top of page

Le football à travers les siècles : la Colombie, Eldorado du football mondial (30/X)

Entre 1949 et 1954, à la suite de la scission entre la Dimayor, Ligue de Football Professionnel Colombienne et la Fédération Colombienne, le championnat colombien devient un véritable Eldorado du football mondial. Explications.

Alfredo Di Stefano sous le maillot des Millonarios de Bogota

Les débuts de la Dimayor


Comme ce fut le cas en Angleterre à la fin du XIXème siècle ou en France en 1932, le football colombien devint professionnel à l'été 1948. Pour l'occasion, une Ligue de Football Professionnelle, la Dimayor, est créée et un championnat national est mis en place avec les meilleures équipes du pays. Dès les premières journées, le succès est au rendez-vous : tribunes pleines, soutien de la presse et de la radio, etc. Dans un pays en proie à une terrible guerre civile, l'émergence de ce championnat permet aux populations de s'échapper un peu de leur quotidien rythmé par la violence. Disposant donc d'un grand soutien populaire, les clubs sont également soutenus financièrement par des entreprises privées possédant de larges moyens financiers. Toutefois, il leur est dans un premier temps impossible de faire n'importe quoi de cet argent, leur ambition étant freinée par les réglementations de la Fédération Colombienne et de la FIFA. Désireux de s'affranchir de ces restrictions, les clubs sont à l'affût de la première occasion qui pourrait leur permettre de prendre leur liberté. Ils n'auront pas à attendre longtemps...


La grève des footballeurs argentins


Novembre 1948, Argentine. En conflit depuis plusieurs semaines avec la fédération argentine, proche du pouvoir, les footballeurs professionnels argentins décident de se mettre en grève. Lassés par la précarité de leur situation, ils réclament l'instauration d'un salaire minimum, du contrat à temps (contre le contrat à durée indéterminée en place jusqu'ici qui les rendait "prisonniers" de leur club) et la reconnaissance officielle du syndicat qu'ils ont fondé. Alors que les discussions entre les deux parties sont entamées en Argentine, en Colombie, les dirigeants de club voient en cette situation l'occasion rêvée de se développer à vitesse grand V. Ni une, ni deux, plusieurs d'entre eux filent en Argentine pour offrir un pont d'or aux joueurs grévistes. Malgré la concurrence, ce sont les Millonarios de Bogota qui décrochent le gros lot : en quelques semaines, ils parviennent à faire signer le meilleur joueur argentin du moment Adolfo Pedernera ainsi qu'un jeune attaquant prometteur de 22 ans : un certain Alfredo Di Stéfano. En Argentine, on crie au scandale puisque ces transferts se font sans aucune compensation financière et sans se soucier des réglementations de la FIFA concernant les contrats. Mais les joueurs, bien trop heureux des conditions financières proposées, filent à l'anglaise vers le nouvel Eldorado du football. Bien entendu, leurs motivations ne sont pas sportives comme l'avouera très clairement Di Stéfano des années plus tard :


"J'ai hésité. Mais quand les dirigeants des Millonarios m'ont annoncé ce que j'allais toucher, j'ai fait mes valises sans me poser de question. (...) Je gagnais autant d'argent en un an qu'en dix ans à River Plate. (...). Si River m'avait offert le même salaire (...), je serais resté en Argentine, c'est sûr. (...) Il y avait énormément de joueurs étrangers (...), tous là pour une seule chose: l'argent." A. Di Stéfano


L'Eldorado du football


Sans surprise, la FIFA et la Confédération Sud-Américaine de football ne restent pas de marbre devant les agissements des clubs de la Dimayor. Dès le printemps 1949, le championnat colombien est déclaré illégal et la Colombie est exclue de la FIFA. Pourtant, bien loin de refroidir les ardeurs des clubs, ces exclusions les libèrent de toutes les réglementations dont ils souhaitaient de toute façon s'affranchir. Dès lors, tout ou presque est permis : le nombre d'étrangers par équipe n'est plus limité, les salaires s'envolent et de nombreux joueurs sont attirés sans aucune contrepartie financière accordée à leurs clubs d'origines. Ainsi, des Brésiliens, des Uruguayens, des Péruviens, des Hongrois et même un arbitre anglais débarquent en masse dans ce championnat hors-la-loi qui semble en mesure de devenir très rapidement la nouvelle place forte du football mondial. Armés jusqu'aux dents, les Millonarios de Di Stéfano trustent les victoires en championnat et se paient même le luxe de triompher du Real Madrid en 1952 (victoire 4-2 à l'occasion du cinquantième anniversaire du club Merengue...)


Le Pacte de Lima et la fin de l'âge d'or du football colombien


En guerre avec sa propre fédération, la Dimayor pousse le curseur toujours plus loin en refusant désormais que les joueurs soient libérés pour les matchs de sélection. Devant une situation qui s'envenime de plus en plus et qui commence à faire des émules en Bolivie, la Confédération du football sud-américain, appuyée par la FIFA, décide de se réunir pour régler le sujet en octobre 1951. A l'issue de cette réunion, le "pacte de Lima" est signé. Celui-ci stipule que les joueurs partis en Colombie pourront y rester jusqu'au 25 octobre 1954, date à laquelle ils devront retourner dans leur club d'origine. Entre temps, les joueurs ne pourront être transférés sans l'accord de leur club d'origine. Ainsi, le transfert rocambolesque d'Alfredo Di Stéfano au Real Madrid* sera le fruit de discussions extrêmement compliquées entre River Plate, son club d'origine, les Millonarios, son club en Colombie, le Barça qui souhaite l'enrôler en premier et enfin, le Real, qui raflera la mise. Le départ de "Don Alfredo" en 1954 symbolisera la fin de l'âge d'or du football colombien qui ne retrouvera jamais la grandeur qui fut la sienne durant ces années folles. Quant au fonctionnement de la Dimayor, jugé scandaleux pour l'époque, il était en réalité très proche du fonctionnement de l'immense majorité des grands championnats d'aujourd'hui. Autre temps, autres mœurs


Pour approfondir :


*: sur le sujet, nous vous conseillons cet excellent article d'Aurélien Ros : L'Affaire Di Stéfano ou la naissance du football mondialisé.

- P. DIETSCHY, Histoire du Football, Tempus, 2014

139 vues0 commentaire
Ancre 1
bottom of page