Cet été, Foot Universal vous propose de redécouvrir les souvenirs de Pierre Chayriguès parus en 1929 dans le journal L'Auto. Gardien de l'Equipe de France entre 1911 et 1925, Chayriguès fut le joueur français le plus populaire en son temps avant de faire polémique en devenant le premier international à avouer avoir été rémunéré tout au long de sa carrière.
Préambule de Foot Universal
Dans son dernier chapitre, Pierre Chayriguès était revenu sur sa fin de carrière difficile. De plus en plus souvent blessé, l'homme qui fut la grande vedette de l'Equipe de France et du Red Star était tout à coup devenu indésirable. Trop cher, plus assez performant, le plus grand gardien de l'histoire du football français jusqu'alors se voit ainsi indiqué la porte de sortie. En 1929, deux ans après cette fin de carrière indigne de son rang, il prend la plume au sein du quotidien L'Auto pour raconter ses "25 ans de football".
Après tout un été à vous retranscrire ces 25 années de football, nous voici à la fin de cette saga. Aujourd'hui, place aux conclusions de Chayriguès, conclusions qui n'hésitent pas à égratigner un football français qui rechigne alors à adopter le professionnalisme.
25 ans de Football par Pierre Chayriguès" Chapitre 9.
Conclusions
"J'ai publié tout ce qui précède sans haine, sans parti pris, sans rancune, et j'ajouterai, sans aucune méchanceté. Je n'ai compromis aucun de mes camarades.
J'ajoute qu'en faisant cette publication, j'ai poursuivi un double but : celui, d'abord, de montrer à quels errements, à quelles erreurs, à quelles incorrections aboutissait le singulier système de soi-disant protection de l'Amateurisme par les pouvoirs sportifs dirigeants. J'ai poursuivi un second but : celui, de pousser, en football, la reconnaissance du professionnalisme.
Qu'on veuille, comme Frantz Reichel*, par un parti pris bêbête, ignorer le professionnalisme, il n'en est pas moins que ce professionnalisme est un régulateur admirable des transactions qui, vous venez de le voir, interviendront toujours entre les joueurs, d'une part, et les groupements (clubs, ligues, fédérations, particuliers), d'autre part. Je ne vous ai pas parlé, parce que je n'en ai guère été victime, et encore très peu, que vers la fin de ma carrière, des procédés de certains clubs vis-à-vis de certains joueurs, tentés, séduits aux moyens de promesses mirifiques et jamais écrites, vous le pensez bien, car ces manquements aux règles de l'amateurisme ne donnent jamais lieu à des échanges de lettres.
J'aurais pu vous citer nombre de mes camarades arrachés à leur club par de semblables promesses et revenant à Paris, au bout de quelques mois, trompés, désillusionnés, victimes, en un mot, et victimes d'autant plus malheureuses qu'ils l'étaient aussi bien lorsqu'ils n'avaient pas réalisé les espérances du club tentateur, que lorsqu'ils les avaient réalisées. En effet, dans le premier cas on leur disait : "Nous cessons de vous payer parce que vous n'êtes pas l'homme de valeur que nous avions cru". Dans le second cas, et spéculant que le joueur ne pouvait plus retourner, en pleine saison, à son premier club, on lui disait : "Mille regrets ! Mais nous ne pouvons pas continuer à vous payer ce que nous vous avions promis. Vous ne faites pas venir assez de monde, ou notre caisse n'est pas assez riche. Vous avez le loisir ou de vous en aller, ou de vous contenter d'appointements moins élevés que ceux que nous vous avions promis !" Avouez que, sous ce seul aspect, le professionnalisme reconnu assainirait la situation et empêcherait aussi bien les clubs d'être refaits par les joueurs, que les joueurs d'être trompés par les clubs, puisque le contrat écrit deviendrait désormais légitime et pourrait être produit soit devant la Fédération soit devant les tribunaux.
Résumons
La formule d'Amateurisme en France, est une, indivisible et intangible. Je vais vous accorder tout de suite qu'au point de vue social, au point de vue idéal, au point de vue du Pays, elle est absolument parfaite. Mais cette formule idéale me fait penser à ces gâteaux de chez le pâtissier qui sont excellents, mais dont certains ne s'accommodent pas. Eh bien ! les rêvasseurs comme Frantz Reichel et consorts ont décidé qu'il faudrait que tout le monde en mange de ce gâteau idéal. Il ne s'agit pas d'en manger ou de n'en pas manger mais uniquement d'en manger. L'ont-ils au moins rendu digestible ce gâteau ? Pas le moins du monde !"
Postface de Foot Universal
En déclarant publiquement avoir été payé durant toute sa carrière, aussi bien par les clubs que par la Fédération Française de Football, Pierre Chayriguès brisait ainsi le tabou sur la question du professionnalisme en football. Dévoilant ainsi au grand jour les manquements à l'amateurisme des différents acteurs du football français, l'ancien gardien de l'Equipe de France a grandement contribué à l'avancement des débats sur l'adoption ou non du professionnalisme en France. En 1932, en proie à un nombre toujours plus importants de cas d'infractions aux règles de l'amateurisme et pressée par les clubs d'agir, la Fédération Française de Football se verra plus ou moins contrainte d'adopter enfin le professionnalisme. Cette adoption marquera un tournant décisif dans l'histoire du football français et permettra à celui-ci d'entrer dans une nouvelle ère : celle du football moderne.
Note
* Important dirigeant sportif et journaliste de l'époque. Fervent partisan de l'amateurisme intégral en sport.
Source
L'Auto,28 mars 1929
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