Dribbleur fou sur le terrain, personnage fantasque en dehors, Manoel Garrincha fut le seul joueur de son temps dont l'aura pouvait rivaliser avec celle du Roi Pelé. Retour sur la belle histoire d'amour entre le Mondial et celui que l'on surnommait "la joie du peuple".
Garrincha et le Docteur Carvalhaes
A l’orée de la Coupe du Monde 1958, le Brésil fait partie des grands favoris pour décrocher le titre suprême en Suède. Cette position, la Seleçao ne la connaît que trop bien. Pire même, elle la craint. La dernière fois que les observateurs avaient jugé avec tant de certitudes que les auriverde seraient les favoris pour le tournoi mondial, c’était au Brésil huit ans plus tôt. Cela avait débouché sur le plus grand traumatisme de l’histoire du pays à l’issue du titre de l’Uruguay après un dernier match connu sous le nom de « Maracanazo » soit « choc du Maracana ». Encore profondément marqués par cette terrible désillusion, les brésiliens sont devenus foncièrement défaitistes. Pour eux, peu importe le niveau des joueurs alignés, ils finiront forcément par s’incliner. Pour faire face à ce climat qui frôle parfois la psychose, la Fédération Brésilienne décide de prendre les devants à quelques mois du Mondial suédois. Pour s’assurer qu’aucun des joueurs sélectionnés n’aura une défaillance mentale durant la compétition, elle s’offre les services du psychologue João Carvalhaes qui soumet les joueurs susceptibles de prendre part au tournoi à une série de tests. A l’issue de ceux-ci, Carvalhaes fait son rapport au sélectionneur Vicente Feola et lui préconise d’écarter deux joueurs : Pelé, « manifestement infantile et n’ayant pas l’esprit combatif nécessaire » et Garrincha, dont la performance au test le déclarait inapte à postuler pour un emploi de chauffeur de bus à la mairie de Rio ! Fort heureusement pour le Brésil et pour le football, Feola préféra faire confiance à son instinct et embarqua les deux génies dans ses valises pour la Suède...
La joie du peuple
Il faut dire qu’avec Garrincha, Feola possède dans ses rangs l’un des plus formidables dribbleurs que le monde ait jamais connu. Avec ses jambes arquées, l’ailier droit est capable de déstabiliser n’importe quel défenseur grâce à ses feintes de corps invraisemblables. Dribbleur de génie, amoureux du beau geste et des hourras de la foule, celui que l’on surnomme Alegria do Povo (« la joie du peuple ») est l’un des hommes forts de la sélection de Feola. S’il n’inscrit pas le moindre but lors du Mondial 1958, il est, avec Pelé, l’homme du match de la finale face à la Suède. Insaisissable sur son côté droit, il fait vivre des misères à son vis-à-vis et adresse deux passes décisives sur les deux premiers buts brésiliens signés Vava. Les deux buts sont d’ailleurs des copiés-collés : recevant le ballon sur son aile, Garrincha s’en va défier l’arrière suédois en un contre un, le dépose d’une accélération dévastatrice sur cinq mètres et centre à ras de terre pour Vava qui conclut de près. Alors que le Brésil avait raté son entame de match en concédant l’ouverture du score dès la cinquième minute, il reprend donc l’avantage grâce au génie de son fantastique ailier droit. Dès lors, le match devient plus facile et Pelé se charge d’écrire le début de sa légende en inscrivant un doublé fantastique. Finalement vainqueur 5-2, le Brésil emporte ainsi sa première Coupe du Monde. Un an plus tard, totalement ivre au volant de sa voiture, il manque de renverser son propre père dans sa ville natale de Pau Grande. Ainsi va la vie de Garrincha, entre grandeur sur les terrains et décadence en dehors…
L’homme de 1962
Né en 1933 dans une famille très pauvre d’origine amérindienne, Manoel Garrincha a connu une enfance difficile entouré de ses huit frères et sœurs et d’un père alcoolique. Très tôt, ses parents lui donnent à boire du cachimbo, une boisson artisanale sensée soigner tous les maux mais surtout très alcoolisée. Rapidement accroc à la boisson, celui que l’on surnomme « Mané » mène une vie rythmée par l’alcool, les femmes, les voyages et délaisse ses nombreux enfants, qu’ils soient légitimes ou non. Sur le terrain, ses performances ne s’en ressentent pas encore et, à Botafogo ainsi qu’avec la Seleçao, Garrincha n’a rien perdu de son talent alors que se profile la Coupe du Monde 1962. Seul joueur de la sélection dont l’aura rivalise avec celui de Pelé, « la joie du peuple » devient le véritable leader de l’attaque auriverde après la blessure du Roi au deuxième match contre la Tchécoslovaquie. Repositionné au poste d’avant-centre, Garrincha enchaîne les performances de haute volée. Après un premier doublé contre l’Angleterre en 1/4 de finale, il livre une performance exceptionnelle face au Chili en 1/2 finale. Dès la 9ème minute, il ouvre le score d’une frappe du gauche surpuissante de l’entrée de la surface qui se loge en pleine lucarne du gardien chilien puis, vingt minutes plus tard, il enchaîne d’une tête parfaite sur un corner de Zagallo. En deuxième mi-temps, c’est encore lui qui délivre une passe décisive sur corner pour Vava sur le troisième but brésilien. Constamment dangereux pour la défense chilienne, il est le grand bonhomme de la qualification du Brésil pour sa deuxième finale consécutive de Coupe du Monde. Là, il réalise une rencontre plus discrète mais reste important dans le triomphe final des brésiliens face à la Tchécoslovaquie de Josef Masopust (4-2).Logiquement élu meilleur joueur de la compétition, Garrincha est, à 28 ans au sommet de sa carrière. Plus dure sera la chute.
Le fou déchantant
Alors que l’été 1962 devait être celui de la consécration pour Garrincha, ce dernier se retrouve rapidement au cœur de l’actualité pour d’autres raisons. Lors du Mondial Chilien, il a fait la rencontre de la diva de la samba Elza Soares dont il tombe fou amoureux. Dès lors, il décide de quitter femme et enfants pour vivre sa nouvelle idylle. Au pays, la nouvelle fait scandale. Jeune femme noire issue des favelas, une première fois mariée de force à 12 ans, la chanteuse est accusée de briser le mariage du génie de la Seleçao ce qui est très mal vu dans un Brésil profondément catholique. De son côté, Garrincha enchaîne les beuveries et se retrouve plus souvent cité au sein des tabloïds que des journaux sportifs. Il prend du poids, se blesse, boit toujours plus mais est tout de même sélectionné sur sa seule grandeur passée pour la Coupe du Monde 1966. Il la traverse comme un fantôme et ne peut rien faire pour empêcher l’élimination du Brésil dès le premier tour après une ultime défaite face au Portugal d'Eusébio. Cette fois ç’en est fini de « la joie du peuple ». Son après-carrière sera une longue descente aux enfers. Il enchaîne les cures de désintoxication, voit la mère d’Elza Soares mourir dans un accident de voiture alors qu’il est au volant, tente de se suicider, est quitté par Elza Soares, lassée de son alcoolisme et de sa violence. Puis le 20 janvier 1983, ce qui devait arriver arriva. Ayant contracté un œdème pulmonaire, la faute à de longues années d’errance, Mané Garrincha s’éteint dans un hôpital de Rio. Il avait 49 ans.
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