"Dieu du football" selon Pelé, Larbi Ben Barek fut en son temps l'attaquant vedette de l'Equipe de France et de l'Olympique de Marseille. Portrait de l'un des joueurs les plus doués de sa génération.
"Ben Barek, voilà un demi-centre !"
En ce 10 avril 1937, dans les rues de Casablanca, un jeune ouvrier de la Compagnie d'Electricité locale déambule, l'air rêveur. Cela fait des jours déjà que ses pensées sont entièrement tournées vers le dimanche 11, jour où son existence pourrait bien basculer. A 22 ans, ou 20, lui-même l'ignore, Larbi Ben Barek s'apprête à porter les couleurs du Maroc pour affronter l'Equipe de France B lors d'une rencontre au sommet. Que de chemin parcouru pour un môme qui a découvert le football au sein de l'équipe des petits cireurs de chaussures de Casablanca ! Et quel miracle que cette sélection pour un joueur qui n'a pu prendre part à aucun match officiel cette saison avec l'US Marocaine en raison d'un souci de qualification. Rongeant son frein, Ben Barek a dû attendre les matchs amicaux pour briller. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'a pas laissé passer sa chance. Titularisé pour une rencontre de prestige contre les Hongrois d'Upjest, il a surclassé György Szücs, le demi-centre adverse, qui n'était autre que le titulaire du poste au sein de la sélection Magyare ! Mais cette fois, face à l'équipe de France B, l'enjeu est tout autre : en cas de bon match, des opportunités pourraient s'offrir au jeune Larbi. Un bon match et les sirènes du football professionnel français pourraient sonner le glas de sa carrière d'électricien...
Avant de pouvoir rêver à un avenir de footballeur, Ben Barek doit donc briller face à l'équipe de France B. Aligné au poste de demi-centre, équivalent du milieu relayeur, le jeune marocain a face à lui un solide gaillard en la personne de Georges Meuris, demi-centre du Red Star. Outre cet ancien champion de France 1932-1933 avec l'Olympique Lillois, la sélection française compte dans ses rangs quelques joueurs de marque tels que Julien Darui, qui sera élu "plus grand gardien français du XXème siècle" bien des années plus tard, ou encore le formidable attaquant sétois Yvan Beck. Et pourtant, au milieu de ces joueurs confirmés, c'est bien Ben Barek qui éclabousse la rencontre de tout son talent. Technicien hors-pair, le natif de Casablanca en fait voir de toutes les couleurs à Meuris. Rapidement menés au score, les Marocains se réveillent et font des misères à la défense française. Score final, 4 buts à 1. Dans son compte rendu d'après-match, le journal L'Auto n'a d'yeux que pour la performance de l'électricien de Casablanca : "Ben Barek, voilà un demi-centre !". L'ancien cireur de chaussures n'a pas laissé passer sa chance. Il vient de se faire un nom et d'attiser les convoitises des plus grands clubs français. Si sa mère refuse de le voir partir à Marseille à l'été 1937, Ben Barek débarque sur le Vieux Port un an plus tard. Sa carrière est lancée.
L'ascension fulgurante de la "Perle Noire"
L'arrivée de Larbi Ben Barek à l'OM est sans conteste l'un des éléments majeurs de l'histoire du football français de l'entre-deux-guerres. Désormais aligné au poste d'intérieur (équivalent du milieu offensif ou de l'ailier) en soutien du buteur de Sidi Bel Abbès Emmanuel Aznar, la nouvelle recrue phocéenne devient rapidement la nouvelle coqueluche du football français. A l'image de son capitaine Ferdinand Bruhin qui déclare n'avoir "jamais vu de footballeur français aussi naturellement doué", la France du ballon rond tombe sous le charme du toucher de balle, de la vitesse et du sens du dribble de l'ancien de l'US Marocaine. Epoustouflant tout son monde, il est retenu par Gaston Barreau en Equipe de France dès le mois de décembre 1938. Bien que ne disposant que de la nationalité marocaine, il est autorisé à porter le maillot bleu puisque le Maroc est alors un protectorat français. La sélection de Ben Barek, indiscutable sur le plan sportif, va pourtant réveiller le racisme des journaux d'extrême droite. L'Action Française, qui a déjà mené une croisade contre la naturalisation de l'Autrichien Gusti Jordan, déplore une sélection française au sein de laquelle figureraient "trop de nègres et d'Autrichiens". De même, le journal explique que "Van Caenaghem, parfaitement français, serait mieux sous nos couleurs que Diagne, Jordan et Ben Barek"...
