Autrefois outil de rapprochement entre les peuples, le football international est devenu une arme de propagande extrêmement convoitée par les dirigeants politiques. Alors, lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate en septembre 1939, tous les belligérants poussent pour maintenir son activité. Explications.
Les footeux s'en vont en guerre
1er septembre 1939, 4h45. Alors que les revendications allemandes autour du corridor de Dantzig, territoire polonais, se faisaient toujours plus pressantes, Hitler décide de passer à l’attaque. Sans déclaration de guerre préalable, l’armée du Reich franchit la frontière avec la Pologne et ses avions commencent les bombardements. Pour se justifier, Hitler accuse le pays voisin de maltraiter les Allemands vivant dans le corridor de Dantzig. Alliés de la Pologne, la France et l’Angleterre sont forcés de réagir réagir. Le 2 septembre 1939, la mobilisation générale est décrétée, le 3 septembre la guerre est déclarée. En France et en Angleterre, les joueurs de football sont immédiatement mobilisés et les compétitions classiques annulées. Pourtant, la F.A. et la F.F.F. vont toutes deux profiter de la "drôle de guerre" (entre septembre 1939 et mai 1940, la guerre est déclarée mais aucun combat d'envergure n'a lieu) pour organiser des compétitions sous des formats remodelés. En France, le championnat est divisé en deux poules, une au Nord et une au Sud, tandis qu'en Angleterre, les clubs sont reversés dans des divisions régionales. Les joueurs étant mobilisés, les clubs français vont majoritairement faire appel à de jeunes joueurs, parfois renforcés par des étrangers restés sur place ou des permissionnaires. En revanche, en Angleterre, la mobilisation des vedettes du football ne semble pas trop contraignante. Comme l'explique Paul Dietschy dans son Histoire du Football, un Stanley Matthews a passé la guerre entre la Royal Air Force, où il était préparateur physique, son magasin sportif à Blackpool et son club de Stoke City. Les contrats professionnels ayant été supprimés, Matthews dispute même quelques rencontres sous le maillot d'autres clubs comme Airdrie en Ecosse, Arsenal ou les Glasgow Rangers, probablement contre quelques pécules en échange.
Pas de repos pour la Mannschaft
Bien loin de l'exemple anglais, le football allemand est durement touché par la guerre. Les joueurs, amateurs depuis la suppression du professionnalisme en 1934, sont massivement incorporés dans la Wehrmacht ou la Luftwaffe tandis que les footballeurs juifs sont mis à l'écart. Malgré le déficit de joueurs que ces décisions entraînent, des championnats régionaux sont organisés et connaissent un grand succès populaire. D'ailleurs, ce déficit, qui donne tant de fil à retordre aux clubs, touche moins la sélection nationale. Obtenues en partie grâce à l'action inépuisable du sélectionneur allemand Sepp Herberger, des facilités sont accordées aux meilleurs éléments afin qu'ils puissent représenter le Reich à l'occasion de multiples rencontres amicales. Ainsi, entre septembre et décembre 1939, le onze allemand affronte tour à tour la Hongrie, la Yougoslavie, la Bulgarie, l'Italie et la Slovaquie ! Si les résultats sont inégaux, ces matchs, organisés aussi bien en Allemagne qu'à l'étranger, sont de formidables occasions de propagande pour le régime d'Hitler. Toutefois, outre la propagation des idéologies nazies dans des pays alliés ou neutres, le maintien du football en Allemagne a également pour objectif de maintenir le moral de la population. Usés par le travail intensif au service de l'économie de guerre mais aussi par le départ pour le front de proches, les Allemands restés à l'arrière peuvent, grâce au football, oublier le temps d'un match la dureté de leur quotidien. Cet échappatoire est jugé nécessaire par les nazis, ces derniers étant bien conscients que, si l'on lui retire tout moment de plaisir, le peuple allemand va vite se retrouver lasser par la guerre. Ainsi, le Reich, malgré ses réticences à l'encontre d'un sport venu d'Angleterre, va continuer à soutenir l'organisation du football allemand jusqu'à ce que la situation politique ne le permette plus. Pour la sélection nationale, cela durera jusqu'en novembre 1942 et un ultime match face à la Slovaquie, après quoi la dégradation de la situation militaire sur le front Est empêchera la poursuite des rencontres internationales. En revanche, le football de club perdurera jusqu'à la chute du Reich, des matchs parvenant même à réunir plus de 70 000 personnes en 1944.
