A la fin du mois d'août 1946, l'attaquant d'Augsbourg Ossi Rohr est arrêté en Allemagne par la police française et est emprisonné à Strasbourg. La cause ? Celui qui fut le buteur vedette du Bayern Munich et du Racing dans les années 30 avant de combattre dans l'armée française pendant la guerre aurait été un agent double. Réalité ou mensonge, Foot Universal a mené l'enquête....
Comme un conte de fées
L'histoire d'Oskar Rohr aurait pu ressembler à celle de tant d'autres footballeurs, gamins aux pieds d'or ayant connu la gloire grâce à leur talent balle au pied. D'ailleurs, le début du parcours du jeune allemand ne diffère pas de ces trajectoires racontées maintes et maintes fois. Né à Mannheim le 24 mars 1912, celui que tout le monde surnomme "Ossi" contracte dès son plus jeune âge le virus du ballon rond et s'inscrit dans le club de sa ville. L'école, très peu pour lui; ce qui l'intéresse c'est de jouer et surtout, de marquer. Et pour cela, Rohr est doué, comme ne tarde pas à le remarquer son entraîneur à Mannheim, Richard Kohn, ancien coach du FC Barcelone. Alors, lorsque celui que l'on a affublé du sobriquet de "Little Dombi" s'en va diriger la destinée du grand Bayern Munich en 1930, il n'oublie pas d'emmener son jeune buteur dans ses bagages. Si cette arrivée laisse sceptique un bon nombre de suiveurs du club bavarois, le jeune Oskar a tôt fait de faire taire ses détracteurs. S'il est capable de venir décrocher pour distribuer des ballons à ses ailiers, le natif de Mannheim est avant tout un formidable buteur. Doté d'une frappe de balle hors-norme, son efficacité lui ouvre les portes de la sélection dès 1932. A 20 ans, il s'impose immédiatement à la pointe de la Mannschaft grâce à une première saison canon : 4 sélections, 5 buts. Ce seront les seules rencontres internationales de toute sa carrière.
Fuir le nazisme
En janvier 1933, alors qu'Oskar Rohr est en train de devenir la nouvelle vedette du football allemand, Adolf Hitler arrive au pouvoir. De l'autre côté du Rhin, le climat change instantanément pour les juifs, théoriquement exclus des clubs de football. Toutefois, jusqu'en 1936, la perspective de l'immense démonstration de propagande des J.O. de Berlin freine les nazis dans leur ardeur, ce qui permet à certains clubs, le Bayern Munich en tête, de conserver leurs joueurs juifs. Néanmoins, à la tête du club, les dirigeants préfèrent prendre leur précaution : Kurt Landauer, le président juif du Bayern démissionne tandis que Richard Kohn rejoint les Grasshopers Zürich en Suisse. Et qui emmène-t-il de nouveau dans ses bagages ? Ossi Rohr bien sûr ! Loin de partager les idéologies du nouveau régime, celui qui déteste effectuer le salut nazi avant les rencontres décide de quitter le pays pour suivre son mentor. Pour son avenir sportif, les conséquences sont lourdes : à un an du Mondial 1934, il se ferme définitivement les portes de la sélection.
En Suisse, l'ex-buteur du Bayern continue néanmoins de faire ce qu'il a toujours fait : marquer. Mais, lorsque Kohn retourne à Barcelone au bout de quelques mois, l'attaquant allemand cherche lui aussi à partir pour un championnat plus relevé. Il trouvera son bonheur du côté de Strasbourg, qui prend part au tout nouveau championnat de France professionnel. Là-bas, Ossi va affoler tous les compteurs : entre 1934 et 1939, il inscrit 118 buts qui font de lui, encore aujourd'hui, le meilleur buteur de l'histoire du club. En 1938, il fait également la rencontre de Karl Rumbold, un Autrichien devenu entraîneur du Racing qui jouera un rôle prépondérant dans la suite de son histoire...
Oskar Rohr légionnaire !
1er septembre 1939. Après plusieurs semaines de montée des tensions entre la France et la Grande-Bretagne d'un côté, l'Allemagne de l'autre, la guerre est déclarée. Toujours à Strasbourg au moment des faits, Ossi Rohr est face à un dilemme : doit-il regagner l'Allemagne pour combattre dans l'armée d'Hitler ? Rester en France et simplement jouer au football tant qu'il le peut encore ? S'engager dans la Légion étrangère pour défendre sa terre d'accueil ? Pendant cinq mois, aucune nouvelle ne filtre concernant l'attaquant du Racing et pour cause : en tant que ressortissant d'un pays ennemi, l'attaquant a été interné dans un camp de concentration français, et ce bien qu'il ait réclamé à plusieurs reprises la nationalité française. Ainsi, alors qu'il s'éternise dans le fort de Mutzig avec la crainte d'être renvoyé en Allemagne, il ne peut participer à l'extraordinaire aventure du RC Strasbourg délocalisé à Périgueux et futur champion ... de Dordogne !