Remis en cause pour des histoires n'ayant donc rien à voir avec le football, Ben Barek va faire taire les critiques lors du fameux Italie - France du 4 décembre 1938. Pour sa première sélection, la pépite de l'OM doit faire face à une ambiance volcanique au sein du Stade Partenopeo de Naples. Alors que les tensions entre les deux pays sont de plus en plus grandes, la Marseillaise est copieusement sifflée. Attaché à sa terre d'accueil, Ben Barek se met alors à la chanter à gorge déployée pour se faire entendre malgré le vacarme, une attitude largement relayée dans la presse et qui lui vaudra une adoption définitive par les supporters français. S'il se dit "déçu" de son match, le nouvel intérieur de l'Equipe de France se ressaisit un mois plus tard face à la Pologne. Impliqué sur trois des quatre buts français, il réalise une performance qualifiée "d'étourdissante" par L'Auto. Définitivement adopté par le journal, il est l'objet d'un vaste sondage afin de lui trouver le meilleur surnom possible. La "Perle Noire" était née !
L'idole du Roi Pelé
Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate en septembre 1939, Larbi Ben Barek est dans la meilleure forme de sa carrière. Ne possédant pas la nationalité française, il n'est pas mobilisé et peut donc en théorie rester du côté de l'OM pour poursuivre sa carrière au sein des championnats de guerre. Mais à Casablanca, papa et maman Ben Barek s'inquiètent et ordonnent au fiston de rentrer au bercail. A contrecoeur, l'idole de l'OM revient au pays et retrouve l'US Marocaine. De nouveau amateur, il passe ses journées à gérer les maisons d'avocat que ses parents lui ont fait acquérir. En 1941, alors que la guerre a laissé place à l'Occupation en France, il déclare déconfit à L'Auto : « J’ai 25 ans, je suis au mieux de ma forme mais je devrai me priver de jouer chez les pros, papa n’a pas voulu, ni maman non plus... ». Au mois d'avril de cette même année, il se fait tout de même remarquer en évoluant aux côtés du boxeur Marcel Cerdan, footballeur de qualité, au sein d'une sélection Marocaine qui décroche le match nul contre une équipe de France de la Zone Non Occupée (1-1). Avec la guerre, Ben Barek est revenu quatre ans en arrière...
Finalement, il faudra attendre 1945 pour voir Larbi retrouver les chemins des stades français du côté du ... Stade Français ! Dirigé par Jacques Mallaud, un ambitieux président, le club parisien est un nouveau venu dans le monde du professionnalisme. Evoluant en Deuxième Division, le club débourse 1 million de francs, un montant record, pour attirer Ben Barek dans ses filets. Là bas, la "Perle Noire" retrouve les Bleus mais ne brille plus comme autrefois. Equipe de stars sans âme pourtant dirigée par le grand Helenio Herrera, le Stade Français montera en D1 en 1946 mais redescendra seulement trois ans plus tard. Ben Barek, lui, partira pour l'Atletico Madrid en 1948 où il deviendra une véritable idole. Eloigné des Bleus à cause de ce transfert à l'étranger, il connaît une dernière sélection en 1954 après son retour à l'OM. A 37 ans et 16 ans après sa première cape, il s'offre le record, encore inégalé, de la plus longue carrière internationale de l'histoire de l'Equipe de France. Idole revendiquée du Roi Pelé, qui déclara un jour "Si je suis le Roi du football alors Ben Barek en est le Dieu", Ben Barek connaîtra une après-carrière difficile, marquée par la pauvreté et l'oubli. Décédé seul dans son appartement de Casablanca le 16 septembre 1992, son corps ne sera retrouvé que trois jours après son décès...
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