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Eugène Maës, de l'Equipe de France au camp de concentration

De l'Equipe de France au camp de concentration de Dora, retour sur la tragique histoire d'Eugène Maës, attaquant vedette des Bleus du début du XXème siècle.



De la guerre des fédérations


L’unité. Voilà bien un mot que ne connaît guère le football français du début du XXème siècle. Depuis son apparition dans l’Hexagone à la fin du siècle précédent, le ballon rond est regardé avec méfiance par les grands dirigeants sportifs de l’époque. Il faut dire que, de l’autre côté de la Manche, les footballeurs sont devenus d’odieux professionnels. « Professionnel ». Treize petites lettres qui suffisent à révulser les décideurs de l’U.S.F.S.A. (Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques), la plus grande fédération omnisports d’alors. Au sein de celle-ci, le football français peine à se développer. Si une Equipe de France voit bien le jour en 1904, elle ne reçoit guère de soutien de l’U.S.F.S.A.. Il faudra attendre 1908 pour que les choses commencent à évoluer. En conflit avec la FIFA, l’U.S.F.S.A. décide de claquer la porte de la Fédération Internationale. En conséquence, l’équipe de France U.S.F.S.A. ne peut plus affronter de nations affiliées à la FIFA, ce qui condamne quasiment l’organisation de rencontres internationales. Flairant le bon coup, une autre fédération de moindre envergure, le C.F.I. (Comité Français Interfédéral), saute sur l’occasion et obtient son affiliation à la FIFA. Désormais, l’équipe de France est sous son commandement.

Ce changement chamboule le football français. Les joueurs souhaitant évoluer dans des clubs appartenant au C.F.I. afin d’avoir une chance d’être retenu en sélection, les meilleurs clubs quittent l’U.S.F.S.A. et demandent leur affiliation au Comité Français Interfédéral. Très vite, les autres fédérations se voient dans l’obligation de demander elles mêmes leur affiliation au C.F.I. afin de ne pas perdre leurs clubs. Pour le Comité de sélection – il n’y a alors pas de sélectionneur unique en équipe de France -, cette situation est un véritable casse-tête. En effet, on compte au sein de ce comité des dirigeants venus des différentes fédérations affiliées au C.F.I. : la F.G.S.P.F. (Fédération Gymnique et Sportive des Patronages Français), la L.F.A. (Ligue de Football Association), la F.C.A.F. (Fédération Cycliste et Athlétique de France) et enfin l’U.S.F.S.A. elle-même à partir de 1913 ! On se l’imagine aisément, trouver un accord entre ces fédérations parfois antagonistes n’est pas toujours facile. Et, même lorsqu’un consensus est trouvé, encore faut-il convaincre les clubs de laisser leurs joueurs rejoindre la sélection. En 1910, le comité de sélection se heurte par exemple au refus du Patronage Olier, club participant au championnat de France de la F.C.A.F., de libérer ses joueurs. Parmi les concernés, on retrouve un jeune attaquant de tout juste 20 ans qui devra attendre encore un an avant d’honorer sa première sélection : Eugène Maës.


Coups de tête

Lorsque le Comité de Sélection de l’équipe de France coche son nom pour la première fois, Eugène Maës est, malgré son jeune âge, une figure déjà bien connue du football français. En effet, ce fils d’ébéniste n’a pas attendu la majorité pour s’imposer au sein du Patronage Olier, une des meilleures équipes de l’époque. Dès ses 17 ans, Maës s’est distingué à la pointe de l’attaque de son équipe, notamment grâce à un jeu de tête bien supérieur à la moyenne. Décrit comme « le joueur complet par excellence, joignant à un étourdissant jeu de tête d’admirables qualités de dribbleur et de shooteur »1, l’attaquant du « P.O. » vit mal de voir son club l’empêcher de rejoindre la sélection. Alors, à l’été 1910, le jeune homme plie bagage pour le Red Star, qui n’hésite pas à lui offrir de l’argent pour le convaincre de signer. Vingt-deux ans avant l’adoption du professionnalisme, l’idéal de l’amateurisme a déjà du plomb dans l’aile..

