En mai 1937, à l'occasion de l'Exposition Universelle de Paris, la capitale accueille huit des meilleurs clubs européens pour un véritable tournoi aux allures de final 8. Le tout 18 ans avant la première édition de la Coupe d'Europe des Clubs Champions.

Avançons la Coupe du Monde !
En 1936, la France entière est en pleine effervescence pour l'Exposition Universelle qui aura lieu l'année suivante à Paris. Gouvernement, artistes, entreprises : tous cherchent le moyen d'utiliser au mieux cet événement mondial qui fera de Paris la capitale culturelle du monde pendant plusieurs semaines. C'est dans l'optique de saisir cette formidable opportunité de rayonnement que Jules Rimet, président de la F.F.F. et de la FIFA tente d'obtenir un avancement de la Coupe du Monde 1938 pour laquelle la France a déposé sa candidature. L'objectif de Rimet est simple : organiser la Coupe du Monde en France lors de l'Exposition Universelle de 1937 afin de placer le football au cœur de cet événement hors du commun. Sur le papier, l'idée est plus que séduisante mais dans les faits elle se heurte à de grandes difficultés logistiques. En effet, l'organisation d'une Coupe du Monde nécessite de longs préparatifs, ce qui explique pourquoi le pays organisateur est annoncé 1 an et demi à l'avance (à l'époque, c'est beaucoup plus aujourd'hui !). Dans ces conditions, Rimet et la F.F.F. n'ont pas le choix, ils doivent se pencher sur un plan B.
Une "Coupe des Clubs Champions" avant l'heure
Dans l'impossibilité de réaliser son rêve, Rimet se rabat sur un plan B on ne peut plus séduisant qu'il dévoile au journal L'Auto en avril 1936 :
"Coûte que coûte, il faut que l'Exposition de 1937 soit dotée d'une grande épreuve de football. Dès que le Comité exécutif de la FIFA se vit forcé de renoncer à organiser en France la Coupe du Monde l'an prochain (...) j'ai immédiatement songé au moyen de donner au football la place qui lui revient dans le programme des fêtes sportives. Dans mon esprit, il ne s'agirait pas d'une épreuve réunissant en France (...) des équipes nationales qu'il serait sans doute très difficile, sinon impossible de rassembler fin mai au début juin, mais d'une compétition mettant aux prises les équipes championnes d'un certain nombre de nations européennes".
"Réunir les équipes championnes d'un certain nombre de nations européennes"... En une phrase, il serait impossible de mieux résumer la Coupe d'Europe des Clubs Champions, actuelle Ligue des Champions, créée... en 1955 ! Dix-huit ans avant le premier triomphe du Real Madrid, c'est donc un embryon de la mythique Coupe aux grandes oreilles qui va se disputer à Paris lors de l'Exposition Universelle ! D'ailleurs, Jules Rimet ne dit pas autre chose lorsqu'il explique que le vainqueur de ce tournoi sera "un champion d'Europe officieux". En visionnaire qu'il est, il voit là "l'occasion d'expérimenter un véritable Championnat d'Europe par équipe de clubs, dont on souhaite vivement la réalisation dans les milieux du football". A la lecture de ces phrases, on s'imagine aisément que sans la Seconde Guerre Mondiale, la Ligue des Champions aurait probablement vu le jour quelques années plus tôt.
