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Dossier Foot Universal : les footballeurs d'aujourd'hui sont-ils réellement meilleurs que leurs aînés ?

Si une rencontre de football se joue toujours avec vingt-deux acteurs, deux buts et un ballon, il est indéniable que le jeu observé aujourd’hui est très éloigné de celui qui était pratiqué au milieu du siècle dernier. La conséquence de décennies de réflexions tactiques ayant pour objet d’optimiser les organisations pour les rendre toujours plus efficaces dans tous les secteurs de jeu. De ce fait, les équipes du XXIe siècle semblent plus solides que celles du passé, et les footballeurs qui les composent semblent quant à eux plus complets. Mais peut-on catégoriquement l’affirmer ?




Une évaluation impossible ?


Evaluer le potentiel réel des incontournables des années trente, cinquante ou soixante-dix, et le soumettre à la comparaison du niveau des footballeurs du moment relève être un exercice périlleux tant il sera évidemment soumis à toutes les controverses puisque voyager dans le temps et permettre à des joueurs de se mesurer à d’autres ayant exercé à des époques différentes n’est évidemment possible. Nous est-il pour autant interdit d’étudier la question qui consisterait à imaginer les Di Stefano, Pelé, Beckenbauer, Cruyff, ou autres Maradona dans le football d’aujourd’hui, mais aussi inversement, de se représenter les Benzema, Messi, Cristiano Ronaldo, M’Bappé ou encore Haaland dans le football de papa et de grand-papa ? Assurément non tant l’exercice est intéressant : mais encore faut-il pour rendre ce travail crédible, appréhender le football dans toute sa dimension, certes en tenant compte des progrès des moyens et des hommes, mais sans négliger pour autant l’évolution des systèmes qui impriment assurément l’expression des acteurs, ce qui nous oblige alors à examiner les qualités nécessaires pour pouvoir s’y fondre.


Ainsi, et si on appréhende un Etienne Mattler, un Billy Wright, ou un José Santamaria, on ne peut qu’admettre que leur bagage technique était sans doute éloigné de ce que peuvent aujourd’hui opposer des défenseurs tels que Van Dijk, Ruben Dias ou encore Alexander-Arnold. Mais l’erreur serait pourtant de ne s’en remettre qu’à des considérations purement techniques, ce qui nous mènerait alors sur le chemin des comparaisons qui ne sont pas raison : car les organisations tactiques ne demandaient pas par exemple à un Pietro Rava en 1938 ou à un Jack Charlton trente ans plus tard d’être des travailleurs de précision appliqués à faire tourner la balle, à construire, ou à relancer proprement, mais bien de se contenter de gagner les duels.


L’approche du jeu des footballeurs d’alors ne se déclinait en effet que par une succession d’oppositions qu’il fallait remporter. En ce sens, les qualités propres à chaque acteur ne devaient pas être du même ordre que celles imposées au joueur contemporain qui évolue dans une organisation collective qui se veut équilibrée et dont il est garant en déclinant les gammes d’une partition : ainsi, si on peut avancer que les Posipal ou Kohlmeyer, éminents défenseurs des champions allemands de 1954, présenteraient sans doute quelques lacunes pour candidater aujourd’hui dans l’espoir de figurer dans la moindre défense d’une équipe de l’élite, on ne peut pas plus soutenir qu’un Varane ou un Otamendi seraient forcément très sereins dans un environnement bien moins homogène et axé essentiellement sur l’affrontement. Car dans ce cadre, le football exige en fait d’autres aptitudes et oblige à adopter une autre approche : pour exemple, ce constat que le tacle, geste défensif par excellence qui faisait partie de la panoplie de tous défenseurs des années soixante-dix, a quasiment disparu de nos terrains.


