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Le football polonais pendant la Seconde Guerre Mondiale

Entre 1939 et 1945, dans une Pologne qui souffre le martyr, le football survit tant bien que mal. Récit.


Un pays rayé de la carte

En septembre 1939 la Pologne est rayée de la carte en 35 jours. Envahie et écrasée par l’Allemagne, elle subit le coup de couteau dans le dos de la part de l’Armée rouge quinze jours plus tard. Non contents de se partager le pays, les deux occupants vont pouvoir martyriser sans aucune opposition la population polonaise Leur but ? Anéantir la culture polonaise pour mieux asservir sa population.

Du côté allemand, toute forme d’enseignement supérieur à partir du secondaire, ainsi que tout ce qui touche à la vie culturelle artistique et scientifique est interdite, ainsi que la pratique du sport. Les clubs sportifs sont donc dissous, à commencer par les deux frères ennemis de Cracovie, la capitale historique du pays, le Wisla et le FC Cracovia. Tous les clubs sans distinction sont spoliés de tout ce qui peut servir aux Allemands, tandis que sont créés des clubs exclusivement composés d’Allemands, souvent issus de l’armée d’occupation. Les 72 clubs juifs de football du pays voient bien entendu tous leurs biens liquidés dès octobre 1939, comme à l'image de ce qu'avaient connu l'Autriche et la Tchécoslovaque auparavant.

Du côté soviétique, les clubs polonais sont dissous et remplacés par d’autres soviétisés qui s’arrogent les installations existantes. Seul club de l’ex-D1 polonaise, le Pogoń Lwów subit bien évidemment le même sort que les autres. Certains de ses joueurs iront jouer en URSS, de gré ou de force. Le Junak Drohobycz, émanation de l’armée polonaise, sur le point d’intégrer la 1e division lors de l’invasion, rejoindra en intégralité l’armée polonaise à Bagdad, où il formera la Brigade indépendante de fusiliers des Carpates. Devenu l’Équipe de l’armée polonaise d’Orient, il suivra l’armée de l’Irak à l’Italie, y disputant des matchs à mesure de l’avancée des combats, notamment à Naples devant 35 000 spectateurs contre l’équipe locale après avoir participé à la libération de la ville. Comme de l’autre côté, la répression est sanglante : les fosses de la forêt de Katyń sont, en 1940, le tombeau de 250 sportifs de haut niveau, tous officiers de l’armée polonaise. Parmi eux, une dizaine de footballeurs...


Le football malgré tout


La résistance à l’interdiction du sport s’organise d’abord à Cracovie, la capitale historique du pays. Une résistance, disons-le… avec l’aval des Allemands, sans qui rien n’est possible en Pologne. Ne nous y trompons pas : il est faux et illusoire de dire que les Allemands ne sont pas au courant. C’est le gardien des installations du Juvenia Cracovie, l’un des plus anciens clubs du pays, qui réussit à négocier avec les Nazis l’organisation « légale » de matchs « illégaux » sur son stade. Le 22 octobre 1939, déjà, se produit donc l’impensable : malgré l’interdiction officielle, le premier match de football, entre le Wisla Cracovie et Krowodrza a lieu. Le 7 août 1940 marque le début d’un championnat inofficiel de Cracovie rassemblant 8 équipes. Celui-ci se tiendra, bon gré mal gré, durant toute l’occupation nazie. Un exemple parmi d’autres de la complicité des Allemands, la survenue sur le stade de Kurdwanów le 12 septembre 1943 du sinistre Amon Göth, le commandant du camp de travail de Płaszów, où l’espérance de vie ne dépasse pas quatre semaines, celui qui a supervisé la liquidation du ghetto de Cracovie six mois plus tôt. Une arrivée ostensible, Göth étant juché sur son cheval blanc et entouré de ses hommes, qui ne débouche sur aucune arrestation ou mauvais traitement, au grand soulagement des 5 000 spectateurs présents…


Le derby le plus improbable de l'histoire

Le Święta Wojna, le derby entre le Wisla et le FC Cracovia, le match le plus chaud de l’année depuis 1908, peut donc reprendre. Le 5 mai 1940, pour le premier Święta Wojna depuis la guerre, a lieu au stade du Juvenia le derby de Cracovie le plus improbable de l’Histoire. Signe des temps difficiles et de la spoliation par les allemands, les joueurs du Wisla jouent le match torse nu, certains en short du club, certains en maillot de bain ou en sous-vêtements, ce qui ne les empêche pas de remporter la victoire 3-0. Le derby de Cracovie réussira à se tenir tout au long de la guerre, marqué, malgré la présence de l’occupant, par les débordements traditionnels accompagnant cette rencontre. Ainsi, le 17 octobre 1943 des incidents sur le terrain se propagent dans les tribunes puis dans les rues adjacentes, sous le regard goguenard des Allemands qui laissent faire.

