait que la différence criante de niveau entre les deux équipes. Ce match n’étant donc qu’un galop d’essai, Puskas et ses amis considèrent avec raison que la compétition n’a pas encore vraiment commencée. Et la rencontre qui les oppose trois jours plus tard aux allemands de Sepp Herberger ne va pas être finalement plus significative. Ayant fait le choix de laisser sept titulaires sur le banc, l’entraineur allemand abandonne donc délibérément cette sélection expérimentale aux magyars, qui mènent à nouveau logiquement et rapidement au score. Puskas y va de son but habituel, et alors que ses couleurs mènent 5 à 1, il déroule tranquillement sa partition jusqu’à cet instant fatal à l’heure de jeu, où le tacle du rugueux Werner Liebrich lui attrape la cheville dans le rond central, alors qu’il s’envolait vers le camp allemand particulièrement déserté.


Berne, de la bataille jusqu’au miracle


A la fin de la partie, le score de 8-3 en faveur de l’Aranycsapat n’est finalement qu’anecdotique. Car le diagnostic des médecins est sans appel : pour le stratège hongrois, sauf miracle, il faudra sans doute compter 3 à 4 semaines d’indisponibilité. La date de la finale étant programmée dans 14 jours, la suite de la compétition va donc devoir s’envisager sans le maitre à jouer, ce qui, malgré la richesse de l’effectif à disposition de Sebes, n’est pas une mince affaire. D’autant que se profile à l’horizon un adversaire d’une autre dimension que la Corée du Sud ou qu’une équipe d’Allemagne bis : le Brésil des Julinho, Bauer, Didi et autres Nilton Santos se présente en effet avec l’ambition de pouvoir coudre sa première étoile et de cicatriser le traumatisme toujours présent vécu quatre ans plus tôt au Maracana. Pour les observateurs, et malgré le forfait de Puskas, l’affiche de ce quart de finale laisse augurer un football spectaculaire, léché et ouvert, tant le profil des deux équipes est marqué par l’esprit offensif, la qualité technique et l’amour du beau jeu. Il en résultera pourtant un spectacle affligeant. La rencontre se déroule en effet dans une atmosphère tellement tendue et malsaine, qu’elle en sera à jamais surnommée ‘’la Bataille de Berne’’. Les brésiliens usant de vices et de violence, la pourriront au point que deux de leurs acteurs rentreront prématurément aux vestiaires, avant que dans les couloirs du stade, l’affrontement ne se poursuive et finisse par dégénérer en bagarre générale !


Et Puskas dans tout ça ? Boitant toujours bas, et à défaut de pouvoir tirer des missiles dans les filets adverses, il s’implique à sa façon en lançant des bouteilles sur la tête de ses adversaires.Quand il ne joue pas au chamboule-tout avec les brésiliens, le capitaine hongrois passe la majeure partie de ses journées en soin. Le staff suit certes l’évolution de la guérison avec beaucoup d’attention, mais s’investit avant tout dans la préparation de la demi-finale qui s’annonce plus compliquée encore, puisque l’heure est venue d’affronter les habiles uruguayens emmenés par Juan Schiaffino, en fait, ni plus ni moins que les Champions du Monde en titre. Et tout Puskas qu’il est, à cet instant, il n’existe plus. Malgré son statut et son influence, il est surtout un joueur blessé, en somme pour Sebes, un spectateur. Il faut dire aussi que son substitut Peter Palotas fait plutôt bien le boulot, et que dans un autre registre, Laszlo Budai ou les frères Toth, sont tous légitimes pour tenir la place de leur capitaine en fonction de l’organisation mise en place. Considérée comme une finale avant la lettre, la rencontre tient bien cette fois toutes ses promesses. Le match est en effet remarquable d’intensité et de par son niveau technique, et le suspense est au rendez-vous puisque bien que malmenés, les hongrois parviennent à s’imposer 4-2 grâce à un doublé de Kocsis en prolongation. Pour l’équipe d’Or, l’objectif de se qualifier pour la dernière marche est donc atteint.


