Le 13 décembre 1942, le RC Lens reçoit les amateurs d'Auby Austuries en Coupe de France. Le score final ? 32 - 0, dont seize buts inscrits par le seul Stanis. Retour sur une rencontre restée dans l'histoire du football français.
Der Bomber avant l'heure
Imaginer. Voici la seule solution existante pour savoir à quoi ressemblaient la plupart des joueurs de football des années 30-40. Dans ce monde où la télévision n'existe pas encore, seules quelques rencontres ont été filmées (pour la conception de résumés diffusés dans les cinémas) et, le cas échéant, il est encore très rare qu'elles aient traversé le temps jusqu'à nous. Ainsi, Stéfan Dembicki, dit "Stanis", attaquant du RC Lens des années 30-40, fait partie de ce monde sans images. Ou presque. Sur Internet, on peut l'apercevoir dans deux vidéos : la première est le résumé de la finale de la Coupe de France 1948 entre le LOSC et le RC Lens. Battus 3-2 ce jour-là, les Lensois inscrivent leurs deux buts par l'intermédiaire de Stanis Sur le résumé, on entraperçoit sa première réalisation, une tête de près sur un bon centre de Jean Mankowski. Bien maigre pour deviner quel joueur était le recordman de buts en une rencontre de Coupe de France. Alors, reste la lecture de la presse de l'époque. Et, à force de consulter les descriptions des buts empilés par ce fils de mineur polonais, on commence doucement à se faire une image. Stanis nous apparaît ainsi comme une sorte de Gerd Müller avant l'heure. Comme le "Bomber", le buteur lensois était un joueur trapu (1m72 pour 80 kilos), rapide et très puissant. Surtout, c'était un finisseur hors-pair. Doté d'une frappe de balle phénoménale, l'atout offensif numéro 1 du RC Lens était un attaquant capable de marquer dans n'importe quelle position, grâce à un sens du but hors-norme. Cela, ses statistiques auraient suffit à nous le faire deviner. Avec 148 buts en 120 rencontres (environ) entre 1941 et 1945, Stanis était sans conteste le buteur numéro 1 de son époque.
La deuxième vidéo où l'on peut l'apercevoir date des années 60. Devenu électricien après sa carrière, Stanis raconte ses belles années au sein du RC Lens. A la question, "Quel est votre record de buts, Stanis ?", l'ancien buteur répond dans un sourire presque gêné : "Et bien le record de buts, c'est les 16 contre Auby, en 1/16ème de finale". 16 buts ? Cela paraît irréel. Et pourtant...
Football de guerre
En 1942, le football nordiste, et le football français en général, commencent doucement à sortir la tête de l'eau. Encore marquée par la défaite de juin 1940, la France a repris un semblant de vie normale en ce sens où elle n'est plus à proprement parlée "en guerre". Toutefois, le pays souffre : divisé en trois zones (Zone Interdite dans le Nord-Pas-de-Calais, Zone Occupée dirigée par les Allemands et Zone Non Occupée gouvernée par le Maréchal Pétain), l'Hexagone doit supporter la pression économique de l'occupant, la politique de collaboration menée par Vichy, les bombardements des Alliés... Dans cette ambiance morose, la reprise du football dès novembre 1940 a été chaleureusement accueillie par la population. A l'instar du cinéma ou du théâtre, le stade reste un des derniers lieux d'évasion dans ce quotidien fait de misère et de douleur. En 1940-1941 et 1941-1942, la reprise du football était toutefois incomplète. Si la Coupe de France avait repris ses droits de façon presque "normale", il en était tout autre pour le championnat. Du fait de l'isolement politique de la Zone Interdite (il est pratiquement impossible d'y pénétrer ou d'en sortir), les grands clubs nordistes n'avaient pu participer au championnat de France de la Zone Occupée et avaient dû se contenter d'un championnat du Nord assez bancal, survolé par le RC Lens. Mais, en 1942, la Zone Interdite devient plus perméable et la réunification des deux championnats du Nord est enfin devenue possible. De retour dans une compétition digne de son rang, le RC Lens a toutes les cartes en main pour bien figurer ainsi qu'un atout-maître : Stanis. Fait prisonnier après avoir combattu dans les rangs français lors de la Bataille de France, le brillant buteur avait fait son retour pour la saison 1941 - 1942. Bilan ? 47 buts en une trentaine de matchs ! De quoi envisager la suite avec optimisme pour le Racing et son attaquant.
Une histoire de harengs
lEn 1942 - 1943, le RC Lens est un des seuls clubs à avoir récupéré la quasi-totalité de son effectif d'avant-guerre. Largement dominateurs en Championnat du Nord, les "gueules noires" comme on les surnomment à l'époque font de la Coupe de France leur objectif prioritaire. Ainsi, avant leur entrée en lice face aux amateurs d'Auby Asturies, le dirigeant lensois Albert Hus trouve une drôle de façon de motiver ses joueurs : pour chaque but marqué, un hareng offert ! A une époque où la nourriture est de plus en plus rare et de plus en plus chère, les joueurs lensois ne peuvent laisser passer une telle opportunité. Et c'est Auby qui va en faire les frais ! Petite équipe de village pratiquant le football pour le simple loisir, Auby Asturies tombe sur des Lensois déchaînés. En une mi-temps, Stanis et ses partenaires inscrivent pas moins de 13 buts ! La deuxième verra les amateurs totalement sombrer et Stanis atteindre le record probablement inégalable de 16 buts en une rencontre. Parmi les Lensois, seul Siklo, le petit (et brillant !) milieu de terrain n'inscrit pas le moindre but, malgré les efforts répétés de ses camarades. Si les Sang et Or repartent avec 32 harengs dans leur musette, il faut croire que l'ambiance de cette rencontre restée dans l'histoire était loin d'être festive. Jugeant le spectacle pas à la hauteur de ses attentes, le public siffle les deux équipes tout au long de la rencontre ! Le lendemain, la presse n'accordera que quelques lignes à ce match pour signifier que "le massacre attendu a eu lieu". Les Lensois, eux, remporteront le championnat du Nord mais se feront surprendre par les Girondins de Bordeaux aux portes de la finale en Coupe de France.
Aux oubliettes de l'histoire ?
Si son nom est resté dans l'histoire pour cette rencontre pour le moins atypique, il serait réducteur de résumer Stanis à ces seize buts inscrits contre des amateurs. Attaquant exceptionnel, l'avant-centre lensois est le buteur français numéro 1 des années de "football de guerre". Présentant des statistiques tout simplement ahurissantes, Stanis n'aura eu qu'un grand malheur dans sa carrière : atteindre son pic de forme lors de la pire période de l'histoire du football professionnel français. A cause de cela, notre "Gerd Müller des années 30" n'aura jamais eu l'occasion de porter le maillot de l'Equipe de France A (il compte des sélections en Equipe de France B et en Equipe de France militaire). Une anomalie. A l'instar de Stanis, la quasi-totalité des joueurs et clubs de cette époque semblent condamner aux oubliettes de l'histoire. On peut ainsi citer Emmanuel Aznar, l'attaquant olympien auteur de 45 buts en championnat en 1942-1943, dont le record n'a jamais été homologué, ou même le FC Rouen, qui s'est vu retirer le seul titre de champion de France de son histoire (1944 - 1945) lorsque la F.F.F. a décidé de tirer un trait sur les six saisons "de guerre". Une décision regrettable pour des joueurs et des clubs qui, envers et contre tout, avaient décidé de continuer le match.
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