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Le football à travers les siècles : l'Equipe de France de l'après-guerre (31/X)

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, l'Equipe de France va, durant deux saisons, enregistrer les meilleurs résultats de son histoire avant de s'effondrer subitement à l'approche de la Coupe du Monde 1950. Récit d'une embellie de courte durée.

L'Equipe de France qui affronta l'Ecosse en 1948. Photo : "AllezRedStar.com"

Les adieux de la vieille garde


"Nouvelle attaque des avants autrichiens, le ballon est dans les pieds de Johann Riegler, Jordan vient à son contact mais il se fait éliminer et tombe à la renverse... Pauvre Gusti, le poids des années semble définitivement l'avoir rattrapé. Riegler donne le ballon à Binder qui la lui remet, il centre pour Decker et ça fait but ! 4-1 pour l'Autriche, un match définitivement à oublier pour l'Equipe de France !"


Nous sommes le 6 décembre 1945 et, sur la pelouse du Stade du Prater de Vienne, le temps vient de faire une nouvelle victime. Son nom ? Gusti Jordan. Depuis 1938, ce dernier était la pierre angulaire de la sélection française. Doté d'une science du jeu exceptionnelle, toujours bien placé et excellent récupérateur, "Gusti" était le demi-centre (équivalent du milieu défensif) incontesté des Bleus, celui que n'importe quelle sélection aurait voulu avoir dans son équipe. Mais, en ce lendemain de désillusion pour un onze français humilié 4-1 en Autriche, Jordan n'est plus qu'un joueur de 36 ans lent, emprunté, bien loin du niveau requis pour les rencontres internationales. Son sélectionneur Gaston Barreau ne s'en est d'ailleurs pas caché au moment de justifier la lourde défaite : "(il) ne pouvait pas s'attendre à un si mauvais match de Jordan".

Plus que la dernière sélection du "Baby de Linz", cette rencontre face à l'Autriche marque le chant du cygne de toute une génération. Outre Gusti, l'olympien Jean Bastien connaît ce soir là lui aussi sa dernière sélection tandis que Maurice Dupuis connaîtra une dernière cape en Bleus neuf jours plus tard face à la Belgique. Bientôt, ce sera au tour de Roger Courtois d'effectuer une dernière pige avant de rejoindre au rang des souvenirs les Mattler, Diagne, Bourbotte, Vandooren et tous les autres piliers des années 30 ayant connu leurs dernières sélections lors des trois matchs disputés pendant la Seconde Guerre Mondiale (le premier en 1940, les deux autres en 1942). Des anciens d'avant-guerre, ne restent en 1945 que Larbi Ben Barek, de retour après six années d'exil au Maroc, Julien Darui, le légendaire gardien de but, Oscar Heisserer et Fred Aston, nommé capitaine. Hommes forts d'une équipe enfin rajeunie, ces quatre piliers du football français d'avant-guerre vont parfaitement encadrer la nouvelle garde pour permettre à l'Equipe de France d'enregistrer les meilleurs résultats de son histoire pendant deux saisons.


Les nouveaux Bleus


Après les déconvenues de la fin de l'année 1945 (la défaite face à l'Autriche est suivie d'une défaite 2-1 contre la Belgique), le très conservateur sélectionneur Gaston Barreau se voit dans l'obligation d'injecter du sang neuf pour l'année 1946. En défense, si Darui reste intouchable dans les buts, la ligne arrière est presque totalement remaniée. Par rapport aux défaites de décembre 1945, seul le défenseur du RC Paris Marcel Salva est reconduit. Aligné en charnière avec le jeune stéphanois André Grillon, Salva s'affirme comme un taulier de cette nouvelle équipe de France. Pour le poste de demi-centre en revanche, aucun nom ne se dégage réellement pour remplacer Jordan. Dans l'impasse, Barreau fait confiance au jeune Antoine Cuissard, milieu offensif de métier. Pas une mince affaire comme le principal intéressé le reconnaîtra lui-même :


"Moi Antoine Cuissard, pivot de l'équipe tricolore ! Subitement, j'eus peur de ne pas pouvoir assurer cette responsabilité, dont, de l'avis de tous, je supportais aisément les conséquences au sein de ma nouvelle formation. Prendre la succession de Jordan me paraissait une difficulté insurmontable."


Malgré ses craintes, "Tatane" va plus que faire l'affaire à son nouveau poste, solidement épaulé par deux hommes d'expérience : le rennais Jean Prouff et le demi du Red Star Lucien Leduc. Respectivement âgés de 27 et 28 ans, tous deux font partie de cette génération de joueurs s'étant imposés en club au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Simples espoirs en 1939, ils sont en 1946 des joueurs aguerris, totalement prêts pour le football international. Devant, outre les anciens Aston, Heisserer et Ben Barek, le sélectionneur décide de faire confiance à René Bihel et Ernest Vaast. Déjà reconnu avant la guerre, le lillois René Bihel est devenu le meilleur attaquant du pays pendant le conflit. Lors de la fameuse saison des équipes fédérales de 1943-1944, il avait explosé les compteurs en n'inscrivant pas moins de 38 buts en 27 rencontres sous le maillot de Lille-Flandres. A l'instar de Prouff et Leduc, il fait donc partie de ces joueurs qui auraient dû connaître l'honneur de la sélection depuis déjà de nombreuses années si la guerre n'avait pas eu lieu. Ernest Vaast en revanche, présente un tout autre profil. Buteur du RC Paris, ce jeune attaquant de 24 ans n'avait commencé à se faire un nom que lors de la saison 1944-1945. A l'instar de Milo Bongiorni qui a fait ses débuts en 1945, Vaast fait réellement partie de cette nouvelle garde amenée à prendre le relai des vedettes déclinantes d'avant-guerre.