L'exception italienne
Parmi les différents pays engagés dans le conflit, l'Italie est sans conteste celui qui a accordé le plus d'importance au football, au point que la Série A ait pu reprendre sans aucun souci en septembre 1940, soit seulement 3 mois après l'entrée en guerre du pays. Pour le sélectionneur italien Vittorio Pozzo, "ce que l'on voulait décrire dans un premier temps comme un championnat de guerre n'a donc que l'arrière plan et l'atmosphère. La normalité de l'organisation, la régularité de la vie, les moyens disponibles, la sérénité de l'atmosphère sont toujours là et garantissent le bon avancement des choses." En effet, contrairement à ce que l'on a pu voir en France, en Grande-Bretagne ou en Allemagne, le football italien n'effectue aucune modification quant à son organisation malgré son entrée en guerre : la Série A est toujours un championnat national regroupant les 16 meilleures équipes du pays tandis que la Coupe d'Italie délivre toujours son vainqueur en fin de saison. En tribunes, le succès est également au rendez-vous avec des affluences moyennes plus que satisfaisantes (22 000 spectateurs de moyenne pour l'AS Roma en 1941-1942 par exemple). Outre le besoin pour la population italienne de se divertir afin d'oublier la guerre, le succès de ces rencontres s'explique également par la présence des stars du football italien. Là où l'Allemagne envoie au front ses meilleurs joueurs, les footballeurs italiens sont quant à eux mobilisés sur place, ce qui leur permet de disputer le championnat et de s'entraîner normalement. Attaquant vedette de la Squadra Azzura lors du Mondial 1938, Silvio Piola peut ainsi s'adjuger le titre de meilleur buteur de Série A lors de la saison 1942-1943. En revanche, si l'Italie met tout en place pour assurer le succès de son championnat domestique, elle s'attache moins à l'organisation de rencontres internationales puisque la Squadra ne dispute que trois matchs entre 1940 et 1943 (contre 35 pour l'Allemagne entre 1939 et 1942 !). Néanmoins, ces trois rencontres permettent de montrer au monde du football que les double champions du monde en titre sont toujours au sommet : après un nul contre la Hongrie en novembre 1940, les Italiens corrigent la Croatie et l'Espagne 4-0 en avril 1942.
La Résistance Norvégienne
Que ce soit en Italie, en France, en Angleterre ou en Allemagne, les dirigeants politiques ont tous, à des échelles différentes, facilité la pratique du football dans l'optique de maintenir le moral des populations. Parfois protégés par le pouvoir en place, parfois traités comme tous les autres citoyens, les footballeurs de ces pays ont eu tendance à rester à l'écart de toute action politique quelque qu'elle soit. Si des exemples de footballeurs engagés existent (on peut penser à Etienne Mattler en France ou à Bruno Neri en Italie), ils ne représentent qu'une infime minorité parmi la masse de joueurs ayant simplement poursuivi leur carrière. Ce bilan que nous faisons pour la France, l'Italie, l'Angleterre ou l'Allemagne peut globalement être validé pour l'ensemble des pays européens sauf un : la Norvège. Occupée par l'Allemagne à la suite de l'opération Weserübung de mai-juin 1940, le pays scandinave avait dû faire face à la nazification de son football. Au pouvoir après le départ du gouvernement norvégien pour Londres, les Allemands voulurent ainsi imposer la présence à la tête de chaque club d'un Quisling, un norvégien du parti Nazi. En signe de protestation, les joueurs norvégiens, sous l'impulsion de l'ancien international Asbjorn Halvorsen, entamèrent une grève générale qui dura jusqu'à la Libération. Si beaucoup d'entre eux, dont Halvorsen lui-même, furent déportés, la grève fut un grand succès : en 1942, une demi-finale du championnat norvégien n'attira que ... 27 spectateurs !
Sources
Dietschy Paul, Histoire du Football, Perrin, 2010.
Havemann, Nils. « Le sport dans l’Allemagne nationale-socialiste en guerre », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 268, no. 4, 2017, pp. 61-74.
Dietschy, Paul. « Le football italien des guerres mussoliniennes à la guerre civile », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 268, no. 4, 2017, pp. 85-96.
Macon Benoît, "The politization of football : the European game and the approach to the Second World War.", Soccer and Society, vol.9, no.4, octobre 2008, pp.532-550.
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