Quoiqu'il en soit, après cinq mois sans nouvelles dans la presse, Rohr fait de nouveau parler de lui à la fin du mois de janvier 1940. Cette fois, c'est officiel, l'ex-gâchette du Racing s'est engagé dans la Légion Etrangère. Aperçu dans les travées d'une rencontre disputée à Lyon entre le Racing et Sochaux, le nouveau légionnaire porte fièrement son uniforme et souligne là son attachement à la nation tricolore. Ainsi, au cours de la Bataille de France, c'est bien du côté Allié qu'Oskar Rohr prendra part au combat.
Les années sombres
"Rohr sera longuement indisponible. Ce n'est ni pour raison de santé, ni parce qu'il est en difficultés avec son club..." Le 26 février 1941, le journal L'Auto fait état, à mots couverts, de l'arrestation d'Oskar Rohr, qui évoluait du côté de Sète depuis le mois de novembre 1940. Arrestation par qui et pour quelles raisons ? A priori, ce sont les Allemands qui auraient toutes les raisons d'arrêter l'ancien attaquant strasbourgeois, considéré comme un traître à sa nation. Pourtant, d'après son entraîneur à Sète Elly-Rous, espion au service des Alliés et de la Résistance, ce sont bel et bien les Français qui auraient arrêté Rohr car celui-ci aurait été "un agent des services secrets allemands, manipulé par son ancien entraîneur, membre de la Gestapo." C'est ici que l'affaire se complique. Comment comprendre qu'un joueur ayant manifesté son hostilité à l'encontre du nazisme depuis bien longtemps ait pu devenir un agent des services secrets allemands ? Jouait-il un double jeu depuis le début ? Peu probable lorsque l'on se rappelle qu'il n'avait que 21 ans au moment de son départ d'Allemagne.
En réalité, l'hypothèse la plus probable serait celle d'un chantage de la part de Karl Rumbold, son ancien entraîneur du côté de Strasbourg qui était bel et bien un membre de la Gestapo. De par sa position et sa proximité avec Rohr, l'autrichien avait certainement moyen de faire pression sur celui-ci en raison de son passage dans la Légion Etrangère. Toujours est-il qu'emprisonné au Fort Saint-Jean de Marseille pendant quelques temps, Rohr est libéré par les Allemands avant d'être envoyé au camp de concentration de Kislau en Allemagne. Condamné à huit semaines de travaux forcés, il est ensuite expédié en tant que fantassin sur le front Est, forcé d'intégrer une armée qu'il avait autrefois combattu. Blessé au combat, il ne doit la vie sauve qu'à un pilote d'hélicoptère qui, l'ayant reconnu, le fait évacuer in extremis du champ de bataille alors qu'il s'apprêtait à repartir. A 33 ans, la guerre d'Ossi Rohr se termine enfin avec la défaite de l'Allemagne le 8 mai 1945. Usé par ces années vécues entre deux feux, il espère retrouver le RC Strasbourg pour y finir sa carrière. Il se berce d'illusion.
Un homme brisé
Alors qu'il rêvait d'une dernière pige au Racing pour boucler la boucle, Oskar Rohr retrouve Strasbourg dans la peau d'un prisonnier en septembre 1946. A Augsbourg depuis un an, il a été arrêté par les Français (ou les Américains selon les sources), qui l'accusent d'avoir été un agent double pendant la guerre. Détenu à la prison militaire de Strasbourg pendant deux mois, il est relâché après que l'enquête ait conclu qu'il n'avait joué qu'un rôle d'intermédiaire dans une affaire d'espionnage orchestrée par Rumbold. Toutefois, cette ultime péripétie achève de faire tomber en disgrâce l'ancienne vedette du Racing et c'est en paria qu'il est raccompagné à la frontière à la fin de l'année 1946. A 34 ans, Rohr est brisé, fini pour le football comme en témoigne les mots d'un des agents de police chargés de l'escorter à la frontière :
"Rohr ne jouera sans doute plus au football. C'est un vieillard que nous avons relâché. Son moral est à zéro et au physique, il n'est plus que l'ombre de lui-même."
Aujourd'hui plus reconnu pour avoir été l'oncle de Gernot Rohr que pour sa brillante carrière, Oskar Rohr s'est éteint le 8 novembre 1988, emportant avec lui sûrement bien des mystères autour d'une période qu'il n'évoqua plus jamais tout au long de sa vie...
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