Cet été, Foot Universal vous propose de redécouvrir les souvenirs de Pierre Chayriguès parus en 1929 dans le journal L'Auto. Gardien de l'Equipe de France entre 1911 et 1925, Chayriguès fut le joueur français le plus populaire en son temps avant de faire polémique en devenant le premier international à avouer avoir été rémunéré tout au long de sa carrière.
Préambule de Foot Universal
Revenu de la guerre sans blessure grave, Pierre Chayriguès a retrouvé sa place dans les buts de l'Equipe de France et du Red Star. Menant sa carrière d'une main de maître d'un point de vue financier, il a réussi à obtenir des primes pour les matchs disputés sous le maillot tricolore, jugeant illogique que la Fédération gagne de l'argent sur le dos des joueurs. Refusant d'importantes propositions financières venues d'Angleterre (de Tottenham notamment), il gagne tout de même environ 45 000 frs. par an au meilleur de sa carrière, soit un salaire très confortable pour l'époque. Sportivement, il se fracture le bassin et l'épaule avec lors d'un match avec les Bleus en 1921 ce qui le tient éloigner de l'Equipe de France pendant près de deux ans. De retour sous le maillot français en 1923, il s'apprête à présent à disputer le dernier grand tournoi de sa carrière : les Jeux Olympiques de 1924 organisés en France.
25 ans de Football par Pierre Chayriguès" Chapitre 8.
Les Jeux Olympiques de 1924
"Vous vous souvenez à coup sûr des Jeux Olympiques de 1924, disputés à Paris. Vous savez que, ayant battu la Lettonie sans grande gloire, nous fûmes, dans une seconde rencontre, éliminés par l'Uruguay, qui devait gagner quelques jours après le tournoi mondial. Mais je ne serais pas complet si je ne vous disais que, au cours de notre match avec l'Uruguay, dans une rencontre avec Pétrone, je me brisais une côte. Je commençais à devenir fragile et je m'en aperçus indiscutablement à ce fait que Ligue Parisienne et la Fédération commencèrent à trouver que je leur coûtais trop cher. Mes notes de médecins et de pharmaciens devenaient trop fréquentes et l'on y faisait des allusions désobligeantes (...).
On me mit un peu à l'écart. En homme prévoyant je commençais à orienter ma vie autrement car, ma côte guérie, j'entrais aux Etablissements Coty comme professeur de culture physique. Je devais un peu plus tard jouer contre l'Angleterre mon dernier match international et, ce jour-là, nous faillîmes battre les professionnels britanniques, qui, pourtant, à la mi-temps, menaient par 3 à 0. A la reprise, les Anglais encaissèrent deux buts presque coup sur coup et, d'ailleurs, leur attaque était désemparée et déséquilibrée par la disparition de Gibbins, leur avant-centre, blessé au début de la partie*. Malheureusement, nous en restâmes à nos deux buts. Je venais de jouer là mon 21ème et dernier match international, car, en 1925, à Roubaix, dans un match Paris-Nord, je me fracturais la cheville et le péroné. Cette fois, c'était bien la fin, ou presque.
Tu peux crever !
Il me fallut bien près d'une année pour raccommoder ma cheville et mon péroné. Et j'avais si peu d'illusions sur la gratitude de ceux qui m'avaient employé que, dès que je pus me servir de ma jambe, je devins pendant un an professeur de culture physique aux usines Renault. Mais je n'étais pas encore complètement fini et je devais posséder, à la fois, un tempérament de fer et des os assez élastiques puisque, fin 1926, à Buffalo, me voici sous le maillot, devenu blanc, de mon vieux Red Star opposé aux Corinthiens, ces amateurs anglais que l'on considère, non sans raison, comme de véritables artistes du football.
