Après l'Uruguay en 1930 et l'Italie en 1934, la Coupe du Monde débarque en France en 1938. Réussite populaire ou cuisant échec, Foot Universal vous propose de revenir sur l'organisation de ce premier Mondial français.
F.F.F vs Front Populaire
L'obtention de l'organisation de la Coupe du Monde 1938 en France est en grande partie l'œuvre d'un homme : Jules Rimet. Inventeur de l'épreuve avec son fidèle bras droit Henri Delaunay, celui qui, en 1938, préside la FIFA et la Fédération Française de Football, a usé de tout son poids pour que l'Hexagone soit le troisième pays de l'histoire à accueillir le grand rendez-vous mondial du ballon rond. Pourtant, malgré l'influence de Rimet à la FIFA, la candidature française s'est heurtée à de nombreuses difficultés. Grand défenseur du sport amateur au détriment du "sport-spectacle", le gouvernement du Front Populaire, au pouvoir en France, n'a en rien soutenu le projet de Rimet. Ainsi, alors que le président de la FIFA rêvait de la construction d'un immense stade à Paris, l'Etat Français lui a aussitôt signifié une fin de non-recevoir : hors de question de financer l'édification de gigantesques enceintes destinées au "sport-spectacle". Contraints de s'adapter, la F.F.F. et son président se sont donc résignés à de simples travaux d'agrandissement du stade Yves du Manoir de Colombes, dont la capacité sera portée de 35 000 à 65 000 pour accueillir la grande finale du Mondial. Toutefois, grâce à l'appui de certaines municipalités, la F.F.F. parvient également à obtenir la construction de deux nouveaux stades : à Marseille, la cité phocéenne découvre son Stade Vélodrome en 1937 tandis qu'à Bordeaux, les travaux de construction du Parc Lescure sont accélérés afin de l'inaugurer pour la Coupe du Monde. Une fois encore, l'Etat ne débourse pas un centime dans ces projets. Totalement désintéressé d'un événement dont il mésestime le rayonnement à l'international, le gouvernement français se bornera à une simple présence protocolaire, symbolisée par la remise de la Coupe des mains du président de la République Albert Lebrun après la finale entre l'Italie et la Hongrie.
Pas de "pudding" à la carte !
Si Jules Rimet n'a pu obtenir de l'Etat Français un soutien financier qui aurait pu faire de la Coupe du Monde française un événement sans précédent, il a su, avec ses collègues de la FIFA, réunir un plateau composé de plusieurs équipes de haut niveau pour ce Mondial. A l'issue des éliminatoires, seize équipes sont qualifiées pour la phase finale parmi lesquelles l'Italie, championne du monde en titre, l'Allemagne, qui compte dans ses rangs quelques anciens du Wunderteam ayant rejoint l'équipe après l'Anschluss, la Hongrie, en constante progression, mais aussi des pays plus lointains comme les Indes Néerlandaises ou Cuba. Toutefois, parmi toutes ces nations, aucune ne suscite autant d'intérêt que le Brésil, seul représentant de l'Amérique du Sud. Défaits au premier tour en 1930 et 1934, les Auriverde (qui évoluent alors en blanc !) se sont depuis imposés comme l'une des deux grandes nations du continent sud-américain en compagnie de l'Argentine. En France, le journal L'Auto en fait l'un des favoris de la compétition... bien qu'il ignore tout des joueurs composant la sélection brésilienne. Nous sommes alors encore bien loin du football mondialisé d'aujourd'hui et, si le récit des succès brésiliens a traversé les frontières pour arriver jusqu'à l'Europe, il a laissé sur le rivage le nom des héros de ces victoires. Mais patience, l'Occident apprendra bientôt à connaître les Leonidas, Domingo et autres Martim comme il l'avait fait quatorze ans plus tôt avec les Andrade, Scarone ou Cea, grandes vedettes du onze uruguayen qui était venu s'imposer lors des JO de Paris. L'Uruguay, justement, fait partie des grands absents de la compétition. Comme en 1934, les champions du Monde 1930 ont renoncé à traverser l'Atlantique pour se frotter de nouveau au gratin du football mondial. Autre absent de marque, l'Angleterre, la nation-mère du football qui daigne toujours participer à un tournoi qu'elle juge indigne de son rang. Ce forfait anglais vient s'ajouter à ceux de l'Espagne, en pleine guerre civile, de l'Argentine, et de l'Autriche, annexé par le Reich. Dans ce contexte, la presse désigne assez rapidement l'Italie comme principal candidat à sa propre succession.
La France de 1938, un pays de foot ?