Un "final 8" à Paris
Une fois l'idée du tournoi mise sur la table, vient le plus dur pour la F.F.F. : son organisation ! Si les candidatures ne manquent pas, la Fédération est contrainte de réduire le nombre d'équipes participantes à huit afin d'organiser le tournoi sur une période suffisamment restreinte pour ne pas entraver le calendrier des clubs le disputant. Grâce à ce choix judicieux, le Tournoi de l'Exposition parvient à réunir un tableau prestigieux, peut-être plus relevé encore que celui de la Mitropa Cup, la Coupe d'Europe Centrale créée par Hugo Meisl en 1927. Parmi les participants on retrouve ainsi l'OM et le FC Sochaux, tout juste vainqueurs du championnat de France et de la Coupe de France, l'AGC Bologne (actuel Bologne FC), champion d'Italie en 36-37, l'Austria Vienne, vainqueur de la Mitropa Cup en 1936, le VFB Leipzig, vainqueur de la Coupe d'Allemagne en 1936, le Slavia Prague, tout auréolé de son titre de champion de Tchécoslovaquie, le Phöbus Budapest, club majeur hongrois et enfin les anglais de Chelsea. Si aujourd'hui bon nombre de ces clubs ont disparu des radars (ou disparus tout court !), à l'époque, ces équipes sont bel et bien parmi les toutes meilleures d'Europe. L'Austria Vienne, par exemple, compte dans ses rangs quelques uns des piliers de la grande sélection autrichienne parmi lesquels le génial Matthias Sindelar, peut-être le plus grand joueur européen de son temps avec Giuseppe Meazza. Assez paradoxalement, le parent pauvre de ce tableau est peut-être Chelsea. A des années lumières de leur niveau actuel, les Blues sont à l'époque un club du ventre mou de Premier League. Néanmoins, le football anglais ayant encore plusieurs années d'avance sur les autres, Chelsea reste, par sa britannicité, une équipe de premier ordre.
Dans l'optique de disputer le tournoi en une semaine, la F.F.F. choisit un format qui n'est pas sans rappeler celui du Final 8 de la Ligue des Champions 2020 : les clubs débutent en 1/4 de finale et s'affrontent lors de matchs secs à élimination directe. Le tableau du tournoi est le suivant :
(FRA) Olympique de Marseille - Chelsea ( ANG) (FRA) FC Sochaux - AGC Bologne (ITA)
(AUT) Austria Vienne - VFB Leipzig (ALL) (TCHE) Slavia Prague - Phöbus Budapest (HON)
Un tirage au sort à rendre fada, Sindelar et le "bœuf" Thiele
Lancé le 30 mai 1937, le Tournoi de l'Exposition donne lieu à trois quarts de finale extrêmement disputés. Nous disons trois car, malheureusement, le FC Sochaux d'Etienne Mattler et Roger Courtois est sévèrement balayé par l'AGC Bologne (1-4). Dominés de la tête et des épaules, le club pionnier du professionnalisme français sort par la petite porte de cette Coupe d'Europe officieuse. Un constat qui ne vaut pas pour l'OM, deuxième représentant français dans cette épreuve. Opposés aux Anglais de Chelsea, les Phocéens réalisent une magnifique rencontre sous la lourde chaleur d'Antibes où a lieu la rencontre. Menés au score, les Marseillais arrachent la prolongation grâce à un but de leur demi-centre Ignace à la suite d'un cafouillage dans la surface. Plus frais physiquement que les Britanniques qui sortent d'une tournée dans les Balkans, les joueurs de l'OM pensent tenir la victoire lorsque leur attaquant Zermani obtient un pénalty à 10 minutes du terme de la prolongation. Malheureusement, la tentative de l'avant-centre Edmond Weiskopf échoue sur le poteau, laissant les deux équipes à égalité. Aucun match ne pouvant être rejoué à cause du calendrier serré et les tirs aux buts n'existant pas, la décision se joue finalement .... à pile ou face ! Et à ce petit jeu, ce sont les Anglais qui l'emportent et filent en demi-finale... Un dénouement à rendre fada !
Dans les deux autre matchs, la confrontation entre le Slavia et le Phöbus tourne à l'avantage des Tchèques tandis que le match entre l'Austria Vienne et le VFB Leipzig tourne au cauchemar pour Thiele, le demi-centre (équivalent du milieu défensif aujourd'hui) allemand. Chargé de marquer individuellement Sindelar, l'athlétique milieu allemand va vivre un long calvaire : constamment dépassé par l'art du dribble du génial autrichien, Thiele ne peut que regarder ce dernier inscrire les deux buts de la rencontre. Une performance qui suscitera une analyse légèrement moqueuse du Miroir des Sports : "Par malheur si Thiele possède la masse et la puissance du boeuf, il en a également la lourdeur et la passivité. De là vient qu'il ait, à maintes reprises, assisté avec une sorte d'indifférence à l'évasion de son prisonnier Sindelar. Le tempérament bovin, comme l'on sait, exclut les vives réactions."
