top of page

Les souvenirs de Pierre Chayriguès, chapitre 1

Cet été, Foot Universal vous propose de redécouvrir les souvenirs de Pierre Chayriguès parus en 1929 dans le journal L'Auto. Gardien de l'Equipe de France entre 1911 et 1925, Chayriguès fut le joueur français le plus populaire en son temps avant de faire polémique en devenant le premier international à avouer avoir été rémunéré tout au long de sa carrière.


Préambule de Foot Universal


Les souvenirs de Pierre Chayriguès paraissent à un moment charnière dans l'histoire du football français. Nous sommes en 1929 et le débat entourant la question du professionnalisme est plus virulent que jamais. D'un côté, les partisans de l'amateurisme intégral se posent comme les défenseurs d'un sport vecteur de valeurs morales qui s'opposerait à un sport perverti par l'argent. De l'autre, les partisans du professionnalisme dénoncent l'hypocrisie des anti-pros qu'ils accusent de se voiler la face. En effet, à l'aube des années 30, le football français est de plus en plus touché par ce qu'on appelle "l'amateurisme marron", à savoir un professionnalisme clandestin. Dans ce climat délétère, les révélations de Chayriguès sur le comportement troublant des différents protagonistes du petit monde du football français de l'époque ( dirigeants de clubs, Ligues, FFF, joueurs) vont renforcer l'argumentation des défenseurs du professionnalisme. Celui-ci sera finalement adopté en 1932.


"25 ans de football par Pierre Chayriguès", Chapitre 1.


Ce que je n'avais pas voulu


"A peine avais-je formé le projet de coucher noir sur blanc, quelques anecdotes de ma carrière de joueur de football amateur-professionnel, que tout notre petit monde de la balle ronde s'enflamma comme de l'amadou.

Les amateurs de scandales s'en pourléchèrent les babines. Les curieux crièrent "Enfin ! Nous allons tout savoir !" Quelques camarades de jeu pensèrent "Cet animal là va nous trahir !". Les clubs, ceux où j'avais passé, se regardèrent en chiens de faïence, les Ligues se contemplèrent en toutous de porcelaine et la 3.F.A*, en la personne de quelques-uns de ses dirigeants, interrogea anxieusement : " De quoi demain sera-t-il fait ?"

Chacun s'empressa naturellement de chercher dans ce qu'on appela "Mes Mémoires" ce qu'il désirait le plus y trouver, c'est-à-dire, à la fois, de quoi en sortir blanc comme neige et de quoi ruiner définitivement le crédit sportif des camarades. Et l'on jasait tellement avant même que je n'aie écrit la première ligne que la nécessité m'est apparue, in limine, de dire ce que j'avais voulu faire. C'est à quoi je songeai aussitôt; mais j'avais voulu tant de choses à la fois qu'il me semble tout de suite beaucoup moins compliqué de dire ce que je n'avais pas voulu. (...)

Avant tout, croyez moi capable de n'avoir pas voulu écrire "Mes Mémoires". Ceux qui me connaissent savent que je possède au moins une petite qualité, celle de ne pas être "prétentiard" comme on dit. Non mais vous vous rendez compte ? Des "Mémoires" avec des aperçus peut-être sur la vie contemporaine, sur notre état social actuel et l'opinion du Président de la République sur les gardiens de but, de la plus haute antiquité jusqu'à nos jours. Je suis, vous le verrez plus loin, fils de modestes artisans, artisan moi-même. Venu au football bien avant mes dents de sagesse, j'y ai pris des plaisirs sans mélange et j'aurais fait comme tous les camarades, je serais resté un pur disciple de l'amateurisme cher à Frantz Reichel** s'il ne m'était pas arrivé ce que vous lirez plus loin. Enfin, quelque bonne qu'ait été ma carrière sportive, convenez bien que je me couvrirai de ridicule à en vouloir extraire des "Mémoires". Donc, je n'ai pas voulu écrire des "Mémoires" et je n'écris pas présentement des "Mémoires".