Et 1927 arriva. Dès le début de cette année, dernière de ma carrière, je m'aperçus que dans l'esprit de quelques dirigeants de mon club, ma présence devenait indésirable. On me répétait brutalement que je coûtais trop cher. On me diminua. Mais comme j'étais loin maintenant de jouer tous les matchs, on m'autorisa à m'occuper de l'entraînement du C.O. Billancourt. Ce qui n'empêcha pas que, de plus en plus, on me poussait vers la porte de sortie. L'on me conseillait de me retirer du sport actif. Conseil intéressé, comme vous l'allez voir.
Mais, moi, je ne voulais pas encore désarmé. Je pensais avoir encore suffisamment d'amis dans les grands clubs pour pouvoir changer de maillot. Si bien qu'en juin 1927, je sollicitais, ainsi que le veulent les règlements du Red Star, l'autorisation d'entrer au Club Français pour y jouer les championnats. C'est alors que les choses se gâtèrent.
On me conseillait bien au Red Star de prendre ma retraite, puisque je ne valais plus rien, mais voilà que, tout à coup, je récupérais toute ma valeur quand il s'agissait d'aller porter mes services à un club rival et puissant. Et l'on ne craignait pas seulement les services sportifs que je pouvais, selon moi, rendre encore, on craignait la valeur de publicité de mon nom qui était encore bien plus certaine. Pensez donc ! J'étais peut-être capable de transporter la foule de Saint-Ouen à Montrouge !
Je dus biaiser et voici comment je m'y pris. Je demandais tout simplement l'autorisation pour aller jouer en série inférieure à Saint Germain. Alors, l'autorisation me fut accordée. (...) Pour être complet, je dois ajouter que, pour tout concilier, Delbat, qui était le manager du Red Star, m'avait bien offert, avant ma démission, 400 frs par match et 100 frs chaque fois que l'équipe gagnerait. Mais je connaissais mon Delbat, il est malin comme un ouistiti, il m'aurait laissé sur la touche quatre fois sur cinq et il m'aurait ainsi enterré sans tambour ni trompette. C'est pour ne pas être enterré vivant que je voulais porter mes services à un autre club.
Au Club Français
Et quand je vous dis que c'était ma valeur publicitaire que redoutait le Red Star, je puis vous en apporter une preuve excellente et que voici : lorsque le Red Star allait jouer en provinces, le club qui nous faisait venir stipuler toujours : "Avec Chayriguès, ce sera telle somme et si Chayriguès ne vient pas, nous diminuerons une somme, qui oscillait, suivant le club qui nous recevait, entre 1000 et 3000 frs."
Quand j'entrais au Club Français, c'est-à-dire en signant ma licence pour ce club, je touchais 3000 francs. Ma mensualité était fixée à 1200 francs et j'avais, en plus, une prime de 150 francs par match. Ces conditions presque aussi belles que celles que j'avais au Red Star étaient d'autant plus satisfaisantes que je ne pouvais jouer en équipe première. Je m'occupais donc avec plaisir, avec des joueurs de réserve ou d'équipe seconde, d'une équipe qui prit mon nom et avec laquelle toute la saison 1927, nous nous baladâmes consciencieusement en province. Le sort aurait peut-être voulu que je reste au Club Français où j'avais beaucoup d'amis, si l'incident que voici n'y avait fait obstacle. Un match avait été conclu entre le Club Français et une équipe algérienne. Ce match n'eut malheureusement jamais lieu car les Algériens avaient de ma présence une condition sine qua none et que je n'eus pas le temps de faire le déplacement. Cela n'alla pas entre le Club et moi sans quelques explications, à la suite desquelles je démissionnais. (...) Le reste de ma carrière de footballeur n'intéresserait personne et il vous est possible de la considérer comme terminée à la fin de l'année 1927. Depuis, vous le savez, en dehors du football, je me suis fait dans l'enseignement de la culture physique une clientèle qui est assez nombreuse pour me permettre de vivre sans avoir à reprendre mon métier d'électricien.
Notes
* A cette époque, les remplacements n'étaient pas autorisés, même en cas de blessure.
Source
L'Auto, 27-28 mars 1929
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