Depuis plus de soixante ans, un roi trône au sommet du monde du football: le brésilien Pelé. Révélé à 17 ans lors du sacre brésilien au mondial 1958, le môme de Santos n’est pourtant pas la première grande vedette du football auriverde. En effet, vingt ans avant que le roi ne tisse sa légende, un autre attaquant de génie avait ébloui les fans de football du monde entier : Leônidas da Silva, dit simplement « Leônidas ».
La « farce » brésilienne
A l’instar de son illustre successeur, c’est à l’occasion d’une Coupe du Monde que Leônidas va éclabousser la planète football de son talent, plus précisément lors de l’édition de 1938 organisée en France. Débarqués dans l’Hexagone à la mi-mai 1938, les Auriverde sont précédés d’une solide réputation. Récents finalistes de la Copa America (défaite 1-0 face à l’Argentine), ils peuvent tout à fait prétendre à une victoire finale lors de cette troisième Coupe du Monde de l’histoire. Pourtant, lors de leur premier entraînement sur le sol français, les brésiliens vont totalement décontenancer la presse française. Là où Le Miroir des Sports qualifie cet entraînement de « farce », le journaliste de L’Auto dépêché sur place pour l’occasion, raconte : « Après quelques minutes de sauts sur place, effectués, ainsi qu’un tour de piste, avec un complet désintéressement, (…) deux équipes se mirent en place pour disputer un petit match. Ce fut plus comique encore qu’auparavant. Les arrières jouaient avants, les demis opéraient eux aussi dans les lignes d’attaque, et l’avant-centre Leônidas était promu demi-centre. Tous les joueurs s’amusèrent follement. Ils ne cessèrent de rire, de jongler avec le ballon, de dribbler à l’infini et de pratiquer un football compliqué pour amener les ballons devant les buts ». Au milieu de cette bonne humeur, Leônidas ne doit pas être le dernier à se laisser aller à quelques gestes fantaisistes : difficile en effet de ne pas imaginer que celui à qui l’on doit l’invention de la « bicyclette » ne s’en donne pas à cœur joie au milieu de ce grand bazar !
Coups d’éclats et coups de poings
Pour autant, le Brésil n’est pas venu en France pour faire de la figuration. Les phases de poules n’existant pas à cette époque, les auriverde débutent leur tournoi en 1/8ème de finale face à la Pologne. Dans un match d’anthologie disputé sous des conditions dantesques au stade de la Meinau de Strasbourg, Leônidas se livre à un formidable mano a mano avec Ernest Willimowski, l’attaquant vedette de la sélection polonaise. La première mi-temps du match est brésilienne. Emmenés par un Leônidas buteur dès la 18ème minute, les sud-américains déboussolent la défense polonaise par leurs multiples arabesques. Mais, à mesure que le terrain se dégrade à cause du déluge qui s’abat sur Strasbourg, le jeu brésilien s’étiole et les polonais reviennent dans le match. Buteur hors pair, Willimowski s’offre un triplé en deuxième mi-temps et arrache la prolongation à la 89ème minute (4-4). Émoussés, les brésiliens s’en remettent à Leônidas qui décide de retirer ses chaussures pour ne plus être tant gêné par la boue. Auteur de deux nouveaux buts, le petit attaquant émerveille le public français et terrasse la Pologne malgré un quatrième but de Willimowski à la 118ème minute. Score final : 6-5, le public français est conquis !
Lors du ¼ de finale, qui a lieu une semaine plus tard à Bordeaux pour l’inauguration du Parc Lescure les brésiliens affrontent la Tchécoslovaquie. Bien loin de la finesse des avants brésiliens, les tchécoslovaques sont des joueurs rudes, pour ne pas dire brutaux. Face à ces terreurs, Leônidas a le droit a un traitement de faveur et, très vite, la rencontre tourne au pugilat. Deux expulsés côté brésilien, un côté tchécoslovaque, une jambe et un bras cassés pour les tchèques contre une cheville endommagée pour Leônidas. Côté sport, le match se termine sur le score de 1-1, Leônidas inscrivant l’unique but des siens. Les tirs aux buts n’existant pas encore, le match est rejoué deux jours plus tard. Dans une ambiance plus calme, les auriverde l’emportent cette fois 2-1, Leônidas inscrivant à nouveau le premier but de la rencontre.
Regrets éternels
Malheureusement, la fin de la compétition sera cruelle pour le génie brésilien. Le jugeant émoussé après deux matchs âprement disputés, le sélectionneur brésilien décide, contre l’avis même de son joueur, de se passer de Leônidas pour la demi-finale face à l’Italie afin de le préserver pour une hypothétique finale. Sans leur attaquant vedette, les sud-américains déjouent et s’inclinent 2-1, laissant l’Italie s’envoler vers un deuxième sacre mondial consécutif. Disputé seulement trois jours après la demi-finale perdue, le match pour la troisième place donnera de quoi nourrir des regrets à toute une génération de brésiliens. De retour pour cette rencontre qui oppose le Brésil à la Suède, Leônidas, inscrit un doublé et permet aux siens de l’emporter 4 buts à 2, prouvant ainsi qu’il était bel et bien en pleine possession de ses moyens. Avec Leônidas sur le terrain face à l’Italie, le sort du match aurait-il été différent ? Oui, répondront en chœur les joueurs de la sélection brésilienne à l’issue de la rencontre.
A cause de l’annulation des mondiaux 1942 et 1946 due à la Seconde Guerre Mondiale, le « Diamant Noir » n’aura jamais plus l’occasion de disputer une Coupe du Monde. Alors qu’il aurait pu être celui qui allait offrir au Brésil son premier sacre mondial, Leônidas verra finalement un gamin de Santos réaliser cet exploit à sa place vingt ans plus tard, le môme montant ainsi sur un trône qui aurait pu être le sien…
Sources : L'Auto et Le Miroir des Sports mars à juillet 1938
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