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Hongrie - Roumanie : les rivaux éternels

Bien que voisins, la Hongrie et la Roumanie entretiennent une rivalité qui a dépassé depuis longtemps les cadres du football. Retour sur plus de 80 ans d'histoire du sport en Europe de l'Est.

Ferenc Puskas, Gheorge Hagi, les deux plus grands joueurs Hongrois et Roumain de l'histoire.

Deux voisins que tout oppose


La Roumanie et la Hongrie sont deux pays voisins, tous deux « amis » et alliés au sein du bloc communiste pendant 45 ans. En France on ne fait pas vraiment la différence entre Budapest et Bucarest. Un groupe de supporters français s’y est laissé prendre à l’Euro 2021, se rendant à Bucarest au lieu de se rendre à Budapest. Même l’UEFA, le jour de la fameuse finale de C1 1986 à Séville entre le FC Barcelone et le Steaua s’était plantée, parlant sur son programme officiel de Steaua Budapest... Pourtant, Hongrie et Roumanie sont deux pays que tout oppose. On dit en Roumanie que même un match d’échecs contre la Hongrie pourrait remplir tout un stade de football. Chaque confrontation entre les deux camps est vue comme une bataille historique. Avec ses débordements en dehors des stades. La Roumanie a arraché son indépendance à l’Empire ottoman en 1878 tandis que la Hongrie, détachée de l’Empire austro-hongrois, n’obtient son indépendance qu’en 1918. Le contentieux tourne autour de la Transylvanie, écartelée entre les deux pays, peuplée de de 2,5 millions de personnes en 1920 (53% de Roumains, 40 % de Hongrois, 7 % d’Allemands) et attribuée à la Roumanie.


Premières rivalités sportives


Les débuts footballistiques des deux sélections sont diamétralement opposés. Alors que les Roumains ont des résultats modestes, les Magyars professionnels, eux, dominent l’Europe et le monde et atteignent la finale de la Coupe du monde en France dès 1938. Alors que les clubs hongrois, débarrassés de la concurrence des Autrichiens annexés par le Reich, règnent désormais en maîtres sur la Coupe Mitropa (l’ancêtre de la Coupe d’Europe que l'on évoquait dans cet article), l’édition 1938 voit le tout premier succès tangible d’une équipe roumaine. La confrontation Rapid Bucarest-Újpest est perdue d’avance pour les Roumains, surtout après la défaite à Budapest 4-1 et la 1e heure de jeu du retour où aucun but n’est marqué… Mais le Rapid finit par créer l’exploit et l’emporter 4-0 dans les arrêts de jeu. Cette qualification, face au favori de la Coupe Mitropa est considérée aujourd’hui encore en Roumanie comme la plus belle soirée du football roumain, devant même la victoire du Steaua en Coupe d’Europe en 1986. Cette victoire est restée historique, car acquise de manière incroyable face à l’ennemi juré. La Coupe Mitropa 1940 est très perturbée en raison de la guerre. Privée outre des Autrichiens des têtes de proue tchécoslovaques et italiennes, elle oppose en finale le Rapid Bucarest, novice à ce niveau de la compétition, et Ferencváros. Celle-ci n’aura jamais lieu, quelques jours après la décision d’Hitler d’amputer la Roumanie de la Transylvanie du Nord (14 % de son territoire et 13 % de sa population) pour l’attribuer à ses alliés hongrois. Tout contact est désormais impossible entre les deux pays plus que jamais ennemis.


La Seconde guerre mondiale : la Transylvanie annexée par la Hongrie


Annexée, la Transylvanie, est magyarisée à vitesse grand V. La capitale Cluj devient Kolozsvár. Les habitants eux-mêmes sont débaptisés et obligés d’abandonner leur langue au profit du hongrois. Après une saison inaugurale 40-41 en D2, où un groupe est réservé temporairement aux Transylvains afin de leur assurer dès la saison suivante deux places en D1, le Nagyváradi AC (ex-CA Oradea, D2 roumaine) et le Kolozsvári AC (ex-CA Cluj, club de niveau régional roumain) sont promus en 1e division. Regroupant entre autres nombre de Transylvains possédant la double nationalité depuis toujours, les deux clubs y réussiront au-delà de toute espérance. Le Nagyváradi AC, 5e dès la première saison, 2e en 1942-1943, devient champion de Hongrie la saison suivante, victoire historique qui le voit devenir le tout premier club provincial à être champion. Le Kolozsvári AC, après deux saisons modestes, réussit une saison inespérée en 43-44, dans l’ombre du champion Nagyváradi AC : il réussit l’exploit de terminer 3e du championnat et d’être finaliste de la coupe nationale, seulement battu par l’ogre du pays, Ferencváros. Les meilleurs Transylvains deviennent donc internationaux hongrois, quelques-uns après avoir été internationaux roumains, à l’exemple de Miklós (Nicolae) Kovács, frère de Stefan Kovács, ou de Iuliu (Gyula) Bodola, international roumain à 48 reprises pour 30 buts puis hongrois à 13 reprises pour 4 buts.