Je n'ai pas voulu, non plus, me conduire en mauvais camarade. Je vous demande donc d'accepter, à priori, que je suis seul en cause dans tout ce qui va suivre. Mon verre n'a pas eu, à partir d'une certaine date, la pure blancheur de l'amateurisme, mais j'ai été le seul à boire dedans. Mieux, je n'ai jamais regardé les verres de mes voisins pour voir s'ils étaient bien nets. Bref, je ne sais rien que ce qui m'advient à moi-même et si de méchants esprits persistent à penser que j'en sais beaucoup plus, nous laisserons tourner ces langues sans importance.


Je n'étais pas professionnel né


Que n'ai-je pas voulu encore ? Je n'ai pas songé à faire de professionnalisme et ce sont les organismes existants qui ont fait de mois un professionnel. Ici, quelques cas sur mon cas personnel éclaireront le début et aussi tout ce que je veux dire par la suite. Je suis né, ainsi que je l'indique plus haut, de modestes artisans et je devais être toute ma vie un simple ouvrier sans les circonstances sportives dont vous connaissez déjà l'essentiel, puisque je fus, de longues années, international de football. Destiné à un métier manuel, je puis vous affirmer que mon cerveau était capable de se faire, suivant les circonstances, aussi bien à un amateurisme sportif inattaquable qu'à un professionnalisme non-déguisé. Sous une autre forme, je n'aurais pas rompu de lances en faveur de l'amateurisme, mais les maigres destinées qui m'attendaient ne devaient pas, l'occasion se présentant, me faire repousser les tentations du professionnalisme. Expliquons nous.

Vous verrez plus loin comment le hasard , peut-être aussi quelque obscure prédisposition chez mois, me mirent, dès ma prime jeunesse, une petite balle aux pieds, faite d'abord de quelques chiffons serrés par une ficelle. J'ai goûté, à ce football primitif, les joies les plus vives de ma première enfance, ce qui me semble indiquer que j'avais peut-être en moi, pour y réussir, de bonnes dispositions naturelles.


Supposons


Supposons à présent, que dans ce sport du football ainsi pratiqué dès l'enfance et poursuivi jusqu'à l'heure de la retraite, supposons que je n'aie rencontré sur maroute aucun élément professionnel. Supposons que ce sport ait été toujours joué et encore aujourd'hui avec la touchante sincérité des premiers âges. Supposons que les terrains, comme ceux d'autrefois, soient restés rudimentaires, qu'une recette comme jadis, de quelques dizaines de francs soit restée une recette courante. Supposons encore que les clubs aient conservé entre eux cette vieille rivalité chevaleresque des débuts qui leur aurait fait considérer le racolage*** comme une indigne malhonnêteté. Supposons que la Coupe de France, réduite à quelques rares manifestations, n'ait pas transformé les clubs en maison de commerce, ne les ait pas obligés à faire du spectacle, à faire des recettes, à s'entre-dévorer.

Supposons, enfin, que le chauvinisme sportif n'ait pas gangrené nos fédérations et nos ligues au point de leur faire transgresser les règles de l'amateurisme (...). Oui, supposons que je n'aie jamais eu à jouer que le football touchant des premiers temps ou le football puéril de mes jeunes années, je serais demeuré un amateur pur sang et l'idée ne me serait jamais venue qu'il fût possible de monnayer ses muscles. Y aurais-je-eu quelque mérite moral ou sentimental ? Pas du tout ! "


A suivre...


* Fédération Française de Football Association, ancien nom de la Fédération Française de Football.

** Important dirigeant sportif et journaliste de l'époque. Fervent partisan de l'amateurisme intégral en sport.

*** rémunération des joueurs de football à un temps où le professionnalisme n'était pas encore en vigueur.


Source


L'Auto, 7 mars 1929

141 vues0 commentaire
Ancre 1
bottom of page