Première grande vedette du football européen avec l’espagnol Ricardo Zamora, Giuseppe Meazza fut, avec son coéquipier Giovanni Ferrari, le premier footballeur à remporter par deux fois la Coupe du Monde. Portrait d’un géant.
De « Balilla » à star de la Squadra
L’histoire est restée célèbre en Italie. En 1927, alors qu’il n’est même pas encore âgé de 17 ans, l’entraîneur autrichien de l’Inter Milan Arpad Weisz décide de lancer dans le grand bain Giuseppe Meazza, attaquant prometteur du club lombard. Sur un ton moqueur, son partenaire d’attaque Leopoldo Conti lance « maintenant, on fait aussi jouer les Balilla ! », du nom des jeunes italiens participant à l’organisation de jeunesse Opera Nazionale Balilla mise en place par le régime fasciste de Mussolini. Ce que Conti ne sait pas, c’est que ce Balilla va lui prendre sa place et le pousser à quitter le club un an plus tard ! Adroit des deux pieds, doté d’un sens du but exceptionnel et d’une qualité de dribble hors-pair, Meazza réalise des débuts fracassants. Le pauvre gosse du quartier de Porta Romana, élevé seul par sa mère après le décès de son père au front lors de la Première Guerre Mondiale, devient du jour au lendemain la nouvelle star du football italien. Dès 1930, le sélectionneur de la Squadra Vittorio Pozzo lui ouvre les portes de la sélection. Celui que tout le monde surnomme « Peppino » devient la nouvelle idole des gamins … et des femmes, qu’il collectionne encore plus que les buts d’après son coéquipier Pietro Rava ! Alors que la Coupe du Monde 1934 en Italie s’approche, Giuseppe Meazza est, à 24 ans, l’une des plus grandes stars du football mondial.
Meazza contre Zamora
Pour son entrée en lice dans « sa » Coupe du monde le 27 mai 1934, l’Italie reçoit les États-Unis à Rome dans le Stadio del Partito Nazionale Fascista (stade du parti fasciste). Devant 25 000 personnes, une affluence décevante pour un stade pouvant en contenir le double, la Squadra ne tremble pas et s’impose aisément sur le score de 7 buts à 1. Auteur du septième but dans les derniers instants, Meazza, à l’image de sa sélection, se sert de ce match comme une mise en route avant que les choses sérieuses ne débutent avec un 1/4 de finale face à l’Espagne de Ricardo Zamora.
A cette époque, voir Meazza et Zamora s’affronter est un véritable événement. D’un côté, le jeune attaquant italien, considéré comme le meilleur avant-centre de la planète. De l’autre, le vétéran des cages espagnoles (33 ans en 1934), première grande star internationale du football européen et figure immensément populaire des années 30. Pourtant, de cette affiche alléchante, découlera l’une des pires rencontres de l’histoire du Mondial. Arbitré par le Suisse René Mercet, corrompu par le régime de Mussolini, le match n’est qu’une succession de fautes grossières et dangereuses qui ont tôt fait de transformer l’affiche en pugilat. A ce petit jeu là, la palme revient bien évidemment à Luis Monti qui met hors d’état de nuire deux adversaires directs. Au milieu de ce chaos, l’Italie se procure les meilleures occasions mais Zamora réalise l’un des plus grands matchs de sa carrière, au contraire d’un Meazza plutôt discret. Si deux buts sont inscrits, le premier par Regueiro à la 30ème minute pour l’Espagne, le second par le meneur de jeu de la Juve Giovani Ferrari, le score est de 1-1 à l’issue de la prolongation ce qui oblige les deux équipes à rejouer le lendemain. Cette fois, face à une Espagne émoussée et privée de sept titulaires de la veille, dont Zamora, touché, l’Italie l’emporte 1-0. Le buteur ? Giuseppe Meazza, d’une tête sur corner entachée d’un grossier ceinturage d’un italien sur le gardien espagnol Noguès…
Capitaine Meazza
Si l’on excepte son but décisif face à l’Espagne en 1/4 de finale, on peut dire que le Mondial 1934 de Meazza a été légèrement en deçà des attentes. Par exemple, s’il est mentionné dans Le Miroir des Sports comme l’un des meilleurs joueurs de la finale, le journal L’Auto ne le retient pas au moment de nommer son onze-type du tournoi, au contraire de ses coéquipiers d’attaque Enrique Guaita et Raimundo Orsi, respectivement buteurs en demi-finale face à l’Autriche et en finale contre la Tchécoslovaquie. En clair, si Meazza a participé au premier sacre mondial de la Squadra Azzura, il n’a pas été LA star du tournoi comme on aurait pu s’y attendre. C’est donc peut-être avec ce léger goût d’inachevé que l’attaquant vedette de l’Inter débarque en France pour y disputer la deuxième Coupe du monde de sa carrière à l’été 1938. Des champions de 1934, « Peppino », nouveau capitaine de l’Italie, est le dernier rescapé, avec Giovanni Ferrari. Pas une surprise tant c'est un secret de polichinelle que le sélectionneur Vittorio Pozzo est un grand fan de l'attaquant de l'Inter. Il déclarera plus tard que « l’avoir dans son équipe signifiait partir avec 1-0 ».