On peut aussi étendre ce raisonnement par exemple en considérant le rôle des ailiers, poste que les organisations modernes ont dissipé au profit tout d’abord des pistons de couloirs, puis de joueurs polyvalents, fruits de réflexions tactiques plus encore ambitieuses afin de couvrir toutes les zones du terrain de façon plus encore optimales. Ainsi, il est de tradition de parler de génie quand est fait référence aux Matthews, Gento, et consorts, alors qu’on constate en les observant que leur façon de concevoir le football était plutôt limitée : postés le long de la ligne de touche à attendre le ballon, ceux-ci s’employaient une fois le cuir réceptionné à essayer d’éliminer leur adversaire direct pour enfin pouvoir délivrer un centre. Sous cet angle, un Didier Deschamps s’arracherait assurément les cheveux après avoir sélectionné Garrincha, au point de le sortir au bout de 15 minutes tant son football serait à ses yeux bien trop stéréotypé et sa participation au jeu bien trop insuffisante. Pour cause, tous les internationaux du moment ont un rayonnement bien plus élargi, et leur apport au collectif semble indéniablement supérieur. Sauf, qu’une fois encore, comparer deux joueurs dans des schémas de jeu qui ne sont pas similaires n’ont guère de sens.


D’ailleurs, en mettant de côté l’évidence que le football se joue depuis toujours avec un ballon frappé avec les pieds, ce sport est-il véritablement le même aujourd’hui que celui qui se pratiquait un demi-siècle plus tôt ? La question mérite d’être considérée, car le footballeur est sans doute le sportif qui aura vu sa discipline le plus évoluer, puisqu’aucune autre organisation que la sienne n’aura autant été impactée par les innovations inspirées par les techniciens qui l’ont révolutionnée...


De l'âge de pierre à l'âge d'or du football


Déjà dans l’entre-deux-guerres, la patte de l’autrichien Hugo Meisl, inspirateur du Wunderteam autrichien, fait pousser les germes d’un football dans lequel se tisse des liens entre les différents acteurs. Vingt ans plus tard, Gusztav Sebes parachève la démarche initiée en créant véritablement les bases d’une organisation dans son ensemble. Ainsi, la victoire assommante de l’équipe d’Or de Hongrie face aux anglais à Wembley en 1953 n’est pas qu’un tremblement de terre qui remet en question la suprématie du football britannique : elle ébranle aussi la planète football en faisant naître un monde nouveau, celui où le jeu s’appréhendera désormais dans une dimension collective, mettant ainsi fin à l’ère du football qui reposait essentiellement sur l’affrontement individuel.


Si les années qui suivirent sont souvent considérées comme une sorte d’âge d’or du football, c’est pourtant aussi la période où les tactiques défensives axées sur la malice, le vice et la brutalité s’imposent avec le plus d’autorité. Les Pelé, Cruyff, ou autres Zico subirent alors des traitements que les Zidane, Ronaldinho, Cristiano Ronaldo, ou autres Messi ne connaitront jamais. Un Maradona pouvait ainsi se voir parfois en incapacité totale de jouer tant les moyens illégaux mis en œuvre par ses adversaires lui interdisaient de s’exprimer. Le plateau des années 60/2000 est en outre assurément plus homogène, ce qui fait que l’adversité semble aussi plus coriace puisque l’élite des clubs et des sélections nationales d’alors ne concerne pas, comme de nos jours, un cercle restreint d’à peine une dizaine d’équipes. La conséquence en fait des désordres expliqués par l’impact de l’Arrêt Bosman, par l’effondrement du bloc soviétique et de ses satellites, mais aussi en raison de droits télés inéquitables, et de cette suprématie de l’argent concentré dans les grandes écuries. Cette analyse nous renvoie désormais à la réalité d’un football contemporain confisqué par quelques formations qui nous amène à la constatation d’un niveau très moyen dès qu’on sort du vivier Champions League…


