top of page

Larbi Ben Barek - Marcel Cerdan, l’improbable duo d’attaque qui affronta l’équipe de France en 1941.


D’un côté, prenez Larbi Ben Barek, recordman de longévité en équipe de France (seize ans séparent sa première sélection en 1938 de sa dernière en 1954) et idole de Pelé ; le brésilien déclarant un jour à son sujet : « Si je suis le Roi du football, alors Ben Barek en est le Dieu ».

De l’autre côté, prenez Marcel Cerdan, boxeur légendaire à la popularité inégalée en France, disparu tragiquement dans un accident d’avion en 1949. Ajoutez-y les nombreux bouleversements causés par la Seconde Guerre Mondiale et mélangez le tout. Vous obtiendrez la paire d’attaquants la plus improbable qu’ait eu à affronter l’équipe de France au cours de sa longue histoire.



Le sport au service de la propagande


Nous sommes au mois d’avril 1941. Commissaire à l’Éducation Générale et aux Sports depuis l’arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain en juin 1940, l’ancien tennisman Jean Borotra s’envole pour une tournée de propagande en Afrique du Nord. Dans ses bagages, 106 sportifs de haut niveau dont 15 footballeurs. L’objectif de cette tournée est de rassurer les régions françaises d’Afrique du Nord sur la grandeur intacte de la France, moins d’un an après la défaite française face à l’Allemagne d’Hitler. Pour tenter de redresser le pays, le Maréchal Pétain s’est en effet appuyé sur deux axes majeurs : la collaboration avec l’Allemagne dans l’espoir illusoire d’obtenir un meilleur traitement de la part de l’Allemagne nazie et la « Révolution Nationale », doctrine visant à redresser moralement et physiquement la population française.


Pour faire de sa tournée un véritable événement populaire, Borotra organise de nombreuses épreuves sportives tout au long de son parcours. La plupart du temps, ces épreuves sont surtout l’occasion de démonstrations des sportifs de métropoles qui affrontent des athlètes locaux d’un niveau moindre. A l’arrivée, seul le football propose de véritables rencontres dignes d’intérêt. En effet, le ballon rond étant incroyablement populaire en Afrique du Nord, les sélections locales comptent dans leurs rangs au minimum deux ou trois joueurs « de classe », comme on les nomme à l’époque.

Hormis l’ailier du Racing Fred Aston, la sélection française est constituée uniquement de joueurs évoluant en Zone Non Occupée, soit la moitié Sud du pays. Les sélectionneurs du groupe France ont ainsi choisi la solution de facilité, les circulations entre les différentes zones étant très compliquées à l’époque. En raison de cette restriction, les matchs disputés en Afrique du Nord ne seront pas retenus comme étant des matchs officiels de l’Équipe de France.


Le "Bombardier Marocain" et la "Perle Noire"


Extrait du "Miroir des Sports", 5 mai 1941.©Gallica

Une fois la Méditerranée traversée, trois matchs sont prévus pour le parisien Aston et ses coéquipiers. Le premier a lieu à Casablanca le 20 avril 1941 devant 15 000 personnes. Signe du succès de la rencontre, autant de spectateurs sont refoulés à l’entrée du stade par manque de place. Sur un terrain où la pelouse se fait rare, la sélection de métropole est opposée à une équipe marocaine qui compte dans ses rangs une véritable vedette du football français : Larbi Ben Barek. Arrivé à Marseille à l’été 1938, le jeune attaquant marocain avait éclaboussé la France de son talent au point d’être sélectionné chez les Bleus dès décembre 1938. Non-mobilisé lors de la guerre car ne disposant pas de la nationalité française, celui qui avait gagné le surnom de "Perle Noire" était retourné à Casablanca afin de s’occuper de trois maisons d’avocat. Malgré le désir réciproque de retrouver l’OM le plus rapidement possible, Ben Barek restera finalement au Maroc jusqu’en 1945, ses parents ne souhaitant pas le voir abandonner son business.


Grâce à un Ben Barek buteur face à sa propre sélection, l’équipe marocaine réalise l’exploit d’arracher le match nul face à la sélection française (1-1). Le terme d’exploit n’est pas galvaudé puisque l’envoyé spécial de L’Auto dépêché sur place estime que l’équipe marocaine ne comporte que cinq joueurs de qualité parmi lesquels on retrouve… Marcel Cerdan ! Devenu champion d’Europe de boxe des poids-moyens en 1939, celui que l’on surnomme le « Bombardier Marocain » avait longtemps hésité entre le football et la boxe. Évoluant au poste d’ailier droit de l’équipe marocaine, sa prestation est unanimement saluée par l’ensemble de la presse française. Totalement sous le charme, Le Miroir des Sports écrit ainsi : "Il faut un don athlétique exceptionnel, une valeur physique unique, un équilibre sportif parfait pour exceller à un tel degré dans deux sports aussi distincts que la boxe, sport du poing, et le football, sport du pied."


L'Afrique du Nord, terre de football


Après le Maroc, la délégation française disputera deux autres matchs en Algérie et en Tunisie, matchs qu’elle remportera aisément malgré la présence de joueurs de qualité tel que le légendaire Kader Firoud côté algérien. A l’arrivée, la participation des footballeurs à la tournée Borotra sera en grande partie responsable du succès de celle-ci. Ce constat est assez amusant lorsque l'on sait que, comme tous les régimes totalitaires de l'époque, Vichy était totalement opposé au football professionnel. Ainsi, le régime de Pétain a été obligé de faire des petites concessions vis-à-vis de sa doctrine afin d'assurer la réussite de sa tournée de propagande. Sans le football, nul doute en effet que la tournée Borotra n'aurait pas été un succès aussi probant. Toutefois, il est important de ne pas faire de raccourcis trop hâtifs : les joueurs ayant participé à cette tournée ne sont pas de fervents partisans du régime de Vichy. Parmi eux, on retrouve même René Llense et Yvan Beck, deux des rares joueurs dont la participation à la Résistance est avérée. Ces joueurs sont donc simplement des hommes ayant eu la chance de s'évader pendant quelques semaines d'un quotidien difficile afin de représenter leur pays à l'étranger. De plus, il est nécessaire de relever que la collaboration avec l’Allemagne est totalement absente de cette tournée Borotra. Victime d'une large campagne à son encontre au sein des journaux collaborationnistes depuis bien longtemps, le nageur juif Alfred Nakache fait par exemple partie des sportifs sélectionnés pour l’occasion. Deux ans plus tard, celui-ci sera arrêté et déporté à Auschwitz en compagnie de sa femme et de sa fille. Lui seul reviendra des camps de la mort.

459 vues0 commentaire
Ancre 1
bottom of page