Il y a près de 40 ans, Diego Maradona débarquait au Napoli et s'apprêtait à bouleverser l'histoire d'une ville comme jamais un joueur de foot ne l'avait fait auparavant. Retour sur l'histoire d'amour entre El Pibe de Oro et la capitale de la Campanie.
L’Equipe de France dans l’enfer de Naples
Le soleil s’est couché depuis peu au-dessus du Vésuve et le calme est revenu sur Naples mais Gabriel Hanot peine à trouver le repos. Pourtant, au cours de ses deux carrières ; celle de footballeur qui l’a vu porter le maillot de l’équipe de France entre 1908 et 1919 et celle de journaliste qu’il a embrassé il y a près de 20 ans ; l’ancien joueur de l’US Tourcoing a connu des ambiances hostiles. Mais, tout au long de ces 35 années à parcourir les stades de France et du monde, jamais encore il n’avait ressenti une telle rage, une telle passion, émaner du public d’un match de football. Une éruption ? Un séisme ? Quel mot sera assez fort pour décrire l’atmosphère de cet Italie – France du 4 décembre 1938 ? Après avoir pris une profonde inspiration, Hanot couche sa feuille de papier sur la petite table de sa chambre d’hôtel et écrit :
Il faut surtout retenir l’atmosphère prodigieuse, extraordinaire, dans laquelle se déroula la partie. Nous avons connu là une ambiance que trente-cinq ans de vie sportive nous avait laissé ignorer. A la mi-temps, les joueurs au vestiaire étaient comme assourdis, et ils déclaraient que de l’un à l’autre, ils ne parvenaient pas à s’entendre. D’où venaient ces cris ? D’une foule de quarante mille personnes qui manifesta à l’égard des Français des sentiments rien moins qu’aimables. Les nôtres furent d’abord sifflés en entrant sur le terrain, puis au moment où ils saluèrent la foule, de la tribune centrale et de la tribune opposée, parce qu’ils étaient restés immobiles et au garde à vous. Nous apercevions de la tribune de presse, les fumées du Vésuve, on aurait dit que la foule, elle aussi, était volcanique, tellement elle se montra passionnée et si faible fut l’enthousiasme qu’elle manifesta à l’égard des Français.
A bientôt 50 ans, Gabriel Hanot vient de découvrir la passion dévorante, religieuse presque, qui anime les Napolitains pour le football. En cette fin de la décennie 1930, cet engouement et ce rejet de la France sont bien sûr renforcés par la montée du fascisme mais, à Naples, on n’a pas attendu Mussolini pour s’enflammer autour du ballon rond. Avec un chômage qui peut parfois atteindre 25 % de la population active, le football est un échappatoire et le stade un lieu où il est enfin possible de se faire entendre. Mais dans la capitale de la Campanie, le club local du Napoli n’est pas à la hauteur de la ferveur de ses supporters. Volcan endormi dans le ventre mou de la Série A, le club attend désespérément l’étincelle qui le fera entrer en éruption. Cette étincelle aura un nom, celui de Diego Armando Maradona.
L’hélico de Diego
Quarante cinq années après ce bouillant Italie – France qui donna des maux de tête à Gabriel Hanot, le football fait de nouveau entrer Naples en éruption. Cette fois, ce n’est plus la Squadra Azurra qui est responsable d’une telle effervescence mais un petit bonhomme d’un mètre soixante-neuf pour soixante dix kilos, tout droit débarqué de Barcelone. A 24 ans, Diego Maradona a surpris tout son monde en acceptant de rejoindre le Napoli après deux années en demi-teinte du côté de la Catalogne. Recruté pour 11 millions de dollars, celui qui est déjà considéré comme l’un des meilleurs joueurs du monde rejoint une équipe qui vient de finir à la douzième place de Série A. Pour Naples, cette arrivée est inespérée en témoigne l’engouement hors-norme qui traverse les travées du Stade San Paolo lorsque Diego débarque en hélicoptère pour sa présentation le 5 juillet 1984.
Immédiatement, le petit argentin devient l’homme providentiel, celui qui va offrir au Napoli le premier titre de champion de son histoire. Maradona, jamais vraiment adopté à Barcelone, se sent enfin chez lui. Issu d’une famille pauvre, il se reconnaît dans cette ville populaire, dévorée par la passion et le chômage, qui rêve d’une revanche sociale sur une Italie du Nord bien plus riche et méprisante à son égard. Adulé dès son arrivée, le nouveau numéro 10 napolitain retrouve les jambes et le sourire dans sa nouvelle terre d’accueil. Grâce à lui, le Napoli progresse : 8ème en 1984- 1985, 3ème en 1985-1986, il entame l’exercice 1986-1987 dans la peau d’un candidat crédible pour le titre.