Lorsque l'on évoque la Coupe du Monde en France, les premières images qui nous viennent sont celles de 1998 : liesse populaire, partenariats publicitaires en tout genre, envahissement des Champs-Elysées, le parcours de la bande à Jacquet a été, après des débuts timides, suivi par tout un pays jusqu'à l'apothéose d'un soir de 12 juillet. Cette folie bleue qui gagna toute la France le temps d'un été, on ne la retrouve bien évidemment pas soixante ans plus tôt, en premier lieu car les Bleus de 1938, éliminés dès les 1/4 de finale par l'Italie, ne sont pas ceux de 1998. Cependant, il serait totalement faux de dire que la Coupe du Monde 1938 aurait été un échec populaire. En effet, le football football français est, à la fin des années 30, en nette progression. Après des années de vaches maigres, l'adoption du professionnalisme et la création du championnat de France en 1932 ont permis à l'élite des footballeurs du pays de progresser significativement. Obtenant désormais plus de résultats et offrant un spectacle de meilleure qualité, ils attirent de plus en plus de public. Adepte du football national, ce public va donc bien évidemment suivre un événement aussi important que la Coupe du Monde. Ainsi, tout au long du Mondial, les stades français accueilleront en moyenne 23 000 spectateurs, un chiffre plus que convenable lorsque l'on sait que certaines enceintes comme le Vélodrome municipal de Reims (actuel Stade Delaune) ne peuvent accueillir plus de 18 000 personnes. Cet intérêt du public pour l'événement est d'ailleurs largement secondé par l'intérêt de la presse française pour la compétition. S'il est évident que des journaux sportifs comme L'Auto y consacrent une bonne partie de leurs éditions, il est plus étonnant de voir un journal comme Le Figaro glisser des encarts sur ce Mondial au sein même de ses Unes. Plume sportive du journal, l'habituel apôtre de l'amateurisme André Reichel laisse même de côté ses attaques envers le football professionnel, tout heureux qu'il est de suivre pendant deux semaines "les ébats des meilleurs footballeurs du monde".
La Coupe du Monde et la publicité
Il est coutume de dire que "le foot c'était mieux avant, aujourd'hui, il n'y a plus que de la pub et de l'argent". Pourtant, football et publicité font bon ménage depuis bien longtemps. En effet, si l'Etat français passe complètement à côté de l'opportunité que représente la Coupe du Monde pour le rayonnement international du pays, les entreprises, elles, ne veulent pas laisser passer l'occasion de tirer profit de l'événement. Ainsi, La Poste édite des timbres "Coupe du Monde", la SNCF propose des réductions pour se rendre aux matchs et les marques d'alcool obtiennent des panneaux publicitaires au sein des stades. Pour certaines entreprises comme la Maison Allen, fournisseur exclusif des ballons pour le tournoi, la compétition constitue un coup de pub inespéré. A la recherche de fonds pour contrebalancer l'absence de soutien financier de l'Etat français, la F.F.F et la FIFA multiplient les partenariats. Comme l'explique l'historienne Joan Tumblety dans son article consacré au Mondial français, la brochure officielle de la compétition est constituée pour moitié de publicités diverses et variées.
Le film de la Coupe du Monde
Des timbres, des pubs et ... des images ! Avec la Coupe du Monde en France, le football passe doucement mais sûrement à l'heure de la médiatisation sur écran. En effet, pour la première fois dans l'histoire, un Mondial a le droit à son propre film. D'une durée d'une trentaine de minutes ce petit trésor pour les historiens ne doit pourtant son existence qu'à la clairvoyance d'Henri Delaunay, secrétaire général de la F.F.F. de l'époque. Intrigué par la proposition de René Lucot de réaliser un film sur la Coupe du Monde, Delaunay convainc le Bureau de la Fédération de soutenir financièrement cette initiative. Le résultat est une source inestimable. Captant l'intégralité de la compétition, le réalisateur a immortalisé l'essentiel des moments forts de la compétition. Ainsi, on peut y voir les images de l'incroyable Brésil - Pologne (6-5) mais aussi celles de la finale entre l'Italie et la Hongrie. Outre les rencontres en elles-mêmes, René Lucot s'est également attelé à montrer au public le quotidien des joueurs de football pendant la compétition. Si aujourd'hui de telles images inondent les réseaux sociaux, elles sont pour l'époque extrêmement rares : moments privilégiés, elles nous permettent de nous rendre compte de la vie au des sélections nationales de la première moitié du siècle dernier.
Le film de la Coupe du Monde 1938 (en italien et non en français comme indiqué sur la vidéo.)
A lire sur le même sujet
Tumblety, Joan. « La Coupe du monde de football de 1938 en France. Émergence du sport-spectacle et indifférence de l'État », Vingtième Siècle. Revue d'histoire, vol. no 93, no. 1, 2007, pp. 139-149.
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