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Maroc-Portugal 1986 : à jamais les premiers

Dans quelques heures, le Maroc livrera le match le plus important de son histoire face au Portugal : un 1/4 de finale de Coupe du monde. Cette rencontre sera la seconde manche de la première opposition entre les deux sélections, 36 ans après ce qui fut longtemps le plus bel exploit de la jeune Histoire des Lions de l’Atlas.


Le Maroc lors du Mondial 1986. Crédits : VH Magazine Maroc

La génération dorée


Seize ans après le presqu’exploit de la Coupe du monde 70 où le Maroc avait mené 35 minutes contre la RFA pour ne céder qu’à 10 minutes de la fin (1-2), le Maroc est de retour au Mexique pour le Mondial 1986. Sous la houlette du Brésilien José Faria, les Lions de l’Atlas sont sur une sur la pente ascendante, grâce à une génération dorée née en 1959-61 très talentueuse et capable de tous les exploits, déjà présente aux premiers championnats du monde juniors en Tunisie en 1977. Après une victoire à domicile aux Jeux Méditerranéens (1983) et une participation aux JO de 1984, c’est le FAR Rabat, le club royal des Forces armées, qui remporte brillamment la Coupe africaine des clubs champions la saison suivante, emmenée par son génie Mohamed Timoumi, dont la performance lui permettra d’obtenir le Ballon d’or africain à la fin de l’année. Blessé grièvement (victime d’un contrat du Zamalek) en 1/2 finale, celui-ci sera bel et bien présent au Mondial mais diminué après six mois d’indisponibilité. Les joueurs locaux sont majoritaires (17, contre 5 professionnels jouant en Europe dans des clubs secondaires). Outre Timoumi (FAR Rabat), on trouve Aziz Bouderbala (FC Sion), Mustapha El Haddaoui (Lausanne sports), le gardien Badou Zaki (WAC Casablanca), Mustapha El Biyaz (Kawkab Marrakech) ou encore Abdelmajid Lamriss (FAR Rabat), agrémentés des deux frères expérimentés Merry (Abdelkrim, surnommé Krimau, présente un palmarès riche de 249 matchs de D1 et D2 française pour 84 buts, plus une épopée en Coupe de l’UEFA 1978 avec Bastia).


Lions de l'Atlas vs Three Lions


Débarqué sur la pointe des pieds, le Maroc n’a pas la faveur des pronostics, opposé à 3 sélections européennes, et non des moindres : Pologne (tête de série, 3e de la dernière édition), Portugal (1/2 finaliste de l’Euro 84) et Angleterre, ces deux dernières formations étant très talentueuses et redoutées. Pour ne rien arranger, le groupe F, localisé à Monterrey, est clairement désavantagé par rapport à tous les autres : il sera le seul à se dérouler en plaine (500m, alors que toutes les autres se trouvent à 2 000m d’altitude voire plus) et sera affecté par la chaleur, qui tournera aux alentours des 40 °C. Malheur au 2e du groupe, qui devra se transporter sans transition dès les 1/8e à Mexico, (2 200m) !

Dans un groupe homogène où la chaleur écrasante règne, les buts ne sont pas légion et les nuls nombreux. Après un 0-0 flatteur contre la Pologne, les Lions de l’Atlas réitèrent leur performance contre l’Angleterre. Profitant du pétage de plombs de Ray Wilkins, deux cartons jaunes en à peine une minute à la 44e minute, ils obtiennent un bon nul qui arrange également les Anglais au vu de la tournure prise par la rencontre. À la veille de la dernière journée, ils sont plus que jamais dans le coup : la Pologne est 1e avec 3 points, le Maroc et le Portugal ont 2 points et sont à égalité au goal average (0) ; suit l’Angleterre avec 1 point. Seulement 2 buts ont été marqués dans ce groupe ; il sera donc difficile au 3e de se qualifier. Soulignons l’état des pelouses : le jeu est très lent à cause du gazon coupé trop haut qui ralentit les passes à ras-de-terre et gêne les joueurs qui partent en dribble..


Saltillo, 24 ans avant Knysna


Leur adversaire pour ce match historique est le Portugal. Après leur très bel Euro 84 (éliminés en 1/2 finale après prolongations par la France au terme d’une rencontre d’anthologie) et la belle campagne d’éliminatoires, riche notamment de la fameuse victoire de Stuttgart sur la RFA 1-0 (la 1e défaite de l’Histoire de la Mannschaft en éliminatoires de la Coupe du monde), les Lusitaniens font figure d’outsiders à la victoire finale. Mais l’incurie de la fédération en décidera autrement.

