En 1936, l'international français Jacques Mairesse se lance dans une véritable lutte contre la F.F.F. pour former le tout premier syndicat des footballeurs professionnels. Un combat qui se terminera dans des circonstances tragiques.
Les débuts du football pro
Adopté en 1932 en France, le professionnalisme a créé une nouvelle profession : celle de footballeur professionnel. Au cours des premières années, "les nouveaux pros" ne vont pas avoir une grande "conscience professionnelle" : la majorité des joueurs disposant d'un travail à côté, ceux-ci ne voient pas l'intérêt de s'astreindre à un entraînement régulier. Quant aux rares vedettes ne travaillant pas en dehors du foot, elles estiment bien souvent que leur talent suffit et que l'entraînement ne les concerne pas. N'ayant pas vraiment pris conscience de leurs devoirs, les footballeurs accordent encore moins d'importance à leurs droits. Les dirigeants en profitent ainsi bien souvent pour empocher de juteux bénéfices dont une infime partie seulement revient aux footballeurs. De plus, les joueurs sont liés à leurs clubs par des contrats à vie, ne pouvant être seulement rompus que par les clubs à l'occasion de transferts sur lesquels les joueurs n'ont pas leur mot à dire. Pour autant, il faudra attendre 1936 pour qu'une première voix s'élève pour contester ces pratiques. Cette voix, c'est celle de Jacques Mairesse, fondateur du premier syndicat de footballeurs de l'histoire.
Jacques le fougueux
Avant de devenir le premier défenseur des footballeurs, Mairesse a d’abord été un joueur de qualité. Évoluant notamment à Sète et au Red Star, deux grands clubs de l’époque, ce robuste défenseur connaît 6 sélections entre 1927 et 1934 et termine sa carrière internationale en participant à la seconde Coupe du Monde de l’histoire, organisée en Italie. Sur le terrain, Mairesse est un « sanguin » comme on dit dans le sud ou un « balayeur » pour reprendre le terme utilisé à l’époque. Lorsque l’on lit des résumés de matchs de l’époque, on se l’imagine aisément fonçant tête baissée, dur au mal, lâchant parfois des tacles bien appuyés à la Di Meco, hurlant sur les partenaires ne faisant pas les efforts. Dans le football actuel, Mairesse aurait probablement évolué quelques divisions plus bas, là où ses successeurs, les vieux grognards du dimanche matin, numéro 5 dans le dos et brassard de capitaine viscéralement attaché autour du bras gauche, continuent de perpétuer un style de jeu cher au « grand Jacques ».
Le manifeste de Jacques Mairesse
Rebelle dans l’âme, Mairesse n’est pas le genre d’hommes que l’on utilise. Alors, en novembre 1936, quand il sent que sa carrière au plus haut niveau est désormais derrière lui, il s’engage pour défendre avec ardeur les conditions de travail des footballeurs. Il faut dire qu’à cette époque, le salaire du footballeur était à des années lumières de ce qu’il est aujourd’hui. Ainsi, hormis ceux que l’on nomme les joueurs « de classe », la majorité des footballeurs professionnels doivent pratiquer un autre métier à côté pour subvenir à leurs besoins.
Pourtant, le football génère déjà beaucoup d’argent. Le 8 février 1937, dans un véritable manifeste annonçant la création de son syndicat des footballeurs publié dans Le Petit Journal, Mairesse prend l’exemple de l’écart colossal entre la recette du dernier match de l’équipe de France, 560 000 francs, et la somme destinée aux joueurs : 6 000 francs. De plus, l’international aux 6 sélections dénonce avec véhémence le manque de droits des footballeurs. Il accuse les dirigeants de club de les « vendre sans leur consentement » et estime que la première génération de joueurs professionnels, apparue avec l’adoption du professionnalisme en 1932, a servi de « cobayes à une expérimentation » que les footballeurs approuvent « jusqu’au point où les moyens employés à leur égard deviennent incompatibles (…) avec le respect de la personne, de la dignité humaine, et enfin, le droit au travail ».
Les revendications de Mairesse trouvent écho parmi les joueurs de football, si bien que 350 d’entre eux lui apportent son soutien. En revanche, elles lui attirent les foudres de la Fédération qui refuse de lui octroyer une licence pour évoluer dans le petit club du SC Albert, où Mairesse souhaitait terminer sa carrière.
Pas du genre à se laisser abattre, Mairesse poursuit son offensive à la tête de son syndicat. En plus d’intenter un procès à la FFF pour le refus d’octroi de sa licence, l’ancien défenseur repart à l’attaque quelques mois plus tard en expliquant que « le joueur se fait transférer comme un colis, sans avoir le droit d’élever la plus timide des protestations ! C’est un esclave acheté par un autre maître ! ».
La fin tragique du syndicat Mairesse
Le conflit entre la Fédération et Mairesse prendra fin dans des conditions tragiques. Mobilisé en 1940 pour défendre son pays, Mairesse met en sommeil son syndicat le temps du conflit. Il n’aura jamais l’occasion de le réactiver. Le 15 juin 1940, à la veille de l’arrêt des combats, Mairesse et son régiment sont faits prisonniers par les allemands. Refusant de se laisser intimider, notre "balayeur" profite d’un moment de confusion provoqué par des tirs d’artillerie pour insulter des soldats allemands et les provoquer en duel. Ceux-ci lui répondent par une rafale de tirs qui a raison du grand Jacques.
A l’annonce de sa mort, l’ensemble du football français salue sa mémoire, y compris ceux qui s’étaient opposés à lui quelques années plus tôt. Le plus bel hommage viendra de son ancien coéquipier Augustin Chantrel qui prendra la plume dans le journal L’Auto pour se remémorer les colères mémorables et les fous rires qu’il eut avec son ami. Au passage, il en profitera pour souligner un aspect moins connu de la personnalité de son « Jacquot » : « Il avait une culture extrêmement étendue, un cœur d’or, une sensibilité aigüe, aux sentiments délicats. Il me parlait longuement de choses parfois simples, parfois profondes. (…) C’était celui-là, le vrai Mairesse, un Mairesse inconnu et c’est celui-là que je pleure ».
30 ans d'avance
Mairesse disparu, l'exploitation des joueurs par les dirigeants peut reprendre de plus belle. La situation perdurera ainsi jusqu'à la création de l'UNFP (Union Nationale des Footballeurs Professionnels) en novembre 1961. Porté par la voix de Raymond Kopa notamment (qui écopera de six mois de suspension pour avoir dénoncé l'exploitation des footballeurs), l'UNFP permettra enfin aux joueurs de football d'obtenir de véritables droits. L'avancée la plus marquante sera l'apparition du contrat à temps en 1969, soit plus de 30 ans après avoir été réclamée haut et fort par Jacques Mairesse...
Sources :
- DA ROCHA CARNEIRO F., Les joueurs de l’équipe de France. Construction d’une élite sportive (1904-2012), thèse de doctorat en histoire contemporaine, sous la direction d’Olivier Chovaux et Williams Nuytens, Université d’Artois, 2019.
- GRUN L., Entraîneur de football : l’histoire d’une profession de 1890 à nos jours., thèse réalisée sous la direction d'Alfred Wahl et Thierry Terret, 2011.
- LANFRANCHI P. et WAHL A., Les footballeurs professionnels des années Trente à nos jours, Paris, Hachette, 1995.
- WAHL A., Les Archives du football, Paris, Gallimard Julliard, 1989
- POTTIER Jean-Marie, « Jacques Mairesse, l’arrière tombé au champ d’honneur », long format disponible sur le site internet de la BNF Rétronews.fr., 2018.
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