En comparaison, la C1 des années 70/75 opposait des clubs aussi redoutables que le Benfica d’Eusebio, le Barça de Cruyff, le Real de Netzer, l’Inter de Mazzola, le Milan de Rivera, la Juve d’Altafini, le Bayern de Müller, le M’Gladbach de Simonsen, l’Ajax de Keizer, le Feyenoord de Van Hanegem, l’Anderlecht de Rensenbrink, le Liverpool de Keegan, le Leeds de Bremner, le MU de George Best, l’Arsenal de Charlie George, l’Etoile Rouge de Dzajic, le Dynamo de Blokhine… sans oublier bien sûr l’ASSE et ses Larqué, Revelli, Piazza et autres Rocheteau… soit une quinzaine de formation hébergeant en son sein un Ballon d’Or ou un joueur d’un niveau équivalent ! Et que dire de la série A des années 80 qui voyait s’affronter chaque dimanche la Juventus de Platini, le Napoli de Maradona, l’Inter de Rummenigge, le Milan de Gullit, la Roma de Falcao, la Fiorentina de Socrates, ou l’Udinese de Zico… ? Et comment ne pas se pencher enfin sur la solidité des défenses des sélections des années 90/2000 composées de ces Baresi, Maldini, Costacurta, Nesta, Cannavaro, Mozer, Cafu, Aldaïr, Ayala, Desailly, Boli, Thuram, Kohler, Brehme, Stam, De Boer, Koeman, Campbell, Ferdinand, Adams, Popescu, Couto, Hierro, et tant d’autres loin d’être des poètes, ce qui pourrait nous interroger sur le fait de savoir si un M’Bappé entrerait dans ce genre de défense comme dans du beurre ?


Le rythme au cœur des débats


Certes, les joueurs contemporains peuvent toutefois prêcher pour leur paroisse en argumentant le fait qu’ils ne disposent plus aujourd’hui d’une aussi grande liberté de mouvement, soit aussi moins de temps et d’espace en raison des modes de pressing actuels qui semblent effectivement plus oppressants. Mais, l’intensité du football des années du siècle dernier était basée sur un autre tempo qui reposait toutefois sur une convention de jeu tacite : certes moins constant dans le rythme, mais non dépourvu de temps forts, ni d’impact, de vitesse, et de percussion : il convient donc de ne pas se laisser à aller à une interprétation radicalement péjorative des images en noir et blanc enregistrées en un seul plan horizontal qui nous renvoie souvent à une fausse illusion de lenteur.


L’illustration avec Oleg Blokhine, qui dans les années 70, parcourait les 100m en 10,7s, alors que 50 ans plus tard, M’Bappé ne les couvre ‘’qu’en’’ 10,9s ! Autres chiffres intéressants, ceux qui déterminent la fameuse distance parcourue par joueur, qui a finalement progressée au fil des décennies de façon assez insignifiante. En revanche, il est cette fois indéniable que le rythme à laquelle ces distances sont couvertes est assurément bien plus soutenu, et que l’ensemble de nombre de sprints à haute intensité aujourd’hui relevé est sans commune mesure avec les indicateurs enregistrés ne serait-ce qu’à la fin du XXe siècle. Cela étant admis, il ne faut pas oublier que ces performances sont aussi en grande partie possibles grâce à l’apparition de la règle des 5 changements qui permet évidemment d’optimiser la performance collective : il ne faut donc pas se leurrer quant à cette supposée capacité accrue qu’auraient les footballeurs d’aujourd’hui à atteindre un niveau de performance qui ridiculiserait celui que pouvait produire les footballeurs du passé. Le rythme élevé de certaines rencontres n’est en fait bien souvent que le résultat de l’addition de forces utilisées sur des périodes réduites de matches.


