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Les "Busby Babes" sur la route des étoiles

Le 6 février 1958, huit joueurs de Manchester United trouvaient la mort lors du crash de leur avion au décollage de Munich. Ce tragique accident marqua la fin d'une des plus brillantes équipes de l'histoire du football anglais : les "Busby Babes".

Les "Busby Babes". Crédit : Manchester United

Le rêve éveillé de Matt Busby


Les trois coups de sifflet de M. Lo Bello retentissent et Wembley exulte. Nous sommes le 29 mai 1968, il est 22 heures passée et Manchester United vient de remporter la première Coupe d’Europe des Clubs Champions de son histoire face au Benfica d’Eusebio (4-1, a.p.). Sur son banc, Matt Busby, l’entraîneur de Man U est au septième ciel. Dans l’ivresse de la nuit magique qui s’annonce, il enlace les Best, Charlton, Foulkes, et autres Dunne, il sourit, il rit, il pleure. Euphorique, le calme Ecossais s’apprête à se muer en Louis Armstrong et à reprendre en boucle What a Wonderful World pendant toute une soirée de folie.

Au fond de lui, la terrible douleur qui l’accompagne nuit et jour depuis dix ans vient de s’envoler. Bobby Charlton, qui le connaît depuis quinze ans ne l’a jamais vu comme ça… et il ne le reverra jamais. Car malgré l’ivresse de ce soir de mai 1968, Matt Busby aura tôt fait de se laisser de nouveau gagner par une culpabilité qui ne le quittera jamais. Le soir même probablement, une fois seul dans son lit, il se refera le film d’années de bonheur décimées en une minute et reverra le visage de ses Busby Babes, jeunes et insouciants, montant en riant dans un avion dont ils ne descendront jamais. Et, les retrouvant l’espace d’un instant d’évasion, il leur racontera comment toute cette histoire a commencé seize ans auparavant...


On ne change pas une équipe qui gagne ?


26 avril 1952, Old Trafford. Autre triomphe, autres scènes de liesse. Après une ultime correction infligée à Arsenal (6-1), Manchester United vient de remporter le second titre de champion d’Angleterre de son histoire, le premier depuis 1911. Ce succès porte un nom, celui de Matt Busby. Débarqué à Manchester en 1945, l’entraîneur écossais a transformé un club condamné à jouer les seconds rôles depuis sa création en une véritable machine à gagner. Pour cela, il s’est attelé à développer un football résolument moderne et offensif, qui a permis à des joueurs tels que Jimmy Delaney, Jack Rowley ou John Carey d’exprimer tout leur potentiel. Toutefois, en 1952, ces trois là, ainsi qu’une majeure partie de l’effectif, ont déjà la trentaine et ne représentent plus l’avenir du club. Alors, plutôt que de subir leur déclin, Busby décide de réagir tant qu’il en est encore temps. Sa première génération de joueurs, celle qu’il avait récupéré en arrivant en 1945, a vécu. Désormais, l’heure est venue pour ceux que l’on nommera bientôt les Busby Babes de prendre le pouvoir.


La naissance des Busby Babes


Dès la saison 1952-1953, l’entraîneur écossais lance dans le grand bain quelques uns des futurs tauliers de Manchester pour les années à venir : Tommy Taylor, acheté à Barnsley pour un transfert record de 30 000 livres, David Pegg, Bill Foulkes, Jackie Blanchflower ou encore Dennis Viollett. Leur point commun ? Tous sont âgés de moins de 25 ans ! Parmi tous ces jeunes, un se démarque tout particulièrement. Il se nomme Duncan Edwards, est âgé de 17 ans, et est considéré comme le plus grand espoir du pays. Puissant physiquement, juste techniquement et doté d’une frappe de balle exceptionnelle, Edwards est un prototype du milieu de terrain « box to box » moderne. Positionné à la récupération ou dans un rôle plus offensif selon les besoins, le natif de Dudley s’impose dès 1953-1954 comme l’un des titulaires à part entière de ce Manchester United nouvelle génération.

Souffrants dans un premier temps de ce renouvellement (9ème en 1953, 4ème en 1954, 5ème en 1955), les Reds Devils retrouvent leur titre de champion lors de la saison 1955-1956. Cette fois, les Busby Babes sont lancés, d’autant plus qu’ils sont renforcés dès la saison suivante par l’éclosion d’une nouvelle pépite en la personne de Bobby Charlton. De nouveau champions en 1957, les coéquipiers d’Edwards se voient fixés un nouvel objectif par leur entraîneur : faire de Manchester United le premier club anglais à remporter la Coupe d’Europe.