Rivaux ou pays frères ? Eternel débat...


La période communiste : deux pays-frères mais toujours rivaux


En 1945, retour de bâton. Recul allemand, invasion soviétique. La Transylvanie redevient roumaine et subit une nouvelle épuration ethnique. Il ne fait pas bon être devenu hongrois de 40 à 44, et pour les joueurs de football plus que tout autre, car, en plus, ils ont représenté la Hongrie internationalement et « trahi » la Roumanie. Le cas de Iuliu Bodola est emblématique. Malgré son statut de meilleur buteur de l’équipe nationale roumaine, accusé par les communistes d’avoir été un collaborateur, il doit retourner en Hongrie. Bien qu’Oradea soit champion de Roumanie en 1949, ce qui fait de lui l’un des seuls clubs champions de plusieurs pays, les clubs transylvains, brimés par le nouveau régime, ne pèseront plus jamais dans le football roumain. Ironie de l’Histoire, le 30 septembre 1945 la Roumanie fait sa réapparition dans le concert international face au voisin hongrois. Malgré le retour des Transylvains, les Roumains sont humiliés 7-2 par leurs rivaux. La rencontre du 6 juin 1948 à Budapest enregistre une nouvelle déroute de la Tricolor (0-9). La Hongrie, quant à elle, est forte d’une génération exceptionnelle invincible, celle des Puskás, Kocsis, Hidegkuti, Bozsik, Czibor, L’ère de la domination sans partage des Hongrois continuera jusqu’en 1999. Au total, 16 matchs sans défaite de suite pour les Hongrois de 1936 à 1998. Même l’appartenance au même camp ne rapproche pas les deux peuples. Qualifiées de rencontres « entre frères socialistes » par les autorités, les rencontres font systématiquement l’objet d’insultes, de jets d’objets contondants et de tentatives pour déstabiliser l’adversaire (nourriture empoisonnée, groupe de musiciens devant l’hôtel des joueurs). La rivalité est telle que jamais de rencontres amicales ne sont organisées entre les deux équipes.


L’après-communisme : l’ère roumaine


Mais le rapport de forces s’inverse dans les années 90. La Hongrie a disparu des palmarès et la Roumanie, avec l’apport de Hagi, brille à son tour. Le Rideau de fer n’existe désormais plus, les deux pays n’ont même plus l’apparence d’être « frères » idéologiquement mais le problème transylvain perdure. Les deux rencontres comptant pour les éliminatoires de l’Euro 2000 sont d’anthologie. L’aller à Budapest est très chaud. La sélection hongroise est survoltée par les encouragements frénétiques de ses 40 000 supporters, qui exhibent des banderoles réclamant le rattachement de la Transylvanie et hurlent des slogans anti-roumains. Après un décevant 1-1 au Népstadion, la réception des Magyars à Bucarest le 5 juin 1999 s’annonce bouillante, d’autant plus que la Roumanie a absolument besoin d’une victoire pour s’assurer la première place du groupe, et donc sa participation à l’Euro. Malgré le fait qu’il vient d’annoncer sa retraite internationale, Gheorghe Hagi a fini par se laisser convaincre par vox populi de porter une nouvelle fois le numéro 10 de la sélection. Il sortira ce soir-là l’un des meilleurs matchs de sa carrière. Après 15 minutes seulement, la Roumanie mène 2-0, et les 25 000 spectateurs du stade Ghencea, l’antre du Steaua, vivent une première période d’exception. Sans Hagi, victime d’un attentat et remplacé, les Roumains assurent le score. La Roumanie est qualifiée et son meneur, l’épaule bandée, est porté en triomphe par ses coéquipiers au coup de sifflet final. Depuis ce jour de 99, la Roumanie demeure invaincue face à la Hongrie, notamment lors des double-confrontations pour les qualification aux Coupes du monde 2002 (2 victoires roumaines) et 2014 (nul à Budapest 2-2, victoire roumaine à domicile 3-0) et à l’Euro 2016 (2 nuls). Ces deux dernières ont vu un déferlement de violences sur et en dehors du terrain (feux d’artifice, projectiles, jets de fumigènes, incendies de sièges, bagarres entre ultras autour des stades, charges de la police, arrestations, condamnations lourdes) et la sanction d’un match à huis-clos pour les deux équipes. Hongrie-Roumanie, c’est l’histoire d’une rivalité entre voisins qui perdure depuis des siècles. On l’a vu, depuis 1999, le bilan s’est enfin, un peu, rééquilibré : Hongrie 11 victoires, 8 nuls, Roumanie 6 victoires. Histoire à suivre...



Frédérik Legat

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1 Comment


Cristian Q-ny
Cristian Q-ny
Oct 13, 2022

Super article, et très bon sujet :-)

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