Cela dit, s’il est convenu que la vitesse est la première capacité permettant à un footballeur limité de pouvoir rivaliser avec un joueur plus expérimenté, il n’est pas pour autant acquis qu’un joueur plus rapide puisse être forcément plus habile avec le ballon, qu’il soit forcément plus dominateur en un contre un, ni qu’il ait développé une lecture du jeu et de déplacement qui lui permette d’avoir un avantage sur un joueur qui appréhende son environnement avec une perception certes moins tonique mais plus éclairée. Car courir n’a du sens que si on court à bon escient : et la coordination du geste et une bonne réaction cognitive sont des capacités sans doute plus intéressantes à maitriser que la vitesse pure. Ainsi, un Schiaffino, un Didi, un Rivera, un Osim, un Van Hanegem, un Rivelino, un Platini, un Valderrama, un Riquelme, un Zidane, un Pirlo, un Xavi, un Modric, un De Bruyne… ne sont pas particulièrement réputés pour être ou avoir été des monstres d’agilité, et s’il est incontestable que la vision du jeu se rétrécit considérablement pour le porteur du ballon quand il se trouve en situation de pression dans un espace réduit, ces joueurs démontraient, et le prouvent d’ailleurs toujours encore, que l’équation espace-temps se résout avant tout quand on maîtrise à la fois l’Art de la domestication de l’objet, la science du placement, et cette prédisposition innée qui consiste à savoir situer adversaires et partenaires, et ce, avant même d’avoir reçu le ballon. Ainsi, les potentialités athlétiques ne sont des plus que si la différence est mise à profit grâce à d’autres qualités : et seules les exceptions telles que Pelé, Cruyff ou Messi savent conjuguer à la perfection tous ces dons dont ils ont été dotés.


Certes, tous les internationaux du XXIe siècle doivent maîtriser des passes qui auraient eu des allures de tirs au début du siècle dernier. Certes, ces mêmes joueurs ont de moins en moins d’espace pour s’exprimer ce qui fait que les gestes les plus simples doivent être accomplis avec promptitude et sous une pression constante. Mais, et on y revient encore, le cahier des charges du footballeur de très haut niveau n’est plus le même : en phase offensive comme défensive, le degré de performance en 1950 s’évaluait en fonction des capacités de l’individu à gagner son face à face avec son adversaire quitte à s’accommoder avec le déchet technique qui pouvait en découler, alors que 80 ans plus tard, l’accent est avant tout mis sur la possession du ballon et l’occupation du terrain. Ainsi, et contrairement aux générations précédentes moins calculatrices, les footballeurs d’aujourd’hui veillent donc en priorité à agir après s’être assurés que le robinet de toutes les prises de risques inutiles est bien fermé.


De ce fait, le ballon ne navigue plus de la même façon, ni dans les mêmes pieds, ni dans les mêmes zones. Fini le temps des playmakers qui dirigeaient le jeu comme des chefs d’orchestre avec leur numéro 10 floqué dans le dos : la scène a en fait reculé d’un cran puisque le jeu se construit désormais à partir de derrière, sous la responsabilité de défenseurs embesognés à déplacer le bloc adverse afin d’y trouver une faille. Le mot d’ordre étant surtout, ‘’ne pas perdre le ballon’’, tout ce travail est donc exécuté en mode sécure, et le jeu autrefois marqué par le sceau de la verticalité à présent se latéralise. En résulte cette succession de transmissions qui au final ne permet souvent d’avancer que de deux mètres après dix passes échangées ! Autres temps, autres mœurs… dans lequel on y revient encore, Mattler, Wright ou Santamaria, évidemment, ne trouveraient pas forcément leur place…


