« Hacking » et « Dribbling »
Un siècle. Voilà approximativement le temps qu’il aura fallu au football pour sortir du berceau des universités qui l’ont vu naître. En effet, malgré son apparition au sein des grandes écoles anglaises dès le milieu du XVIIIème siècle, le football était longtemps resté un sport exclusivement destiné aux étudiants. L’une des raisons de cette absence de développement du football dans la société de l’époque réside dans l’absence de règles communes entre les différentes universités. Dans chacune d’entre elles, le football était pratiqué de façon différente et les règles appliquées faisaient partie intégrante de l’identité de l’université : certaines avaient pour préférence le hacking, un style de jeu très rude où tous les coups étaient autorisés ou presque tandis que d’autres préféraient la finesse du dribbling, une façon de jouer moins violente dans laquelle le jeu au pied occupait une place prépondérante.
Parmi les différences de règles entre deux écoles, la principale concernait l’utilisation des mains, tolérée à Rugby, Marlborough ou Cheltenham mais proscrite à Eton, Shrewsbury ou Westminster. En règle générale, les partisans du hacking autorisaient les mains tandis que les adeptes du dribbling avaient tendance à les proscrire. Il n’en restait pas moins que, à cause de ce manque d’uniformité des règles, les rencontres entre différentes universités étaient pratiquement inexistantes ce qui empêchait la pratique de se développer. De plus, la violence inhérente au football des universités était également problématique. En effet, si la pratique d’un tel sport pouvait être tolérée pour de jeunes hommes, il en était tout autre pour de jeunes « gentlemen » diplômés. Ainsi, ils étaient relativement peu nombreux à poursuivre la pratique du football au-delà de leurs études.
Prolongations à Sheffield
Pourtant, quelques irréductibles du ballon rond ne purent se résoudre à abandonner la pratique de ce sport dont ils étaient tombés amoureux. Ils décidèrent donc de continuer à se réunir après leurs études pour disputer des parties de football, souvent dans des prés où ils pouvaient délimiter grossièrement les limites du terrain. Un de ces prés se trouvait à Sheffield, dans le quartier d’Highfield. Situé à côté de Parkfield House, une demeure appartenant à Thomas Asline Ward, un notable de la région, le pré de Highfield servait de terrain de jeu à quelques anciens de la Sheffield Collegiate School qui se retrouvaient de temps à autres pour disputer un match. Avant ces rencontres dans le pré d’Highfield, les joueurs avaient reçu l’autorisation de se changer dans un petit hangar de Parkfield House, ce même hangar où ils allaient écrire l’histoire le 24 octobre 1857.
Ce jour-là, quelques minutes avant le début d’une nouvelle rencontre, les joueurs se réunirent pour fonder officiellement le Sheffield Football Club. Ils désignèrent comme premier président Frederik Asline Ward, fils du propriétaire de Parkfield House. Dans un premier temps, les membres du club s’affrontaient entre eux en opposant par exemple les mariés aux célibataires, à l’image de ce qui se faisait parfois lors des parties de soule au Moyen Age. Jusqu’à 1858, les matchs se déroulent également sans règle définie, même si les règles de la Sheffield Collegiate School doivent être communément admises puisque 30% des joueurs en sont issus. Pendant près d’un an, le football pratiqué à Sheffield doit alors ressembler au sport rêvé d’un Cyril Rool ou d’un Jacques Mairesse : tous les coups sont permis !
« The Sheffield Rules »
Au bout de quelques temps, la situation devient intenable. Faute ou pas faute, but ou pas but, simulation ou jambe réellement pliée en quatre ? Les litiges se multiplient et la nécessité de mettre de l'ordre dans ce chaos apparaît aux yeux de tous. Pour réorganiser leur football, les membres du club éditent donc leurs premières règles dès 1858, règles qui seront bientôt connues comme étant les « Sheffield Rules ». Mettre au point ces règles n’est cependant pas chose aisée. En effet, en plus de la question quant à l’utilisation ou non des mains, de nombreuses divergences existent vis-à-vis du seuil de violence autorisé. Pour certains, celui-ci doit être considérablement réduit car il serait mal vu que les « gentlemen » pratiquant le football (souvent des médecins, avocats ou autres) aient une apparence négligée du fait de blessures contractées au cours d’un match. Imaginez simplement un avocat plaidant dans une affaire de bagarre tout en ayant lui-même un œil au beurre noir… Pour d’autres, réduire le seuil de violence autorisé reviendrait à édulcorer ce qui fait l’essence même du football à savoir les contacts virils entre adversaires. A Sheffield, c’est la première opinion qui l’emporte. Ainsi, les coups de pieds, de poings et autre coups violents sont interdits, seules les charges et les poussettes restant autorisées. En revanche, l’utilisation des mains n’est pas totalement prohibée : les joueurs sont autorisés à pousser ou frapper le ballon de la main mais pas à progresser avec. Le fair touch, qui consiste à se saisir de la balle à la main lorsque celle-ci est dans les airs avant de repartir au sol par un jeu au pied est également autorisé.
A l’aube du coup d’envoi
La création du club Sheffield FC et la mise à l’écrit de règles officielles vont enfin permettre au football de se développer en dehors des universités. En 1860, le premier match de l’histoire entre deux clubs différents peut enfin avoir lieu. Il oppose le Sheffield FC au Hallam Football Club, autre club de la banlieue de Sheffield. Cette fois, le football est bel et bien lancé dans la région et, en 1862, quinze clubs ont d’ores-et-déjà vu le jour dans la région de Sheffield ainsi que des dizaines d’autres dans le reste de l’Angleterre. Conscients de ce développement spectaculaire, des clubs londoniens saisissent l’importance de créer une institution qui sera suffisamment puissante pour unifier les lois du jeu et organiser des compétitions. La mythique Football Association s’apprête à voir le jour…
A suivre…
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