Le 16 juillet 1950, à l'occasion de la première finale de Coupe du Monde depuis douze ans, le Brésil reçoit l'Uruguay pour s'offrir le premier titre de son histoire. Mais un petit attaquant dénommé Alcides Ghiggia va en décider autrement.
La fin d'une époque
A l’heure où les terrasses parisiennes commencent à se remplir, les 45 000 spectateurs réunis au Stade-Yves-du Manoir de Colombes ont les yeux rivés sur un petit attaquant italien serrant des mains dans la tribune officielle. A l’extérieur du stade, ils sont des dizaines et des dizaines autour d’un poste de radio, branchés sur les ondes de Radio PTT ou Radio Paris. Tous sont attentifs à la voix qui s’élève de la machine : « Il est très exactement 19h03 ici à Colombes et, en ce 19 juin 1938, le capitaine italien Giuseppe Meazza s’approche du président de la République Albert Lebrun qui va lui remettre le trophée tant convoité. Et voilà, c’est fait ! L’Italie est sacrée championne du Monde pour la deuxième fois de son histoire ! » Au milieu des Locatelli, Ferrari, Colaussi, du héros du match Piola et de l’entraîneur Vittorio Pozzo, Meazza peut savourer. Avec Giovanni Ferrari, il est le seul rescapé du titre mondial de 1934. Et à 28 ans, le buteur de l’Inter Milan peut rêver plus loin. Dans la brise de ce début de soirée parisienne, peut-être pense-t-il déjà à 1942 et à un troisième titre mondial ? Hélas, l’heure n’est déjà plus aux songes et le monde se prépare au coup d’un envoi d’un match que beaucoup ne finiront pas.
Un monde à reconstruire
26 juillet 1946. Huit années ont passé depuis cette soirée parisienne et Meazza s’apprête à disputer la dernière saison de sa carrière. A 36 ans, il appartient déjà au passé. Le futur, c’est au Luxembourg qu’il se joue puisque c’est ici que le congrès de la FIFA s’apprête à se réunir. Après plusieurs heures de concertation, plusieurs décisions sont prises : l’URSS est admise au sein de la FIFA, le trophée de la Coupe du Monde devient la « Coupe Jules Rimet » en l’honneur du président de la Fédération Internationale toujours en exercice. Surtout, la Coupe du Monde 1949 est attribuée au Brésil, tandis que l’édition 1951 doit revenir à la Suisse. Ce calendrier resserré avec deux Coupe du Monde en 2 ans avait pour but de rattraper le temps perdu avant de reprendre l’organisation d’origine. Finalement, ce projet sera abandonné et la Coupe du Monde au Brésil sera reportée à 1950.
A des milliers de kilomètres de Luxembourg, dans son bureau de Rio de Janeiro, le journaliste Mário Filho est en ébullition. Dans son Jornal dos Sports, il s’apprête à débuter une intense campagne en faveur de la construction d’un grand stade au centre-ville de Rio, condition sine qua none à la réussite de cette Coupe du Monde. Malgré les hésitations des politiques et la volonté de certains de construire ce stade dans un quartier ouest de Rio, Filho tient bon et obtient gain de cause. Le 20 janvier 1948, la première pierre du stade municipal de Rio est posée dans le quartier de Maracana. Baptisé « Maracana » par la population, le stade prendra le nom de Mário Filho à la mort de celui-ci en 1966.
Le Brésil réussit son entrée
Grâce à l’abnégation du journaliste du Jornal dos Sports, le Maracana est une vraie réussite architecturale. Dotée d’une capacité de 200 000 places, l’enceinte est inaugurée lors de l'entrée en lice du Brésil dans sa coupe du Monde, le 24 juin 1950. La rencontre est une réussite totale puisque les Auriverde s’imposent 4-0 face au Mexique. Si le match nul face à la Suisse (2-2) concédé au Stade Pacaembu de São Paulo soulève quelques doutes, la victoire des brésiliens dans leur nouvelle enceinte fétiche face à la Yougoslavie leur permet de terminer 1er de leur poule et donc de se qualifier pour la poule finale. En effet, lors de la Coupe du Monde 1950 et pour la seule fois dans l’histoire, les vainqueurs des quatre groupes se qualifiaient pour une poule finale, le premier de celle-ci remportant la Coupe du Monde.
Dans cette poule finale, les Brésiliens retrouvent la Suède, l’Espagne et l’Uruguay, unique pays parmi les quatre à avoir déjà décroché le Graal. Pourtant, c’est bel et bien le Brésil qui va vite s’affirmer comme le grand favori. Portés par un Ademir en feu, les Brésiliens s’imposent 7-1 contre la Suède et 6-1 contre l’Espagne et peuvent aborder leur dernier match face à l’Uruguay avec confiance. D’ailleurs, la Céleste ayant concédé le nul face à l’Espagne, il suffirait d’un nul au Brésil pour être sacré champion du monde pour la première fois de son histoire.
Le Maracanaço
Heureux hasard, le dernier match de la compétition qui a lieu le 16 juillet 1950 est donc une véritable finale. Dans un Maracana au sein duquel les brésiliens n’ont pas encore connu la défaite, les hommes de Flavio Costa s’avancent avec confiance. Si la première mi-temps ne permet pas aux équipes de se départager, le but de Friaça à la 47ème minute libère les 200 000 spectateurs brésiliens. En revanche, sur le terrain, les brésiliens ne sont toujours pas au mieux et 20 minutes plus tard, l’impensable se produit. Bien servi par Alcides Ghiggia, Schiaffino égalise et plonge le Maracana dans la torpeur. Sonnés mais pas abattus, les brésiliens tentent tant bien que mal de repartir à l’attaque pour arracher la victoire. Cette erreur leur sera fatale. A dix minutes de la fin, Perez lance Ghiggia en profondeur sur le côté droit. Celui-ci s’apprête à centrer lorsqu’en levant la tête, il voit le gardien brésilien Barbosa quitter sa ligne de but pour anticiper le centre. Alors sans réfléchir, Ghiggia tire, et du haut de ses 23 ans, plonge un pays entier dans le silence. Le Brésil ne reviendra pas, l’Uruguay est championne du Monde pour la deuxième fois de son histoire.
Les conséquences de ce match seront terribles. Au sein même du Maracana, une personne se suicide et trois autres meurent d’une attaque cardiaque. Barbosa, le gardien brésilien fautif sur le but de Ghiggia deviendra quant à lui un paria dans son pays. Quelques temps avant sa mort, il déclarera « au Brésil, la peine maximale est de 30 ans, moi j’ai été condamné à perpétuité ». Véritable traumatisme national, le "Maracanaço" (choc du Maracana en français) a profondément marqué le pays. Dans un quartier pauvre de la ville de Bauru, un homme en pleurs est consolé par son fils de 9 ans : "un jour, je te ramènerai cette Coupe du Monde" lui promet-il. Huit ans plus tard, le jeune Pelé tiendra sa promesse lors du Mondial Suédois.
Du côté uruguayen, ce match est encore célébré comme étant le plus grand match de l'histoire de la sélection. Héros de la finale, l'attaquant Alcides Ghiggia deviendra une véritable icone en Uruguay et sera l’auteur d’une phrase demeurée célèbre : « Seules trois personnes ont fait taire le Maracana : Frank Sinatra, le pape et moi ».
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