En 1934, l'Italie remporte la deuxième Coupe du Monde de football de l'histoire, devant son public. Toutefois, à l'étranger, de nombreux observateurs dénoncent un arbitrage qui aurait favorisé la Squadra durant tout son parcours. Au centre des critiques, le Suédois Ivan Eklind, arbitre de la demi-finale et de la finale de l'Italie. Portrait d'un homme en noir.
L’homme en noir et le Mondial
Maître du jeu et des règles, l’arbitre a joué un rôle majeur dans quelques unes des plus grandes affiches de l’histoire de la Coupe du Monde. En n’expulsant pas Harald Schumacher, en accordant le but de la main de Diego Maradona ou en renvoyant Zinédine Zidane aux vestiaires un soir de juillet 2006, l’homme en noir a contribué à écrire certaines des pages les plus légendaires de l’histoire du Mondial …. mais parfois aussi des plus sombres, comme va nous le montrer l’histoire d’Ivan Eklind, arbitre suédois de la finale de la Coupe du Monde 1934 entre l’Italie et la Tchécoslovaquie.
Le précédent Mercet
Pour la première Coupe du Monde de l’histoire disputée sur le sol européen, le monde du football se retrouve en Italie à l’été 1934. Dirigé par le Duce Benito Mussolini, le pays connaît alors un regain de croissance et ce Mondial est un excellent moyen d’affirmer cette puissance retrouvée. Pour cela, l’organisation se doit d’être parfaite et l’Italie, en tant que pays hôte, n’a d’autre choix que de briller. Peu enclin à laisser la si hasardeuse loi du sport dicter de la réussite ou non d’un tel événement, le régime fasciste de Mussolini va s’activer en coulisses pour que la Squadra Azurra obtienne les meilleurs résultats possibles. Ainsi, après un premier tour plus que facile face aux Etats-Unis (victoire 7-1), les hommes du sélectionneur Vittorio Pozzo vont bénéficier d’un renfort de poids pour les quarts de finale. Son nom ? René Mercet, arbitre suisse. En effet, après un premier match particulièrement violent à l’issue duquel Espagnols et Italiens n’ont pu se départager (1-1 après prolongations), les deux adversaires se retrouvent le 1er août 1934, soit le lendemain du premier match, pour une deuxième confrontation. Des deux côtés, de nombreux changements sont effectués à cause des nombreuses blessures endurées par les joueurs la veille. Autre changement significatif, l’arbitre, puisque le Belge Louis Baert laisse sa place au Suisse René Mercet. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que celui-ci ne va pas se montrer fidèle à la réputation de neutralité de son pays. Fermant les yeux sur les attentats répétés des joueurs italiens, et notamment ceux de Luis Monti, il accorde un but entaché d’une faute grossière à Giuseppe Meazza dès la 11ème minute. Les Ibériques ne reviendront plus et l’Italie filera en 1/4 de finale. Sévèrement critiqué au lendemain de la rencontre (l’ex international français Lucien Gamblin déclarera par exemple que Mercet « doit prendre ses invalides »), l’arbitre de la rencontre sera radié à vie par sa Fédération à son retour d’Italie. La raison ? Celui-ci aurait été corrompu par le régime du Duce afin de favoriser la victoire des Italiens.
La rancœur de Josef Bican
En 1998, au crépuscule de sa vie, l’autrichien Josef Bican, qui fut longtemps le meilleur buteur de l’histoire du football, se souvenait de la demi-finale de la Coupe du Monde 1934 face à l’Italie. Il déclarait « C’était incroyable. En cours de jeu, il (l’arbitre) passait le ballon à l’adversaire. Et le but italien fut accordé malgré une faute évidente ». L’arbitre incriminé par Bican n’est cette fois pas ce bon M. Mercet mais son successeur au sifflet lors de ce Mondial 1934, le suédois Ivan Eklind. La réputation de ce dernier est aujourd’hui sulfureuse. On l’accuse d’avoir dîné avec le Duce, d’avoir stoppé une occasion des Autrichiens d’un coup de tête et d’avoir été l’artisan majeur du succès Italien en 1934. Pour démêler le faux du vrai, nous sommes allés recueillir les impressions des acteurs et observateurs dans la presse de l’époque. La première chose que l’on peut affirmer, c’est qu’aucun journal ne relate la fameuse interception d’Eklind. Etait-elle clairement involontaire au point que les journalistes de l’époque ne l’aient pas relevé ou n’a-t-elle jamais existé ? Impossible de le savoir. En revanche, l’absence de cette histoire n’est pas suffisante pour pouvoir réhabiliter Eklind. Si Gabriel Hanot estime que le Suédois fut « excellent et le meilleur arbitre de ce tournoi mondial », il est bien seul à défendre cette théorie. En effet, toute la presse dénonce l’attitude de celui-ci et son absence de sanctions à l’encontre du boucher Luis Monti. Demi-centre rugueux finaliste de la Coupe du Monde avec l'Argentine en 1930, celui qui porte désormais le maillot de la Squadra met hors d’état de nuire le génial Sindelar dès la cinquième minute sans que l’homme en noir ne réagisse. Surtout, à la 19ème minute, il ne dit mot non plus lorsque Giuseppe Meazza charge le gardien autrichien Platzer, empêchant celui-ci d’intervenir alors qu’Enrique Guaita pousse le ballon dans les filets. Beau joueur, c’est la seule erreur que relèvera le sélectionneur autrichien Hugo Meisl après la rencontre : « Le but des italiens était irrégulier, mais je reconnais leur victoire morale, ils ont joué avec plus de cœur ».
Corrompu ou influençable ?
Au lendemain de la demi-finale, les deux futurs finalistes que sont les Tchécoslovaques et les Italiens essayent tous deux de soutenir leur candidat pour arbitrer la finale. Côté tchécoslovaque, on réclame l’Allemand Peco Bauwens ou le Belge John Langenus qui fut au sifflet de la finale de la première Coupe du Monde quatre ans plus tôt. Arbitre du premier match des Tchécoslovaques contre la Roumanie, Langenus est toutefois hors-course pour avoir refusé d’effectuer le salut fasciste au cours de ce match. Dans ces conditions, c’est donc Eklind, le favori des Italiens qui est désigné. Et, sans surprise, celui-ci va une fois encore fermer les yeux sur les attentats de Monti tout au long de la rencontre. Avec la complicité de cet homme en noir conciliant, les Italiens s’imposent 2 buts à 1 et soulèvent la première Coupe du Monde de l’histoire. Eklind, lui, poursuivra une très belle carrière internationale puisqu’il arbitra de nouveau lors des Coupes du Monde 1938 et 1950. Alors, comment juger celui qui fut accusé d’avoir eu « la main quelque peu forcée par le public transalpin dont le chauvinisme dépassa tout ce qu’on peut imaginer » (Ce Soir, 20 juin 1938) ? Difficile de trancher. S’il apparaît clairement que Mercet, arbitre habituel des rencontres amicales de l’Italie et radié après le Mondial a été corrompu, difficile de l’affirmer aussi clairement pour Eklind, en partie parce qu’il n’a jamais fait l’objet de sanctions pour son arbitrage au cours de la Coupe du Monde italienne. S’il est entendu que ses décisions ont favorisé l’Italie, les observateurs de l’époque estiment pour beaucoup qu’il a cédé à l’énorme pression du public. On rajoutera à cela, la pression tout aussi énorme d’un régime gouverné par un dictateur déterminé à voir son pays triompher. Maintes fois évoquées, la solitude de l’homme en noir n’a peut-être jamais été aussi vraie que pour le cas d’Ivan Eklind en cet été 1934.
Commentaires