L'intelligence, clé de la faculté d'adaptation


Ainsi, la construction, l’imagination, l’inspiration, l’aptitude à créer, à déséquilibrer son adversaire, qui reposaient essentiellement par le passé sur la compétence autonome du joueur, a véritablement régressé au profit de la logique d’un jeu formaté. Le football-handball a ainsi donné naissance à une nouvelle race de footballeur qui joue de façon bien plus instinctive qu’intuitive. La conséquence finalement inévitable et progressive du mécanisme initié par Meisl et Sebes : l’intelligence de jeu et des joueurs s’est peu à peu éloignée du terrain pour finir par être confisquée par les maitres du banc, qui tels des druides, s’emploient à accommoder tous leurs ingrédients afin de trouver de nouvelles formules magiques… L’influence des coachs dans le football est ainsi devenue aussi déterminante que celle du Manager dans l’entreprise. Celui qui n’était auparavant qu’un guide a enfilé le costume de l’interventionniste omniprésent et omniscient. Tel un Geppetto, il façonne alors son footballeur à son image : ce dernier n’est plus qu’une pâte à modeler qui doit s’adapter à ses schémas, et qui pour ce faire, doit atteindre l’excellence dans tous les critères de performance qui lui sont soumis, endurance, puissance, vitesse, mental… et discipline collective. Ainsi, si grâce aux Guardiola, Klopp, et autres Mourinho, et ce, après l’ère des Batteux, Michels, Lobanowski, Sacchi ou Cruyff… le niveau d’ensemble des équipes s’est constamment amélioré, ces derniers ont malgré tout autant tué de footballeurs qu’ils n’ont inventé de football.


Mais si le bedonnant Puskas a perdu ses poignées d’amour au profit des tablettes en chocolat de CR7, les Dieux n’ont pas de pèse-personne, juste des stats, et celles du Major galopant, qui inscrivaient encore 4 buts à Feyenoord en C1 à près de 39 ans, n’ont pas à rougir face à celles tout aussi impressionnantes du portugais. Quel footballeur serait alors Cristiano Ronaldo en 1960 ? Un monstre évidemment, mais il ne serait pas le Cristiano Ronaldo de 2015, tout simplement parce qu’il serait préparé, entouré, entrainé, accompagné, soigné comme un footballeur de 1960, tout en évoluant dans une organisation de jeu d’un football de 1960. Il n’aurait pu en outre, par évidence, que s’inspirer ou prendre exemple et modèle des références de cette époque, ce qui signifie clairement que seul ce qui peut être copié peut se voir amélioré ! Quant à savoir ce que serait le Puskas de 1960 dans le football du XXIe siècle, il ne fait aucun doute qu’il serait parfois en difficulté dans le jeu ne serait-ce qu’en raison de son déficit physique, mais on peut en revanche aussi imaginer que préparé, entouré, entrainé, accompagné, soigné, comme un footballeur contemporain, il resterait lui aussi le même monstre qu’il était il y a 70 ans. Car il est acquis qu’à l’instar de tous les joueurs des fifties, Puskas aurait pu notamment progresser grâce aux améliorations en matière de préparation, au perfectionnement des techniques d’entrainement, aux avancées dans le domaine médical et diététique, mais aussi grâce au développement des installations, des évolutions du matériel, de l’essor des transports et de la logistique. Sans oublier qu’il bénéficierait de surcroit de conditions de jeu bien plus intéressantes, moquettes en guise de pelouse, équipements dernière génération, ballons synthétiques, mais aussi des défenseurs bien moins rugueux, des arbitres plus scrupuleux, ainsi que des règles bien plus favorables aux attaquants, telles que celle du hors-jeu, totalement revisitée dès le début des années 2000.


Le footballeur d’autrefois, qui dans son état de chrysalide, était alors considéré comme un artiste, s’est en fait métamorphosé au fil du temps en athlète. On le constate particulièrement en suivant l’évolution des gardiens de buts dont les ailes n’ont cessé de prendre de l’envergure : c’est ainsi que si on ne considère un Darui (169cm), un Planicka (172cm), un Curkovic (179cm), un Gilmar (181cm), un Zoff (182cm)… en ne tenant compte que de leur taille, on peut s’avancer avec certitude qu’ils ne pourraient aujourd’hui raisonnablement postuler dans un club de l’élite. Ce déficit étant rédhibitoire, seraient-ils pour autant de mauvais gardiens ? Assurément non, tant ils avaient développé les qualités leur permettant d’être considérés comme très crédibles dans le football de leur époque. Mais à voir les grands portiers du moment se déployer à une vitesse folle lors des séances de tirs aux buts, la différence de potentialité, même si elle ne repose que sur des évidences morphologiques, peut difficilement être contestée.


