En juin 1930, le président de la FIFA Jules Rimet part pour l'Uruguay à bord du Conte Verde pour la première Coupe du Monde de l'histoire. Dans ses bagages ? Les sélections belge, roumaine et française !
Tous dans le même bateau !
Des semaines et des semaines de négociations, voilà ce qu'il aura fallu au président de la FIFA Jules Rimet pour enfin convaincre la France, la Belgique, la Roumanie et la Yougoslavie de participer à la première Coupe du Monde de l'histoire en Uruguay en 1930. Effrayés par l'ampleur du voyage (il fallait compter entre deux et trois mois d'absence entre la durée du voyage, de la compétition ainsi qu'une tournée de matchs amicaux ensuite pour rentabiliser le déplacement), la plupart des nations européennes avaient ainsi décidé de jeter l'éponge. En effet, à une époque où peu de fédérations avaient reconnu le professionnalisme, les joueurs de football avaient pratiquement tous un métier à côté du ballon rond, ce qui rendait une absence de trois mois inenvisageable. Ainsi, Rimet dû parfois convaincre lui-même les patrons des joueurs français tandis qu'en Roumanie, c'est le roi roumain lui-même qui fit pression sur le patron embauchant une grande majorité des joueurs sélectionnés ! Toutefois, obtenir l'accord des nations européennes est une chose, les transporter jusqu'en Uruguay en est une autre. Mais le président Rimet a tout prévu ! Pour les Yougoslaves, le voyage s'effectuera à bord du Florida avec un embarquement prévu à Marseille 18 juin 1930. Quant aux autres délégations, leur programme s'annonce on ne peut plus atypique puisqu'elles voyageront tout simplement dans le même bateau !
"L'arche du football"
C'est à Villefranche le 20 juin 1930 que les joueurs français sélectionnés pour le premier Mondial de l'histoire sont sommés de se rendre. Là-bas, ils vont embarquer à bord du Conte Verde, un immense paquebot italien plus habitué à transporter les membres de la bourgeoisie d'entre-deux-guerres que des footballeurs. Mais à l'arrivée des français, ce géant des mers n'est pas vide puisque la délégation roumaine, embarquée à Gênes, y a pris ses quartiers depuis déjà plusieurs jours. Privés de leur sélectionneur Gaston Barreau qui n'a pu se libérer de son travail à l'Académie de Musique, les joueurs de l'Equipe de France sont accompagnés par Raphaël "Pano" Panosetti. Très apprécié par les Bleus, "Pano" est un véritable boute-en-train comme le concède Augustin Chantrel, demi-centre de l'Equipe de France : "Pano possède un grand sac rempli d'anecdotes plus amusantes les unes que les autres et à notre retour en France nous n'en aurons certainement pas atteint le fond!" Autre accompagnateur des Bleus pour le voyage et pas des moindres : le président Jules Rimet en personne, qui ne va nulle part sans une étrange petite mallette. A l'intérieur, un trophée en or massif sculpté par le français Alban Lafleur : la Coupe du Monde. Des joueurs de foot, un président de la FIFA, la Coupe du Monde, que manque-t-il pour compléter ce tableau ? Des arbitres bien sûr ! En effet, non content d'embarquer la quasi-totalité des équipes du tournoi, le Conte Verde embarque à son bord les arbitres de la compétition dont le Belge John Langenus, qui officiera pour la finale du tournoi ! En réalité le Conte Verde s'est pratiquement transformé en véritable arche du football ! Pratiquement car, au milieu de tous ces drôles de passagers, on retrouve des voyageurs plus "classiques", bourgeois en croisière ou en déplacement pour les affaires. Quelques artistes de l'époque aussi avec Marthe Nespoulos, chanteuse à l'Opéra de Paris et Fédor Chaliapine, autre chanteur d'opéra dont le comportement de diva laisse une bien mauvaise impression à Jules Rimet, celui-ci considérant le chanteur russe comme "un grand artiste que les feux de la rampe ont sans doute ébloui".
La croisière s'amuse
Bien loin des caprices de vedette d'un Chaliapine, les joueurs de l'Equipe de France, eux, sont tout heureux de la vie sur le paquebot. Si les deux ballons embarqués à Villefranche font vite connaissance avec les tréfonds de l'Océan Atlantique, les Bleus n'ont aucun mal à trouver d'autres occupations. Belote, poker, bridge et piscine sont au cœur de leurs journées, avec quelques exercices de musculation afin de s'entretenir physiquement. Quant aux soirées, elles ne sont pas tristes non plus. Chaque soir, après un repas qu'on imagine aisément bien raffiné, une séance de cinéma est organisée à 20h30 pour le plus grand plaisir des joueurs. Il faut s'imaginer quelle aventure cela représente pour des jeunes hommes, âgés d'une vingtaine d'années pour la plupart, que de s'embarquer dans un tel voyage. Souvent issus de ce que l'on appellerait aujourd'hui "la classe moyenne", ces joueurs n'auraient en théorie jamais pu s'offrir un tel voyage. Même pour Jules Rimet, président de la FIFA et de la Fédération Française de Football rappelons-le, cette traversée de l'Atlantique est une première ! On s'imagine ainsi facilement la belle ambiance qui règne sur le bateau, ambiance symbolisée par la traditionnelle fête organisée lors du passage de l'Equateur. Rejoints par les Belges, récupérés lors d'une escale à Barcelone, français, roumains, arbitres et simples passagers du bateau se livrent à une soirée mémorable : Jean Laurent, qui sera bientôt le premier buteur de l'histoire de la Coupe du Monde remporte la course en sac, le défenseur Etienne Mattler, triomphe du concours de polochon, tandis que Jules Rimet a la fierté de voir sa fille être honorée pour son déguisement de danseuse qu'il a lui-même confectionné avec les moyens du bord. "Pano", le masseur des Bleus, est une nouvelle fois le héros de la soirée grâce à sa réinterprétation bien à lui de la java... Seule fausse note : le refus d'un Chaliapine de faire profiter de ses talents de chanteur, pas de quoi gâcher cette soirée mémorable.
Terre en vue !!
Alors que le voyage se poursuit dans cette ambiance festive, le Conte Verde effectue une dernière escale pour récupérer l'ultime équipe de football prévue à son bord : celle du Brésil. Pas de quoi faire retomber l'ambiance à bord, vous pouvez vous l'imaginer. Cette escale à Rio marque particulièrement Etienne Mattler, 25 ans alors. Alors que le départ des français s'est effectué dans une relative indifférence (quelques journalistes et officiels du monde du sport), l'embarquement des brésiliens a lieu dans une ambiance typiquement sud-américaine. Dans ce pays déjà mordu de football, une foule immense est venue souhaiter bon courage aux joueurs sélectionnés. Les français sont eux aussi bien accueillis puisque la foule les acclame longuement... tout en leur prédisant une future déculottée en cas de match face au Brésil !
Enfin, le 4 juillet 1930, c'est l'heure de l'arrivée à Montevideo après exactement deux semaines de traversée. Heureux comme des mômes, les joueurs français sont prêts à entrer dans la compétition qu'ils débuteront une semaine plus tard face au Mexique. Et; alors que les Bleus se dirigent vers le Rowing Club et ses terrains d'entraînements flambants neufs, le Conte Verde, lui, reprend le large. Voguant sur les flots, il laisse derrière lui des voyageurs conquis, conscients d'avoir vécu là l'aventure de toute une vie.
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