Le championnat de Varsovie


Mais si Cracovie assure le leadership du football « illégal », Varsovie n’est pas en reste. Elle possède également son championnat illégal local avec 16 clubs, malgré les tragédies qui jalonnent ces compétitions. Les autorités semblent d’ailleurs moins complices qu’à Cracovie. L’année 1943 voit d’ailleurs plusieurs drames, parmi lesquels celui de Konstancin où les Allemands tuent une dizaine de spectateurs, et de Milanówek où plusieurs joueurs du Polonia Varsovie, l’équipe-phare de la capitale, sont arrêtés par la Gestapo et déportés à Auschwitz. Le gardien de but international (11 sélections) Edward Madejski subira lui aussi le même sort : condamné à mort, il réussira à s’échapper lors d’un transferta près plusieurs mois de détention et continuera à participer à des rencontres illégales. Bien sûr, l’édition 1944 sera interrompue à cause de l’insurrection en octobre, alors que les Soviétiques sont de l’autre côté de la Vistule, et qui voit la destruction totale d’1/4 de la ville.


Une addition de destins individuels brisés


La Pologne de 1939 est un pays divisé en trois grand groupe : les Polonais "de souche", les Silésiens, germanophones, et les Juifs. Tous ne seront pas traités de la même façon par les occupants.

Au nombre de trois millions, les Silésiens sont pour la plupart nés allemands. Ils ont signé la Volkliste (liste du régime nazi classifiant les citoyens des pays occupés) dès l’invasion et sont devenus citoyens du Reich, ce qui leur confère aussi des devoirs, dont celui de défendre leur patrie. La totalité les joueurs originaires de Silésie (soit la grosse majorité de l’équipe nationale en 1939) peut donc continuer à jouer au football dans des équipes officielles intégrées dans le championnat allemand ; certains seront même internationaux allemands, comme la vedette du Mondial 1938 Ernest Wilimowski. Dès septembre 1940, les clubs de Haute-Silésie sont admis à participer au championnat d’Allemagne (Gauliga Silésie) à condition d’avoir germanisé leur nom et de s’être déclarés allemands : le FC Katowice redevient le FC Kattowitz, le FC Ruch Wielki Hajduki est rebaptisé en Bismarckhütter SV 99 et l’AKS Chorzów en Germania Königshütte. Mais toute médaille a son revers. Une fois l’Allemagne battue et la Pologne reconstituée, ils seront pour la plupart considérés comme des traîtres et ne pourront jamais rentrer au pays.

Les Polonais de souche, eux, vivent cinq ans de calvaire. Clandestinité, déportation ou, pour les plus chanceux continuation de la guerre sous l’uniforme Allié. Chez les footballeurs, le cas des trois frères Reyman* est bien représentatif du sort de cette population. Figures emblématiques du Wisla Cracovie, ils vont connaître un destin tragique. Si l’aîné Henryk, lieutenant-colonel de l’armée, s’en tirera indemne après son évasion et survivra quatre ans dans la clandestinité en tant que garde forestier à 200 km de chez lui, ses deux frères auront moins de chance. Stefan sera abattu en janvier 41 devant le « Mur de la mort » du tristement célèbre block 11 d’Auschwitz, tandis que Jan reviendra de déportation atteint par la tuberculose après avoir servi de cobaye humain lors d’une pseudo-expérience médicale. Seul de sa génération, Wladyslaw Szczepaniak, capitaine de la sélection en 37-39, rejouera au haut niveau après la guerre.

Les joueurs juifs, eux, ne subiront pas un autre destin que celui de leurs 3,5 millions de coreligionnaires exterminés. Citons entre autre les internationaux Józef Klotz (Maccabi Varsovie), 1er buteur de la Pologne en match international, gazé à Auschwitz en 41 directement en provenance du ghetto de Varsovie, Leon Sperling(FC Cracovia) et Zygmunt Steuermann (Hasmonea Lwów), abattusdans le ghetto de Lwówen décembre 41, ou encore Stefan Fryc (FC Cracovia), assassiné dans le ghetto de Varsovie en novembre 1943...


Frédérik Legat

*Pour en savoir plus sur leur histoire, voire F. LEGAT, "Destins Maudits du Football", Spinelle, 2020.

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