Grâce à son transfert, Maës voit enfin les portes de la sélection s’ouvrir à lui. A la fin du mois de décembre 1910, il est enfin convoqué en équipe de France pour affronter la Hongrie le 1er janvier. La nouvelle est saluée par le journal L’Auto qui considère déjà le jeune buteur comme « le meilleur centre-avant que l’équipe de France n’ait jamais eu »2. Si sa première sélection est mitigée (défaite 3-0), l’attaquant du Red Star ne tarde pas à faire parler la poudre. En avril, son doublé permet aux français d’arracher un match nul de prestige face aux Italiens (2-2), et ses buts face à la Suisse (2-5) et la Belgique (1-7) permettent aux Bleus de sauver l’honneur. L’année suivante, Maës remet ça : seul buteur lors du match nul face aux Belges (1-1), il score de nouveau lors de la revanche face à la Suisse (4-1) et, surtout, est le héros de la victoire française à Turin (3-4) ! Auteur d’un formidable triplé, l’attaquant de 21 ans est devenu en quelques mois la grande vedette du football français, avec son partenaire de club et de sélection Pierre Chayriguès. Le 20 avril 1913, à l’occasion de sa onzième sélection face au Luxembourg (8-0), Maës entre définitivement dans l’histoire des Bleus en devenant le premier joueur à s’offrir un quintuplé, une performance que seule Thadée Cisowski a réédité depuis. A 22 ans, le buteur du Red Star ne le sait pas encore mais cette performance historique sera son ultime apparition sous le maillot français.

Le soldat Maës


L’année 1914 marque incontestablement un tournant dans la carrière d’Eugène Maës. Alors qu’il connaissait jusqu’ici une ascension ininterrompue, l’avant-centre vedette des Bleus se retrouve éloigné des terrains pendant de longs mois à cause d’une blessure à l’adducteur. Sans lui, la France est en perdition. Après une courte victoire face aux Belges (4-3), les coéquipiers de Chayriguès enchaînent les contre-performances : défaite face au Luxembourg (4-5), l’Italie (0-2) et la Hongrie (1-5) et nul face à la Suisse (2-2). Mais très vite, le football devient secondaire. A l’été 1914, l’assassinat de François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, par un étudiant serbe entraîne des millions d’hommes sur le champ de bataille. Mobilisé dans l’infanterie, Maës est sévèrement blessé en 1914. Touché par une balle en pleine poitrine, il s’en sort miraculeusement et reprend le chemin du front. Désormais, son quotidien alterne entre batailles héroïques et rares matchs disputés avec le Red Star lors des permissions. Pendant quatre ans, l’ancien attaquant vedette du football français va être de toutes les batailles, de tous les combats. Poilu de la première heure, il prend même la plume en août 1918 afin d’utiliser sa notoriété pour dénoncer l’insuffisance des primes d’alimentation adressées aux soldats3.

Après quatre années passées dans les tranchées, Maës revient vivant de la guerre la plus meurtrière de l’histoire. Mais, à 28 ans, l’attaquant du Red Star n’est plus le jeune buteur irrésistible qu’il était avant le conflit. Marié en 1918 et devenu père d’un petit Marcel un an plus tard, le football n’est plus le centre de ses priorités. En 1919, il décide de rejoindre Caen, où il avait rencontré son épouse durant sa convalescence. Là bas, Maës rejoint le Stade Malherbe local mais se concentre surtout sur sa seconde vie. Excellent nageur, il a pris la tête de l’école de natation appartenant à son beau-père, école au sein de laquelle il donne également des cours. Devenu une figure de la natation normande, Maës développe son établissement en y accolant un café-dansant, au sein duquel son destin va basculer quelques années plus tard.


La blague de trop


Retiré des terrains depuis 1930, Maës est devenu une figure respectée de la ville de Caen. Son établissement, « Chez Maës », est un lieu de vie apprécié des caennais ce qui assure une belle prospérité à son propriétaire. Mais en 1940, le monde s’effondre pour les français. En un mois, l’armée française, réputée pour être la meilleure au monde, s’effondre devant la Wehrmarcht. L’armistice est demandée par le Maréchal Pétain et la moitié Nord du pays devient une Zone Occupée par les Allemands. En tant que patriote, et de surcroît ancien combattant, Maës n’a guère une grande estime pour les occupants. Pourtant, ceux-ci fréquentent avec assiduité son établissement, les agents de la Gestapo résidant à proximité de celui-ci. Un jour, alors que des Allemands sont en train d’effectuer quelques longueurs, Maës ne peut s’empêcher de les railler : « S’ils nagent comme ça, ils ne sont pas encore arrivés en Angleterre ! », déclare-t-il tout haut. Ce sera sa blague de trop. Dénoncé par une française entretenant une relation avec Harald Heyns, chef adjoint de la Gestapo de Caen, Eugène Maës est arrêté le 21 juin 1943. Incarcéré à Caen puis à Buchenwald, il est finalement déporté au camp de concentration de Dora où il est exécuté en mars 1945. Il avait 55 ans.


1L’Auto, 28 novembre 1909.

2L’Auto, 28 décembre 1910

3L’Auto, 17 août 1918.

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