Pugilat austro-britannique
Si "le tempérament bovin exclut les vives réactions", alors nulle doute qu'aucun joueur de Chelsea ou de l'Austria Vienne n'est de ce tempérament. En effet, alors que la demi-finale entre les deux équipes s'annonçait un superbe choc entre le football très technique des autrichiens et celui plus direct mais aussi plus efficace des anglais, la rencontre découle finalement sur un véritable pugilat. Dès les premières minutes de la rencontre, les deux équipes craquent complètement : coups de pieds, de tête, de poings, tout y passe. L'arbitre de la rencontre Georges Capdeville déclarera d'ailleurs après la rencontre que s'il avait s'agit d'un match de championnat, il y aurait mis un terme dès le premier quart d'heure de jeu. En ce qui concerne le football, ce sont les anglais qui prennent le meilleur sur leurs adversaires autrichiens. Etonnés et frustrés du bon niveau de jeu des Blues de Chelsea, les coéquipiers de Sindelar passent totalement à côté de leur rencontre et doivent s'incliner 2-0.
Dans l'autre rencontre, Bologne offre une démonstration de réalisme au Slavia Prague. Sous l'eau pendant une mi-temps, les Italiens tiennent bons grâce aux exploits du numéro 2 de la Squadra Azzura Carlo Ceresoli avant de prendre l'avantage en deuxième mi-temps par un doublé de Busoni.
Le triomphe du football italien
Avec cette finale Bologne - Chelsea, c'est un peu la question de la plus grande nation de football de l'époque qui se pose. D'un côté, les Italiens, champions du monde en titre, de l'autre, les Anglais, qui, de leur tour d'ivoire, daignent toujours participer à la Coupe du Monde, convaincus de leur nette supériorité. Si elle était probablement véridique dans les années 20, la soi-disant supériorité Britannique est de plus en plus contestée en 1937 et la finale Chelsea-Bologne ne va pas mettre un terme à cette remise en cause, loin de là. Totalement dépassés et alignant leur capitaine Ned Barkas pourtant blessé, les Blues prennent une leçon de football par les Italiens. Portés par leurs joueurs cadres, l'attaquant Schiavio, champion du monde en 1934 ou le demi-centre Andreolo, plaque tournante de la Squadra Azzura, les joueurs de Bologne font tout plus vite et mieux que leurs adversaires. A la mi-temps, le score de 3-0 en faveur des Italiens est une véritable claque pour les Britanniques. Si la deuxième mi-temps tourne moins à la démonstration, les Bolonais s'imposent finalement 4-1 et s'adjugent ce tournoi de l'Exposition, première Coupe d'Europe officieuse de l'histoire. Affirmant au grand jour la supériorité d'alors du football transalpin, ils impressionnent l'ancien international français Gabriel Hanot qui écrit que leur football a été "source d'une révélation et d'un émerveillement comparable à ceux produits aux JO 1924 de Paris par l'équipe d'Uruguay". La comparaison est forte, tant le jeu de la Céleste avait été un véritable choc footballistique à l'époque.
Du jeu, des grands noms, des équipes venues de l'Europe entière, ce tournoi de l'Exposition aurait pu être le point de départ de la grande histoire de la Coupe d'Europe de football. Il n'en sera rien. Entaché par la violence de certains matchs, le tournoi cher à Jules Rimet n'a surtout pas trouvé son public. Organisé à une période particulièrement chaude de l'année, il a pu souffrir de la météo ou de la concurrence des autres activités organisées au cours de l'exposition. Néanmoins, avec seulement 16 000 spectateurs pour la grande finale, la raison de cet échec réside peut-être dans les résultats d'un football français qui n'a pas encore suffisamment brillé pour convertir une population plus large à la passion du ballon rond.
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