Puskas, ou l’épine dans le pied de Sebes


Tout au long de cette aventure, les prestations de la formation hongroise ont surtout permis de démontrer qu’elle n’était pas qu’une association d’artistes, mais que ses virtuoses savaient aussi se retrousser les manches, se solidariser, et s’imposer dans des matchs d’hommes, et ce, même quand l’adversaire employait la force et des moyens discutables. Mais elles ont aussi fait ressortir le fait qu’elle pouvait battre les meilleures sélections du Monde… même sans le concours de Puskas ! Le retour de ce dernier dans le groupe à l’aube de cette finale face à la ‘vraie’’ Allemagne cette fois, va surtout diviser Sebes entre plusieurs sentiments contradictoires : excellente nouvelle ou une belle épine dans le pied ? Y-a-t-il en effet pire question à résoudre pour un entraineur, que de devoir trancher, après avoir entendu celui qui n’est autre qu’à lui seul, son capitaine, son joueur majeur, à la fois le plus capé et le plus efficace, lui soutenir qu’il est prêt à jouer le match de sa vie, même s’il le sait encore bien diminué ? Et comment ne pas tenir compte de l’impact psychologique que Puskas peut provoquer sur ses adversaires ? Mais comment aussi ne pas fragiliser le groupe, ne pas créer ces sentiments légitimes de frustration et d’injustice qui atteindront tous les substituts qui ont œuvré pour amener avec mérite l’équipe en finale ? Et comment ne pas considérer le risque de perdre rapidement son numéro 10 si la blessure se réveille, et de pénaliser alors toute l’équipe à une époque où les remplacements ne sont toujours pas autorisés ? Comment en fait ne pas compromettre les chances de victoire de cette dream team toujours réputée invincible, et ne pas priver ainsi la nation toute entière de ce titre qu’elle espère et attend ?


Un bilan plus que mitigé


Tout aura ensuite été dit et écrit sur cette fameuse finale… ‘’Miracle de Berne’’ pour les uns, ‘’Regrets éternels’’ pour les autres, puisqu’à la surprise générale, ce sera bien le meneur de jeu allemand Fritz Walter qui soulèvera la Coupe Jules Rimet dans le triste ciel de la capitale suisse. Malgré un premier but marqué d’entrée, et bien que privé pour hors-jeu d’un second pourtant prétendu valable en fin de rencontre, la prestation terne du Major galopant en finale sera sans doute, et bien plus que ce ‘’FritzWalter-Wetter’’, la baraka de Toni Turek, et autres révélations de dopage de ses adversaires, la conclusion la plus recevable pour expliquer la défaite du onze hongrois. Puskas aurait-t-il dû se sacrifier au profit d’un de ses coéquipiers valides ? A-t-il voulu privilégier sa propre gloire plutôt que les chances de succès des siens ? Etait-t-il convaincu que bien qu’amoindri, sa titularisation serait assurément une valeur ajoutée ? L’histoire ne pourra être réécrite… Considéré à juste titre comme un des plus grands joueurs que le Monde du football ait connu, Puskas ne pourra donc en revanche présenter un bilan à la hauteur de son talent en Coupe du Monde.

En pleine possession de ses moyens en 1954, il n’aura en effet joué qu’une rencontre face à une nation qui ne comptait pas sur la Planète football, suivie d’une petite heure contre une formation constituée de joueurs réservistes ou guère mobilisés. En tenant compte de la finale perdue, où il fut plutôt transparent, il n’aura donc disputé que 2 matchs et demi : il y inscrira certes 4 buts, mais aucun ne sera cependant décisif. On reverra Puskas huit ans plus tard au Chili sous le maillot espagnol, où, éliminé cette fois au premier tour, il ne sera pas plus en réussite.

Christian CUNY


L'auteur : Spécialiste du football pré-arrêt Bosman, Christian Cuny a notamment réalisé une étude sur les plus grands joueurs de l'histoire du football des origines à nos jours.

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