Élu deuxième moment le plus marquant de l’histoire de l’Euro par les abonnés de Foot Universal, la victoire du Danemark à l’Euro est probablement la plus grande surprise de l’histoire du tournoi avec la victoire finale des Grecs en 2004. Retour sur un exploit improbable.
Tout commence à Maksimir
L’histoire du sacre du Danemark à l’Euro 1992 trouve ses lointaines origines dans une rencontre entre le Dinamo Zagreb et l’Étoile Rouge de Belgrade le 13 mai 1990. Dans une Yougoslavie épuisée par les visées nationalistes des gouvernements de ses pays membres, la rencontre entre les deux plus grands clubs de Croatie et de Serbie dégénère. Devant les caméras du monde entier, les groupes de supporters des deux camps se livrent à un véritable affrontement à coups de jets de pierres et de barres de fer. Lorsque la police yougoslave intervient, elle ne fait pas tampon entre les deux camps mais prend position et s’attaque essentiellement aux supporters croates. Fou de rage, la star du Dinamo Zagreb Zvonimir Boban adresse un coup de pied à un policier qui tentait de s’en prendre à un supporter croate. L’image fera le tour du monde et symbolisera pour beaucoup le début de la fin pour la Yougoslavie. Un an plus tard en juin 1991, la guerre civile éclatera définitivement à la suite de la déclaration d’indépendance de la Croatie. Dans ce climat délétère, la sélection Yougoslave tente tant bien que mal de donner l’illusion que le pays n’est pas mort. A ce titre, elle se qualifie pour l’Euro 1992 en terminant première de son groupe lors des éliminatoires. Derrière elle, le Danemark, privé de sa grande star Michael Laudrup en conflit avec les choix tactiques du sélectionneur Richard Moller-Nielsen, est éliminé.
Joueurs à la pêche et repêchage
A l’orée du mois de juin 1992, les joueurs danois sont donc pour beaucoup déjà en vacances depuis la fin de leurs championnats respectifs. Pour autant, certains continuent de s’entretenir légèrement car un ultime espoir subsiste. En raison de la situation dramatique en Yougoslavie, l’ONU réfléchit à multiplier les sanctions à l’encontre du pays dirigé par le Serbe Slobodan Milosevic. Parmi les sanctions envisagées, on parle d’un embargo total sur le pays ce qui signifierait une rupture des relations entre la Yougoslavie et les autres pays membres de l’ONU. A ce titre, la Yougoslavie ne pourrait participer à l’Euro en Suède qui s’apprête à débuter. Durant plusieurs jours, les rumeurs enflent autour de cette possibilité. Finalement, le couperet tombe le 30 mai avec l’adoption de la résolution 757 par l’ONU qui entérine l’embargo sur la Yougoslavie. Dès le lendemain, la FIFA annonce donc l’exclusion de celle-ci de l’Euro et rappelle les « vacanciers » danois.
Quand un Laudrup en cache un autre
Une fois repêché, le Danemark doit monter une équipe compétitive à toute vitesse puisque le tournoi débute dix jours plus tard. Pour mettre toutes les chances de son côté, le sélectionneur Richard Moller-Nielsen tente une fois encore de convaincre Michael Laudrup de revenir sur sa décision pour participer à l’Euro mais celui-ci refuse. Alors, Moller-Nielsen s’adapte et met sur pied une équipe peut-être moins brillante qu'avec Laudrup mais plus solide défensivement. Composée principalement de joueurs évoluant au pays, la sélection ne comporte pas de véritables stars mais possède quelques très bons joueurs capables de sublimer un collectif. On pense par exemple au gardien Peter Schmeichel ou à l’attaquant du Bayern Munich Brian Laudrup. Ayant pris ses distances de la sélection en même temps que son frère Michael, le cadet des Laudrup avait en effet accepté de revenir sur sa décision au mois d’avril 1992. Ce retour de Brian Laudrup est une bonne nouvelle pour le sélectionneur Moller-Nielsen qui a bien besoin de valeurs sûres pour préparer son tournoi. Le seul match de préparation disputé à une semaine du début de la compétition n’est d’ailleurs pas vraiment convaincant. En manque de rythme, les Danois concèdent le nul (1-1) à domicile face au CEI (nom donné à la Russie après la chute de l’URSS).