On le voit, déterminer les valeurs intrinsèques des footballeurs à travers les âges ne peut donc s’évaluer qu’en considérant l’acteur dans son environnement : avant les années 60, la plupart des formations étaient composées par des individualités qui évoluaient indépendamment de l’ensemble. Ces footballeurs ‘’isolés’’ n’en étaient pas pour autant forcément dénués de talent, mais s’intégraient différemment dans le collectif puisque celui-ci était plus segmenté qu’unifié. Les techniciens ont certes optimisé le jeu mais l’ont aussi scientifisé en imposant l’idée de la coopération qui repose sur l’exigence d’une implication exécutante de tous les acteurs. Ainsi, à l’image d’un football de Playstation, celui qui se joue aujourd’hui sur le rectangle vert se robotise, les individualités comme dans une fourmilière se fondent, et la définition des postes est moins figée.


Mais si les footballeurs d’aujourd’hui sont assurément plus complets que leurs ancêtres, en sont-t-ils forcément meilleurs ? Est-il en effet plus délicat de tenter de garder ses cages inviolées en étant, tel un Buffon, couvert par une défense bien compacte, plutôt que, tel un Ricardo Zamora, de les protéger en étant exposé à la moindre initiative adverse ? Est-il aussi plus épineux de défendre en étant, tel un John Terry, le dernier maillon d’un bloc resserré qui s’organise pour rester toujours en surnombre, plutôt qu’en, tel un Berti Vogts, devant s’opposer avec pugnacité aux offensives tout en se multipliant pour colmater les espaces ? Est-il par ailleurs plus complexe de devoir, tel un Busquets, s’intégrer dans un collectif qui a pour vocation de déstabiliser l’adversaire grâce au mouvement habile d’une concentration de joueurs évoluant en triangle, plutôt que, tel un Di Stefano, d’avoir pour mission de trouver la faille en se laissant porter par son seul génie créatif, tout en devant aussi s’imposer d’orienter invariablement le jeu vers l’avant ? Est-il enfin plus ardu pour un Lewandowski de devoir s’extraire d’une défense de zone certes bien organisée, que pour un Gerd Müller de devoir se défaire d’un rigoureux marquage individuel ? En fait, au regard de ces derniers exemple, on ne peut que convenir qu’au-delà de sa valeur intrinsèque, le grand joueur n’est autre que celui dont le profil est le plus en phase avec les principes de jeu de son époque.


Qu’ont en effet en commun tous ces joueurs à fort potentiel mais si différent pourtant parfois quant à leurs compétences ? Assurément cette grande aptitude à savoir apporter des réponses aux différentes problématiques rencontrées, mais plus encore cette capacité à les résoudre sur la durée ! Du fait, comme le soutien Arsène Wenger, plus encore que l’intensité et la motivation, c’est bien la continuité dans l’effort, qui, combinée à l’intelligence, permet aux plus grands de traverser les époques tout en restant toujours influents. Car le grand joueur est avant tout un footballeur intelligent, et l’intelligence est la clé de la faculté d’adaptation ! Ainsi, Matthews jouait toujours dans l’élite en 1960 avec le même bonheur qu’en 1934, Puskas marquait toujours autant en 1963 qu’en 1947, Pelé était toujours aussi iconique en 1977 qu’en 1958, Cruyff était aussi brillant en 1984 qu’en 1967, Maradona impressionnait toujours autant en 1994 qu’en 1977, Ronaldo était toujours aussi phénoménal en 2009 qu’en 1993, et Messi dansait autant sur le toit du Monde en 2022 qu’en 2006… Pour les grands, peu importe l’époque. Pour les grands, le temps n’existe pas…

Christian Cuny


L'auteur : Spécialiste du football pré-Arrêt Bosman, Christian Cuny a notamment réalisé une étude répertoriant les plus grands joueurs de l'histoire du football des origines à nos jours.

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