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Italie - France 1938 : l'Enfer de Naples

En décembre 1938, l'Equipe de France se déplace à Naples pour affronter la Squadra Azzura sur fond de montée des tensions politiques entre les deux pays. Dans un Stade Partenopeo en fusion, les Bleus vont connaître l'atmosphère la plus hostile de leur histoire. Récit.

L'unique but de la rencontre signé Biavati. Gallica.

Les rêves en cendres


En cette fin d'année 1938, le football français a soif de revanche. Six mois après avoir été défaits par l'Italie lors du Mondial organisé en France, les Bleus s'apprêtent à défier de nouveau les Champions du Monde transalpins, intouchables depuis 1934. Organisé à Naples, sous les cendres du Vésuve, le match s'apparente comme l'occasion rêvée pour les Français de se venger de ceux qui avaient réduit en fumée leurs rêves de sacre mondial l'été précédent. Pourtant, dans la presse française, l'optimisme n'est pas de mise quant aux chances de victoire des tricolores. Recueillis par L'Auto, les pronostics des journalistes français se tournent presque tous vers une victoire de l'Italie, d'une courte avance. De l'autre côté des Alpes en revanche, on est nettement moins mesuré et les supporters de la Squadra s'imaginent déjà une large victoire par 5 ou 6 buts à 0. D'ailleurs, ils ne manquent pas de faire parvenir leurs pronostics aux joueurs français, parfois avec véhémence, lorsqu'ils ont la chance de les croiser dans les rues de Naples. Cette hostilité ambiante autour des Bleus n'est pas surprenante, tant les relations entre les deux pays se sont dégradées depuis plusieurs mois.


La guerre autrement


En décembre 1938, la possibilité d'une nouvelle guerre en Europe a déjà fait son chemin depuis bien longtemps. Evité de justesse avec le Traité de Munich en octobre 1938, ce nouveau conflit semble presque inexorable tant l'appétit d'Hitler semble insatiable. Après avoir annexé la région des Sudètes en Tchécoslovaquie, il se murmure déjà que le Chancelier du Reich aurait des vues sur la Pologne. Dans ce contexte de plus en plus tendu, deux clans semblent d'ores et déjà se distinguer : l'Alliance, menée par la Grande-Bretagne et la France, et l'Axe, constituée du Japon, de l'Allemagne et de l'Italie. Alors que la paix ne tient qu'à un fil, ce sont donc deux potentiels ennemis qui vont s'affronter à Naples pour un match qui n'aura que d'amical que le nom.


Le Vésuve du Partenopeo


"Nous avons connu-là une ambiance que trente-cinq ans de vie sportive nous avait laissé ignorer jusqu'ici." Dans son compte-rendu d'après match, Gabriel Hanot, ancien international français et membre influent de la F.F.F., semble encore sonné de ce qu'il vient de vivre. Présent à Naples pour accompagner la délégation française, Hanot a été abasourdi par l'hostilité du public italien vis-à-vis des joueurs français. Copieusement sifflés dès leur entrée sur la pelouse, les Bleus n'ont même pas le droit à leur hymne, celle-ci étant recouverte par les hurlements des supporters napolitains. Durant toute la rencontre, le Stade Partenopeo gronde à chaque touche de balle d'un joueur tricolore et acclame avec ferveur les transalpins. Si une telle ambiance peut paraître banale aujourd'hui ou simplement "chaude", elle est tout à fait exceptionnelle à une époque où il n'était pas rare de voir les spectateurs applaudir les buts des deux camps. Cette fois, les 35 000 personnes ayant garni l'antre du Napoli ne sont pas venues pour voir un spectacle mais bel et bien pour assister à un triomphe de l'Italie. Dans cette atmosphère bouillante, les Bleus souffrent d'entrée de jeu. Acculés dans leurs trente mètres, ils tiennent pourtant bon grâce à une charnière Etienne Mattler - Jules Vandooren des grands jours. Repoussant énergiquement toutes les attaques italiennes et muselant le génial Silvio Piola, les deux "balayeurs" disputent là un de leurs plus beaux matchs de leurs carrières. Mais cela ne suffira pas. A la suite d'une sortie hasardeuse du gardien français René LLense, les Bleus cèdent peu après la demi-heure de jeu. Beaucoup plus en jambes après la pause, ils font souffrir les Italiens mais ne parviennent pas à trouver la faille malgré leur nouvelle pépite, Larbi Ben Barek. Débarqué à l'OM à l'été 38, le jeune marocain est le seul français à trouver grâce aux yeux du public italien qui le surnomme "Andrade", en référence au légendaire milieu de terrain de la grande équipe d'Uruguay de 1930. Pour sa première en Bleu, celui qui deviendra l'idole de Pelé a incontestablement su marquer les esprits.


La Marseillaise d'Etienne Mattler


Défaits sur la plus petite des marges, les Français reviennent de Naples frustrés par le résultat mais surtout par l'accueil reçu. Dans les jours qui suivent la rencontre, ils sont néanmoins les héros de la presse, qui les présente en modèles de patriotisme pour avoir su rivaliser avec les Champions du Monde dans une atmosphère si hostile. Qu'il soit sportif ou non, pas un journal n'évoque pas le jeune Ben Barek, hurlant la Marseillaise à gorge déployée pour se faire entendre dans le vacarme du Partenopeo. Toutefois, c'est surtout le capitaine Etienne Mattler qui va être au cœur de tous les louanges. Il faut dire que non content d'être le nouveau co-recordman des sélections (à égalité alors avec Edmond Delfour et Jules Dewaquez), le stoppeur de Sochaux s'est également illustré pour son patriotisme après la rencontre. Alors qu'il était entré dans un café avec quelques coéquipiers, ceux-ci avaient été la cible des moqueries de jeunes italiens de passage. Ulcéré, Mattler s'était levé sur la table et avait entonné la Marseillaise devant un parterre médusé, un acte qui lui vaudra de recevoir un vase de Sèvres des mains du président de la République Albert Lebrun.


Des crampons aux canons


Si le match Italie-France de 1938 est marqué sportivement par le grand match réalisé par le capitaine Etienne Mattler et par l'avènement du jeune Larbi Ben Barek, c'est bien l'ambiance hostile à l'encontre des français qui lui confère une place à part dans l'histoire du football français. Pour la première fois de son existence, l'Equipe de France a été l'objet d'une réelle animosité, animosité qui s'explique en partie par le contexte politique tendu entre les deux pays. En partie seulement, car, comme le souligne la presse italienne, l'accueil réservé aux français est également une réponse aux débordements du public français vis-à-vis de la délégation italienne lors de la Coupe du Monde six mois plus tôt. Rêvé par le président de la FIFA Jules Rimet comme "un outil de rapprochement entre les peuples", le football a ici été un facteur de l'escalade de l'animosité entre deux pays, qui, un an et demi plus tard, seront cette fois aux prises sur un véritable champ de bataille.

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