Capitaine Diego
Lorsque Maradona retrouve Naples à l’été 1986, le génie argentin est au sommet de sa gloire. Vainqueur presque à lui tout seul d’une Coupe du Monde célébrée jusqu’au pied du Vésuve, El Pibe de Oro a écrit la plus belle page de sa légende en inscrivant un doublé pour l’histoire face à l’Angleterre en 1/4 de finale. Devant sa télévision, l’emblématique capitaine du Napoli Giuseppe Bruscolotti, icône locale, voit son génie de coéquipier se muer en leader incontesté et drainer tout un pays derrière lui. A Naples depuis 1972, « Beppe » a pratiquement tout connu avec son club et pour lui, un titre de champion serait la consécration de sa brillante carrière. Mais à déjà 35 ans, le temps presse. Alors, au moment de retrouver Maradona à l’aube de la saison 1986-1987, Bruscolotti prend El Diez à part pour lui annoncer sa décision de lui transmettre son brassard. En contrepartie, le charismatique défenseur ne demande qu’une chose à l’auteur de la « Mano de Dios » : guider le Napoli vers le Scudetto de la même manière qu’il a mené l’Argentine au titre mondial au Mexique.
Le triomphe de tout un peuple
Entouré de footballeurs peu renommés mais talentueux tels que le bien nommé Fernando de Napoli ou le jeune Ciro Ferrara, Maradona remplit son rôle de capitaine à merveille : passeur, buteur, dribbleur, il est l’âme d’une équipe transcendée par tout un peuple usé par des années d’humiliation. Grâce à son Pibe, le Napoli peut enfin regarder droit dans les yeux les géants du Nord, Juventus et Milan AC en tête. Le 10 mai 1987, le San Paolo accueille les siens pour la dernière fois de la saison pour un match face à la Fiorentina. En tête du championnat avec 3 points d’avance sur la Juve et 4 sur l’Inter, le club napolitain doit gagner pour s’assurer définitivement la conquête du titre de champion. Si Diego est confiant, ses coéquipiers, peu habitués à de telles rencontres sont sous pression, d’autant plus qu’en face, la Fiorentina n’a pas encore totalement assuré son maintien. Dès le coup d’envoi, c’est donc la crispation qui règne dans les travées du San Paolo. Le but de l’international italien Carnevale, sur une action initiée par Maradona, libère le stade à la demi-heure de jeu mais, quelques minutes plus tard, le jeune Roberto Baggio égalise en inscrivant le premier de ses 205 buts en Série A ! Dès lors, le match tourne et, paralysés par l’enjeu, les joueurs napolitains déjouent. Dans les tribunes cependant, les spectateurs se sont détournés du rectangle vert pour se concentrer sur les postes de radio : l’Inter est mené par l’Atalanta et la Juve est tenue en échec par Vérone ! Le temps s’écoule au son des cris de frayeur poussés par le stade à chaque incursion des joueurs de la Fiorentina. Les secondes deviennent des minutes, les minutes deviennent des heures jusqu’à la délivrance : à 17h47, le San Paolo entre dans une éruption à rendre jaloux le Vésuve. Naples la pauvre, la méprisée, est championne d’Italie pour la première fois de son histoire. C’est le début de semaines de folie et de célébrations dans une cité qui semble découvrir la joie pour la première fois. Diego a allumé l’étincelle et Naples s’est bel et bien embrasé.
La sanctification du Pibe
Le passage de Diego Maradona à Naples a bouleversé l’histoire de la capitale de la Campanie à tout jamais. Avec ses murs fleuris de fresques à la gloire du Pibe, ses maillots floqués du 10 accrochés aux fenêtres, ses gamins qui tentent de reproduire les exploits du meneur de jeu argentin, la ville transpire encore aujourd’hui le mythe Maradona. A sa disparition en novembre 2020, il ne faudra que quelques jours pour que le vieux San Paolo prenne le nom de Stade Diego Armando Maradona, un geste fort dans une ville aussi croyante que Naples. Au club comme dans la ville, l’héritage de Diego et partout. Cette saison, alors que le club est bien parti pour remporter le troisième Scudetto de son histoire, l’entraîneur Luciano Spaletti a multiplié les références aumythique meneur de jeu dans ses conférences de presse, arguant que son équipe « devait ressembler le plus possible à Maradona ». Plus de trente ans après son départ du club, la flamme allumée par El Pibe de Oro semble bien être éternelle.
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