Dans les jours qui précèdent la Coupe du monde, le nom de Giuseppe Meazza est sur toutes les lèvres des passionnés de football. Peut-être plus encore qu’en 1934, l’attaquant de l’Italie s’annonce comme l’immense star du tournoi qui s’apprête à débuter. Tout juste vainqueur du Calcio, dans lequel il a également remporté le classement des buteurs, l’avant-centre italien est nommé en premier par l’ex-international français Lucien Gamblin lorsque celui-ci s’adonne à une présentation des « ténors de la Coupe ». Il écrit : « Un artiste du ballon, fin, racé, élégant, intelligent que Giuseppe Meazza. Dribbleur émérite, excellent stratège, actif, clairvoyant et toujours bien placé, Meazza réunit toutes les qualités du footballeur de classe car son shot est sec, rapide et précis. (…) Ses gestes, ses attitudes et sa stature sont si proches de la perfection qu’on ne sait ce que l’on doit le plus admirer, de l’athlète ou de son jeu. »
Meazza sur le toit du monde
Autrefois pur buteur, Meazza s’est mué en 1938 en véritable chef d’orchestre de la Squadra Azzurra pour laisser le rôle de finisseur au jeune Silvio Piola, désormais plus rapide et plus puissant que l’icône de 28 ans à la vie privée décousue. Ainsi organisée, l’attaque de la sélection menée par Vittorio Pozzo apparaît encore plus redoutable que lorsqu’elle remporta le titre quatre ans plus tôt. Durant toute la compétition, Meazza et son comparse Ferrari se chargent de la construction et laissent ainsi le soin aux jeunes de conclure les actions. Seule exception, un pénalty signé du capitaine lui-même pour prendre le meilleur sur le Brésil en demi-finale (2-1) et rejoindre ainsi la surprenante Hongrie en finale. Menée par le génial György Sarosi, la sélection magyare a impressionné tout son monde en surclassant la Suède lors de sa demi-finale (5-1). Pourtant, si elle semble être un adversaire redoutable, elle ne va pas faire le poids face au talent de la paire Meazza-Ferrari. Jouant reculés derrière leurs trois attaquants, les deux anciens de la Squadra réalisent une finale de toute beauté. Multipliant les ouvertures parfaites pour leurs ailiers et les combinaisons entre eux, la star de l’Inter et le meneur de jeu de la Juve sont les grands artisans de la victoire italienne (4-2). Double passeur décisif pour Piola et Colaussi, Meazza joue son rôle de chef d’orchestre à la perfection et est le symbole de la supériorité tactique de la Squadra sur son adversaire. C’est d’ailleurs ce qu’expliquera Giovanni Ferrari à l’issue de la rencontre : « Meazza et moi-même nous sommes efforcés de construire le jeu, opérant très en retrait. Ainsi, nous ne pouvions tirer au but, mais nos trois avants de pointe s’en sont chargés. »
A 28 ans, Giuseppe Meazza ne le sait pas encore mais il est, en ce soir du 20 juin 1938, au sommet de sa carrière. Gravement blessé en 1939, il ne retrouvera plus le niveau qui fut le sien et verra la guerre le priver de ses rêves d’un troisième sacre mondial. Reconverti entraîneur à la fin de sa carrière en 1947, il s’occupera notamment des jeunes de l’Inter Milan dans les années 50. Aujourd’hui, le stade de Milan porte son nom.
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