Le crash de Munich


Créée en 1955 suite à l’initiative du journaliste (et ancien international français) de L’Equipe Gabriel Hanot, la Coupe d’Europe des Clubs Champions n’a jusqu’ici pas échappé au Real Madrid. Pour Busby, triompher dans cette nouvelle compétition vire à l’obsession, surtout après la défaite en demi-finale face au Real pour la première participation des Reds Devils en 1956-1957. Plus déterminé que jamais, l’entraîneur écossais se démène pour obtenir le meilleur de son effectif, tout en gardant le côté paternel qui caractérise son management. Naturellement proche de ses joueurs, Busby est plus qu’un simple manager. Pour beaucoup d’entre eux, il est un second père. C’est grâce à lui qu’ils ont pu devenir des joueurs de haut niveau, c’est pour lui qu’ils souhaitent remporter cette Coupe d’Europe qui lui tient tant à cœur.

Mais malheureusement, c’est sur la route de l’Europe que le destin des Busby Babes va basculer. Ressortis vainqueurs de l’Étoile Rouge de Belgrade en ¼ de finale de C1 la veille, les joueurs de Manchester United reprennent l’avion et font escale à Munich pour un ravitaillement. La météo est mauvaise et, après deux essais infructueux de décollage, l’avion se crashe au troisième. Vingt-trois personnes meurent sur le coup, dont huit joueurs de Manchester, plongeant ainsi l’Angleterre dans l’effroi. Parmi les victimes, on retrouve le prodige Duncan Edwards ainsi que Tommy Taylor et Roger Byrne dont les décès anéantissent les chances de victoire de l’Angleterre au Mondial 1958.

De l’autre côté de la Manche, la nouvelle provoque un véritable séisme. Comme ce fut le cas pour l’Italie avec le crash de l’équipe du Torino en 1949, l’Angleterre vient de perdre brutalement quelques uns de ses plus beaux joyaux. Et elle pourrait encore perdre son manager le plus charismatique. Placé en soins intensifs, Matt Busby est en effet dans un état critique. Alors que l’on commence à enterrer ses « bébés », l’entraîneur écossais reçoit même par deux fois les sacrements, tant les médecins sont pessimistes sur ses chances de survie. Mais petit à petit, son état de santé s’améliore et, le 8 mars 1958, c’est une voix revenue d’entre les morts qui s’élève des hauts-parleurs d’Old Trafford à l’occasion de la réception de West Bromwich Albion :


« Mesdames et Messieurs, je vous parle depuis mon lit d’hôpital de Munich où je me repose depuis le tragique accident du mois dernier. Vous serez heureux, j’en suis sûr, de savoir que, les joueurs présents ici et moi-même, sommes désormais hors de danger et cela grâce aux magnifiques traitements prodigués par le Professeur Maurer et son équipe, qui sont avec vous aujourd’hui en tant qu’invités spéciaux. Cela fait seulement deux ou trois jours que je suis capable de parler à nouveau de football et j’ai été ravi d’apprendre tous les efforts et l’unité dont vous avez fait preuve à Old Trafford. Enfin, ce fut magnifique d’entendre que le club s’était qualifié en demi-finale de la F.A. Cup. Prenez soin de vous. »


A la mémoire des Busby Babes


Lorsqu’il enregistre ce message du fond de son lit médicalisé de Munich, Matt Busby s’est juré de ne plus reprendre le football. Il se sent coupable d’avoir recruté ces jeunes, d’avoir rêvé d’Europe, coupable d’avoir réalisé leurs rêves. D’après les témoignages des joueurs ayant également survécu au crash, Bobby Charlton en tête, Matt Busby ne reviendra jamais réellement de Munich, comme si une partie de lui s’était envolée avec ses garçons. Comme beaucoup après un tel drame, c’est dans le travail qu’il se réfugie pour oublier. Revenu sur sa promesse, il reprend finalement son poste d’entraîneur, animé par le sentiment de devoir terminer sa mission en remportant enfin cette Coupe d’Europe. Pas pour lui, mais pour ceux qui ne sont plus là.

Le triomphe de 1968 sera son chant du cygne. Usé après avoir accompli la quête de toute une vie, il prendra sa retraite un an plus tard à seulement 59 ans. Jusqu’à sa mort en 1994, il continuera d’assister aux matchs de Manchester à Old Trafford en suivant toujours le même rituel : arrivant par l’entrée principale, il s’attarde devant la stèle où figure le nom des disparus de Munich puis jette un coup d’œil à une petite horloge située à la jonction des tribunes Sud et Est. Contrairement aux autres horloges, celle-ci n’égraine pas le temps qui passe mais est fixée sur le moment où il s’est arrêté : le 6 février 1958 à 15h04.

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