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Quand Strasbourg était champion de Dordogne...

En près de 120 ans d'histoire, le RC Strasbourg, fondé en 1906, a marqué l'histoire du football français. Connu notamment pour son titre de champion de France en 1979 et ses trois Coupes de France glanées entre 1951 et 2001, le club alsacien possède aussi dans son armoire à trophées un titre bien particulier : celui de champion de Dordogne ! Explications.

Le RC Strasbourg champion de Dordogne. Sud Ouest.

On évacue !


Au petit matin du 2 septembre 1939, Strasbourg est en ébullition. Avec la déclaration de guerre à l'Allemagne de la veille, la capitale alsacienne n'est plus sûre. Située à proximité de la frontière, elle est susceptible de se transformer en ville fantôme où s'exerce la folie guerrière en cas d'attaque rapide du Reich. Face à cette situation, le gouvernement français prend une décision drastique : Strasbourg doit être évacuée. Dès lors, c'est un véritable exode qui débute pour les 120 000 strasbourgeois. Embarqués dans des trains, ils sont acheminés vers la Dordogne, beaucoup étant accueillis dans la commune de Périgueux. Après la défaite de juin 1940, ils seront d'ailleurs nombreux à élire domicile en Dordogne, la perspective d'un retour dans une ville devenue allemande ne les enchantant guère.


Le déménagement du RC Strasbourg


Une fois sur place, les strasbourgeois vont tenter tant bien que mal de retrouver une vie normale. Pour cela, ils cherchent du travail mais s'activent aussi pour reprendre les loisirs qui étaient les leurs avant la guerre. Ainsi, les athlètes féminines de Strasbourg regagnent les pistes d'athlétismes à Périgueux, les cyclistes reprennent leurs vélos et un foyer de l'Athlète et du Footballeur Alsacien est mis sur pied. Ne pouvant rester insensible à cette reprise sportive, le grand Racing Club de Strasbourg va lui aussi renaître de ses cendres. S'il est privé de ses meilleurs joueurs, presque tous mobilisés, le club dispose encore de forces vives avec ses jeunes et son entraîneur autrichien Karl Rumbold, lui aussi évacué. A l'occasion, le club peut même compter sur certains de ses anciens pros comme l'Allemand Ossi Rohr, engagé volontaire dans l'armée française ou encore Fritz Keller qui deviendra par la suite un paria en acceptant de jouer dans l'équipe des SS de Strasbourg pendant l'Occupation... Disposant ainsi d'une ossature solide, le club se reconstitue à Périgueux et pose même sa candidature pour participer au championnat de la Zone Sud organisée par la F.F.F. (le championnat de France étant divisé en deux championnats, l'un au Nord et l'autre au Sud, pour la saison 1939-1940). Si cette candidature est refusée pour des raisons de logistique - Périgueux étant trop isolé par rapport aux autres équipes participantes-, le Racing est reversé dans le championnat de Dordogne où il va faire bien plus que de la simple figuration.


Champions de Dordogne !


Débutant la compétition à partir du mois de décembre 1939, le Racing prend rapidement les commandes d'un championnat où, en tant qu'ancien club de D1, il n'a pas vraiment de concurrents. Porté par des jeunes joueurs prometteurs encadrés par un ou deux tauliers mobilisés dans la région ou permissionnaires, le club alsacien s'autorise même une petite épopée en Coupe de France. Après un premier tour en guise d'amuse-bouche face au VA Ruelle, le Racing se retrouve opposé aux Girondins de Bordeaux pour les 1/8ème de finale. Ayant conservé une bonne partie de leurs pros et participant au championnat du Sud, les Girondins partent largement favoris face à cette équipe de jeunes alsaciens déracinés. Pourtant, ce sont bien les Alsaciens qui vont prendre le meilleur sur les Bordelais, l'emportant 3 buts à 2 à l'issue d'une rencontre âprement disputée. Si le 1/4 de finale face à Sète tournera à la démonstration (une défaite 8-1 avec un triplé de l'international français Désiré Koranyi), les Strasbourgeois de Périgueux se consoleront en fin de saison en emportant le titre le plus improbable de leur histoire : celui de champions de Dordogne.


Retour en Alsace


Après la défaite de juin 1940, le Racing retrouve Strasbourg, où le bruit des bottes allemandes se mêle désormais au son des cloches de la cathédrale. La ville étant devenue allemande, le Racing est intégré à une Gauliga, nom donné aux championnats régionaux allemands organisés à l'époque du Reich. Les joueurs, hier mobilisés dans l'armée française, sont cette fois incorporés de force dans l'armée allemande. Parmi ces "Malgré-Nous", on retrouvera Ossi Rohr, l'ex-attaquant de la Mannschaft qui s'était engagé dans l'armée française. D'abord fait prisonnier, il sera finalement mobilisé sur le front Est d'où il reviendra miraculeusement vivant.

Bien loin du championnat de France et de son épopée en Coupe, le Racing n'a plus réellement d'objectifs sportifs pendant cette guerre si ce n'est celui de gagner ses matchs face à son nouvel ennemi juré : le Red Star Strasbourg. Autrefois simple rival local, le club est devenu celui des SS et les derbys sont devenus l'occasion de démonstrations patriotiques. Drapeaux tricolores brandis dans les tribunes, équipements des joueurs bleu-blanc-rouge, les anecdotes sont nombreuses à ce sujet. Cette rivalité entre les deux clubs, le Racing, resté français, et le Red Star, devenu nazi, s'illustrera bien par le destin croisé de deux ex-coéquipiers qui vont connaître des destins diamétralement opposés : Oscar Heisserer et Fritz Keller. Anciens partenaires au Racing et en Equipe de France, les deux vont voir leurs chemins se séparer à jamais pendant ces années sombres. Ainsi, quand Fritz Keller fera le choix de porter les couleurs du Red Star Strasbourg, Oscar Heisserer prendra lui le chemin de la Résistance pour éviter son incorporation dans l'armée allemande. Après-guerre, ce-dernier deviendra le capitaine emblématique du club alsacien tandis que Fritz Keller, considéré comme un traître, sera radié à vie par la Ligue de Football Professionnelle (qui s'appelle alors "Groupement des Clubs Autorisés") en octobre 1945.

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