Le tournant France – Danemark
Débarqués en Suède sans réellement de pression du fait des circonstances rocambolesques de leur participation, les joueurs de Moller-Nielsen semblent promis à une élimination rapide. Malchanceux au tirage, ceux-ci sont tombés dans le fameux « groupe de la mort » en compagnie de l’Angleterre, de la Suède et de la France du sélectionneur Michel Platini. Les deux premiers matchs confortent d’ailleurs les prévisions des divers observateurs. Émoussés physiquement, les Danois sont solides défensivement mais peinent à trouver la solution en attaque. Manquant de réussite face aux anglais contre qui ils touchent plusieurs fois les montants, ils parviennent tout de même à tenir le point du nul (0-0). En revanche, le match suivant tourne à la soupe à la grimace. Défaits par la Suède (1-0), ils sont désormais condamnés à un exploit face à l’Équipe de France s’ils veulent poursuivre leur aventure dans le tournoi. Une victoire aurait été largement envisageable si la France avait d’ores-et-déjà assuré sa qualification mais les Bleus viennent de concéder deux matchs nuls décevants face à l’Angleterre et la Suède et sont donc eux aussi dans l’obligation de gagner. Dans ces conditions, une victoire du Danemark relèverait d’un authentique exploit. Pourtant, bien que figurant parmi les grands favoris du tournoi, les hommes de Platini tombent ce jour-là sur un os. Ouvrant le score dès la 8ème minute par l’intermédiaire du milieu offensif Henrik Larsen, les Scandinaves mettent directement les Français au pied du mur. Incapables de produire du jeu depuis le début de la compétition, les Bleus parviennent tout de même à arracher l’égalisation sur un exploit du duo Cantona-Papin mais cela ne suffira pas. A 12 minutes du terme, le marginal attaquant Lars Elstrup (aujourd’hui membre d’une secte, il s’est signalé en 2016 en faisant le poirier nu sur une pelouse au début d’une rencontre de D1 Danoise) crucifie l’équipe de France. Arrivés sans autre ambition que celle de prouver aux yeux du monde qu’ils ne sont pas seulement des touristes, les Danois viennent d’éliminer une des meilleures équipes du tournoi.
Des rires et des larmes
On a souvent caricaturé le Danemark 1992 comme étant une équipe totalement insouciante, ne s’entraînant que très peu. A la lecture de certains articles consacrés au sujet, on pourrait croire que les Danois ont vécu ce tournoi comme une colonie de vacances au cours de laquelle ils auraient passé un soir sur deux à faire la fête jusqu’au bout de la nuit. En réalité, s’il est vrai que le sélectionneur Moller-Nielsen laissait une certaine marge de liberté à ces joueurs et ne les surchargeait pas de travail, cela était surtout dans l’optique de conserver un maximum de fraîcheur. Alors oui, les joueurs danois aimaient partager quelques bières après les victoires mais il ne faut pas se les imaginer ivres morts après chaque rencontre. D’ailleurs, l’atmosphère n’est pas toujours des plus joyeuses puisque le milieu de terrain Kim Vilfort enchaînaît les allers-retours à l’hôpital pour être aux côtés de sa fille de sept ans, en phase terminale d’une leucémie. A l’image du malaise cardiaque de Christian Eriksen lors de l’Euro en cours actuellement, ce drame a contribué à souder l’équipe danoise. Devenus redoutables collectivement, les Danois n’ont plus peur de personne. Alors, lorsque les tenants du titre hollandais se dressent face à eux en demi-finale, ils font jeu égal avec eux. Grâce à un doublé de Larsen, ils mènent par deux fois mais sont rattrapés à cause de deux buts signés Bergkamp et Rijkaard. Côté danois, le match est marqué par la terrible blessure du milieu de terrain Henrik Andersen qui se fracture la cheville à la suite d’un choc avec Marco Van Basten à la 70ème minute. Privés d’un de leurs joueurs clés, les hommes de Moller-Nielsen tiennent le choc jusqu’aux tirs aux buts. Cliniques dans l’exercice, ils profitent de l’arrêt de Schmeichel sur la tentative de Van Basten pour atteindre la première finale d’Euro de leur histoire.
La surprise du chef
Après avoir éliminé les champions d’Europe 1988 (Pays-Bas) et 1984 (France), les Danois retrouvent les Allemands, champions d’Europe 1980 en finale. Ultra-favoris, les Allemands du futur Ballon d’Or 1996 Matthias Sammer craquent dès la 18ème minute : bien servi à l’entrée de la surface, le milieu John Jensen envoie une lourde frappe sous la barre du gardien allemand Bodo Illgner. Remontés, les Allemands peinent à développer le jeu et, lorsqu’ils y parviennent, ils sont stoppés dans leurs tentatives par un Peter Schmeichel des grands soirs. Après avoir passé plus d’une heure à buter sur la défense danoise, ils craquent même une deuxième fois à la 78ème minute. Comme un symbole, le deuxième but danois est inscrit par Kim Vilfort qui ajuste Illgner après avoir crocheté un défenseur allemand. Pourtant champions du monde en titre, les Allemands ne reviendront plus. Initialement non qualifiés pour cette compétition, Schmeichel, Brian Laudrup, Henrik Larsen et tous les autres peuvent s’enlacer : ils viennent de réaliser un exploit sans précédent dans l’histoire du football. Non-qualifiés initialement, ils viennent de terrasser coup sur coup les champions d'Europe et les champions du monde en titre alors même que leur meilleur joueur est resté à la maison. Dans la nuit de Göteborg, coéquipiers et membres du staff entourent le capitaine Lars Olsen qui s’apprête à soulever le premier trophée majeur de l’histoire de son pays. Cette fois, nul besoin d’exagération, la fête va être belle..
A voir également dans notre saga consacrée aux moments les plus marquants de l'Euro : - Numéro 5 : Miracle à la grecque (Euro 2004) - Numéro 4 : La Volée légendaire de Marco Van Basten (Euro 1988)
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