Arrivée au Mexique par un vol Lisbonne-Francfort-Dallas-Mexico-Monterrey au lieu d’un vol direct pour le même prix, la délégation se rend compte à l’aéroport qu’aucun bus ne l’attend et que son hôtel de Saltillo se situe au bord d’une autoroute traversant le désert et les séparant du camp de l’Angleterre. Le terrain d’entraînement, notamment, attire toutes les critiques. En pente et parsemé de trous, c’est lui a qui provoqué la fracture à la jambe de Manuel Bento, l’emblématique capitaine, gardien du Benfica Lisbonne aux 63 sélections le lendemain de la victoire sur l’Angleterre. Depuis leur arrivée à Saltillo, les joueurs ont dû se contenter d’affronter des sélections de moindre envergure à court de rythme ou des employés de leur hôtel depuis le refus de leur fédération de payer celle du Chili pour organiser un match amical, faute de fonds, et se changer dans les vestiaires municipaux.

La goutte qui fait déborder le vase, c’est cette question innocente d’un représentant d’un des sponsors, demandant si les joueurs avaient bien reçu leurs primes de match. Quelles primes de match ? Renseignement pris, ils ont bien droit à un pécule dérisoire de la part de leurs sponsors (4 000 escudos par jour, l’équivalent de 20 euros), mais n’ont jamais rien touché. Les joueurs demandent alors le doublement des primes. Refus de la fédération : « Il n’y a rien à négocier ». Les joueurs décident alors de s’entraîner maillot retourné, pour cacher les sponsors. L’attaquant Paolo Futre (FC Porto), l’un des meneurs de la rébellion avec Carlos Manuel et Diamantino, se souvient s’être entraîné « quasiment à poil ». Excédés, les joueurs décident de ne pas s’entraîner, provoquant la fureur des politiciens conservateurs, qui réclament leur retour immédiat au pays pour avoir déshonoré leur patrie. Le président de la République, Mário Soares envoie alors un télégramme d’apaisement. Une banderole exhibée contre le Maroc va remettre de l’huile sur le feu au pays : « Joueurs portugais, les filles de Saltillo vous soutiennent. »


Le jour historique du 11 juin 1986


Face à un adversaire démotivé, devant une affluence décevante, le Maroc va dérouler. Les Marocains font preuve d'une exceptionnelle détermination, tandis que les Lusitaniens jouent la prudence et se replient à 9 joueurs dès qu’ils ont perdu le ballon, préférant jouer le nul qui les qualifierait. Malgré cette défense renforcée, les hommes de Faria font le jeu et se procurent toutes les occasions, notamment par Bouderbala, très actif sur le front de l’attaque. C’est Khaïri (FAR Rabat), logiquement, qui ouvre le score à la 19e minute sur un tir de plus de 25 mètres au ras du poteau de Victor Damas, le vieux (presque 39 ans) remplaçant de Bento. Le même Khaïri, absolument seul, récidive un peu plus tard d’une belle volée à ras de terre sur un centre très aérien au 2e poteau d’El Haddaoui. Décidément, la défense regroupée des Portugais prend l’eau… Même si le milieu du Sporting Antonio Sousa force de loin Zaki à un arrêt de très grande classe, les Portugais, tout de blanc vêtus, sont au fond du trou, car ils savent que l’Angleterre mène déjà 3-0 contre la Pologne grâce à un triplé de Gary Lineker. Et peu après l’heure de jeu, lorsque Timoumi, de son aile gauche, adresse un modèle de centre en profondeur à Krimau, libre de tout marquage à l’entrée de la surface, celui-ci ne se fait pas prier et ajuste Damas de près. Le match est terminé, et le but du Benfiquiste Diamantino, l’un des meneurs de la fronde, rentré 10 minutes plus tôt, à la 80e , ne change rien : bénéficiant de circonstances favorables, le Maroc est 1er du groupe et première équipe africaine à se qualifier et le Portugal dernier. Il ne déméritera pas contre la RFA, ne s’inclinant qu’à la 87e sur un coup-franc de mammouth de Lothar Matthaus sur ce qui restera comme la seule erreur de Zaki de toute la compétition sur le placement du mur...


Frédérik Légat


L'auteur : Spécialiste des enjeux géopolitiques du football, Frédérik Légat est l'auteur du tout récent "Géopolitique du football. 1900 - 1939" paru chez Bibliomonde cette année. On lui doit également les excellents "Destins Maudits du Football" (Spinelle, 2020) ainsi que "Les plus grands exploits de la Coupe du Monde" (Spinelle, 2021) dont est extrait cet article.



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