Obscur joueur de 2ème division argentine dans les années 70, Tomás "El Trinche" Carlovich aurait pourtant été "plus fort que Maradona". Retour sur le parcours d'un personnage hors du commun.
"Au Trinche qui fut meilleur que moi", Diego Maradona
Pour certains argentins, le plus grand joueur de leur histoire n’est pas décédé le 25 novembre 2020 mais 6 mois plus tôt, le 8 mai 2020. Rassurez-vous, cet article n’est pas consacré à une quelconque théorie du complot qui voudrait que Diego Maradona ait été remplacé par un sosie durant les six derniers mois de son existence. Non, c’est tout simplement que, pour ces argentins, « El Pibe de Oro », n’est pas le plus grand joueur qu'ils aient connu. Dans leur hiérarchie, Diego est dépassé par un gamin de Rosario au pied gauche magique. Lionel Messi ? Toujours pas ! Malgré ses six « Ballon d’Or », la « Pulga » est reléguée derrière un obscur joueur qui évolua essentiellement en 2ème division argentine dans les années 70 : Tomás « El Trinche » Carlovich.
A première vue, il est difficile de comprendre l’engouement des argentins pour « El Trinche ». Au cours de sa carrière, cet ex-milieu offensif ne disputa que quatre matchs en première division argentine, bien trop peu pour y briller suffisamment. A fortiori, son palmarès est on ne peut plus modeste avec deux championnats de 4ème division argentine et un championnat régional. Pourtant, lorsque Diego Maradona en personne le rencontra quelques mois avant sa mort, il lui offrit un maillot avec la dédicace suivante : « Au Trinche, qui fut meilleur que moi ». En France, cela reviendrait à voir Zidane offrir un de ses maillots à la légende du FC Sète Christophe Rouve (meilleur buteur et joueur le plus capé du club malgré une seule saison en Ligue 2) avec écrit « A Pipoff, qui fut meilleur que moi »…
Quand "El Trinche" fit danser l'Albiceleste...
Alors comment expliquer l’inexplicable ? Comment comprendre la vague d’émotions qui submergea le pays lorsque Carlovich décéda après une chute en vélo survenue alors qu’on tentait de le voler ? Car si les circonstances de sa mort sont tragiques, elles ne peuvent expliquer à elles seules l’ampleur du mythe Carlovich en Argentine. Non, pour retrouver les origines de cette légende du ballon rond, il faut se replonger au printemps 1974, alors que l’Argentine est en pleine préparation pour la Coupe du Monde en Allemagne. Un jour d’avril, le sélectionneur Vladislao Cap organise une rencontre entre sa sélection et une équipe composée des meilleurs joueurs de Rosario. Retenu dans le onze de Rosario, « El Trinche » est d’ores-et-déjà une vedette locale à l’époque, les fans de ballon rond de la ville admirant sa technique hors du commun depuis plusieurs années. Preuve de cette notoriété, Mario Kempes qui est sélectionné avec l’Argentine insiste pour jouer avec l’équipe de Rosario afin de pouvoir évoluer aux côtés du « Trinche » !
Cette rencontre amicale va virer à la démonstration. Emmenés par un Carlovich en feu, les joueurs de Rosario humilient l’équipe d’Argentine. A la mi-temps, le score est déjà de 3-0 et à l’heure de jeu, le sélectionneur argentin demande à ce que le « Trinche » sorte pour ne pas que son équipe soit trop touchée moralement. Il faut dire que ce jour-là, même les joueurs argentins sont subjugués par la performance de Carlovich. Troisième gardien de l’Argentine à l’époque, Ubaldo Fillol se souviendra encore de cette performance bien des années plus tard : « Je m'en souviens comme si c'était hier. Qu'est-ce qu'il nous avait mis "El Trinche" ! Il nous avait littéralement baladé. »
La légende du "Trinche"
Avec le temps, la légende du "Trinche" n'a cessé de s’enrichir d’anecdotes plus ou moins véridiques cette fois. L’une d’entre elles revient tout de même assez souvent pour que l'on puisse lui accorder une certaine crédibilité. Il semblerait que Luis Menotti, le successeur de Cap à la tête de l’équipe d’Argentine ait convoqué Carlovich lors d’un rassemblement avec la sélection mais que, réticent à l’idée du déplacement, celui-ci ne se soit pas présenté. Ce détachement vis-à-vis du football, qu’il considérait bien plus comme un plaisir que comme un métier, explique vraisemblablement pourquoi « El Trinche » n’a pas eu une carrière à la hauteur de son talent. Toutefois, grâce à son jeu qui enchantait les foules, il est devenu petit à petit un véritable mythe dans son pays, l’absence totale d’images de lui sur un terrain permettant à ses admirateurs d’enjoliver ses prouesses.
Modeste dans l’âme et probablement quelque peu dépassé par l’engouement autour de sa personne, « El Trinche » a continué de mener une vie simple après sa carrière, buvant du maté avec ses amis dans son quartier de Rosario et se rendant au stade de temps en temps pour y voir jouer l’équipe locale. Confessant n’avoir jamais lu les deux biographies qui lui avaient été consacrés, Carlovich ne prétendit jamais être le plus grand footballeur argentin de l’histoire. Vouant un véritable culte à Maradona, il avait déclaré après l’avoir rencontré qu’il pouvait désormais « mourir en paix ». A l’arrivée, malgré toutes les légendes entourant son nom, Carlovich rejoignait donc tous les autres argentins dans l’immense estime qu’il avait pour « El Pibe de Oro ». La seule petite différence étant qu’entre « El Trinche » et Diego, l’admiration était réciproque.
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