Les "gentlemen" anglais...

Forte de ce rajeunissement, l'Equipe de France va connaître pendant deux années un petit "âge d'or". En 1946, elle dispute quatre matchs au mois d'avril et de mai. Si le succès face à la Tchécoslovaquie (3-0), est contrebalancé par une défaite au Portugal (1-2), les Bleus vont finir cette série par deux résultats probants. Tout d'abord, le 5 mai 1946, les coéquipiers du capitaine Fred Aston se voient donner l'occasion de se venger de l'Autriche après la débâcle de décembre 1945. Ils ne la manqueront pas. Dans un stade Yves du Manoir de Colombes bien rempli, les Bleus prennent le meilleur sur des Autrichiens à la recherche de leur glorieux passé. Grâce aux arrêts de Darui, à une belle frappe de Vaast et à deux buts sur corner signés Leduc et Heisserer (corner direct), les Français s'imposent 3 buts à 1 et font le plein de confiance, deux semaines avant de recevoir l'Angleterre pour un match au sommet. En effet, même s'ils ont dédaigné jusqu'ici participer à la Coupe du Monde, les Anglais sont alors encore considérés comme les plus brillants footballeurs de la planète. Ainsi, une victoire face à de tels adversaires démontrerait que l'Equipe de France s'assoit désormais à la table des toutes meilleures équipes du monde.

Pour relever cet incroyable défi, Barreau choisit logiquement de faire appel au même onze que face à l'Autriche à l'exception de René Bihel, remplacé par le jeune buteur de Reims Pierre Sinibaldi, qui connaît là son unique sélection. En face, les Anglais alignent leur meilleure équipe avec dans leurs rangs le futur Ballon d'Or Stanley Matthews et l'avant-centre Tommy Lawton, considéré comme l'un des meilleurs attaquants de son époque. Pourtant, ce sont bien les Français qui vont rapidement prendre le devant. Parfaitement organisés dans un WM hérité du football anglais, Cuissard et consorts parviennent à étouffer leurs adversaires par une activité de tous les instants. Devant, pour sa dernière sélection, le feu-follet Fred Aston retrouve ses jambes de 20 ans tandis que Ben Barek fait toujours autant merveille. Maintenus dans le match par Darui en première période, les Bleus accélèrent en seconde et inscrivent deux buts par Prouff et Vaast. L'Angleterre réduira le score en fin de match mais ne reviendra pas : la France tient son exploit. Brillante offensivement, impressionnante physiquement au milieu de terrain, cette équipe de France est même considérée par son ancien défenseur Jules Vandooren comme "meilleure qu'en 1939". La comparaison n'est pas des moindres lorsque l'on sait que Vandooren faisait partie de cette équipe de 39 qui était considérée jusque là comme la meilleure de l'histoire des Bleus. Quant aux Anglais, ils vivront cette défaite comme une véritable humiliation. Pour ne pas perdre la face, la Fédération Anglaise décidera après la rencontre de ne pas homologuer celle-ci, en la classant comme une "rencontre de bienfaisance". De vrais gentlemen !


Retour sur Terre


Dans la foulée de cette superbe cuvée 1946, les Bleus vont réaliser une année 1947 encore plus impressionnante. S'appuyant sur l'ossature des succès face à l'Angleterre, les hommes de Barreau enregistrent cinq victoires en six matchs, leur seule défaite étant face aux Anglais à Wembley. Signe de la bonne forme de la sélection tricolore, Julien Darui et Jean Prouff sont sélectionnés, dix ans après Fred Aston, dans l'équipe du Continent pour affronter l'Ecosse en mai 1947. Pour autant, ce petit âge d'or ne va pas s'éterniser. Dès 1948, les Bleus enregistrent des performances en dents de scie (2 victoires 1 nul 2 défaites). Rattrapés par les années, les derniers cadres des années 30 qu'étaient Ben Barek, Darui, Aston et Heisserer sont écartés mais aucun remplaçant ne se montre réellement du même acabit. Ainsi, après trois années de bonnes factures, 1949 va marquer le retour sur Terre pour cette Equipe de France. Endeuillés par la disparition de Milo Bongiorni dans la catastrophe de Superga, les Bleus enchaînent les contre-performances. Adjoint de Gaston Barreau depuis la fin de la guerre et véritable homme fort de la sélection, Gabriel Hanot est évincé après une correction face à l'Espagne en mai (défaite 1-5 à Colombes). Son remplaçant Paul Nicolas échouera quant à lui à qualifier les Bleus pour la Coupe du Monde au Brésil. Elogieuse en 1947, la presse ne se montre pas tendre envers les tricolores, L'Equipe allant même jusqu'à déclarer qu'il n'y a "plus d'Equipe de France". Après une période dorée de deux années, les Bleus s'apprêtent à connaître une longue période de disette qui ne prendra fin qu'avec l'avènement du duo Kopa-Fontaine lors de la Coupe du Monde 1958...

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