Parce qu'ils ont eu la malchance d'être pris dans les tourments de la Seconde Guerre Mondiale ou de connaître le pic dans cette période noire, ces joueurs et ces clubs n'ont jamais eu la reconnaissance que leur talent aurait mérité. Retour sur une génération sacrifiée.
Destins brisés
1er septembre 1939. Alors que la guerre contre l'Allemagne vient d'être déclarée, la mobilisation générale pousse les joueurs à déserter les stades pour rejoindre le front. Triste période durant laquelle le football n'est plus représenté à l'arrière que par des mômes trop jeunes pour être mobilisés et par des joueurs étrangers restés sur place. Aux armées, les hommes s'ennuient puisqu'aucun combat n'a lieu entre septembre 1939 et mai 1940. Pendant cette "drôle de guerre", le football français n'a à déplorer que la mort de Gustave Zinsmeister, un dirigeant du RC Strasbourg qui se tue dans un accident de voiture pendant sa mobilisation. Mais le 10 mai 1940, tout bascule. Seulement cinq jours après la finale de la Coupe de France, Hitler attaque la France et le pays s'embrase. En un mois, l'armée française s'effondre sous les coups de la Wehrmarcht et, le 22 juin 1940, l'armistice entérinant la défaite française est signée par les deux belligérants. Dans les clubs de football, l'heure est au bilan. On cherche à savoir si l'activité va pouvoir reprendre dès 1940-1941 et surtout, on s'informe de la santé des joueurs mobilisés. Dans la majorité des cas, ce bilan est positif. En effet, si un bon nombre de joueurs sont en captivité, seul le roubaisien Julien Buge a été tué parmi les joueurs encore en activité. Son club, l'Excelsior Roubaix, payera d'ailleurs le plus lourd tribut du conflit puisqu'il perdra également Emilien Méresse, ex-international décédé en détention.
Chez les anciens professionnels, le nombre de joueurs à trouver la mort pendant le conflit est plus important. Parmi les malheureux, le nom le plus marquant est celui de Jacques Mairesse, ancien international et fondateur du premier syndicat des joueurs professionnels, tué le 15 juin 1940 à Véron.
Finalement c'est après la défaite de 1940 que le football français enregistrera le plus de pertes. Gardien de but prometteur du FC Rouen, le jeune Robert Boudet périra avec sa famille dans les bombardements pour la Libération. Titulaire au sein du grand RC Lens des années de guerre, Georges Fougnies connaîtra également le même sort.
Parenthèse noire et descente aux Enfers
Priorisant la défense du pays au football, certains jeunes joueurs auront le courage de s'engager dans la Résistance ou les Forces Françaises Libres dès le début de l'Occupation. Les cas les plus emblématiques sont probablement ceux de Rino Della Negra, jeune footballeur du Red Star qui entrera dans la Résistance sera fusillé au Mont Valérian, et René Gallice, grand espoir du football français qui décide de s'engager dès 1940 dans les Forces Françaises Libres, mettant ainsi entre parenthèses une carrière qui s'annonçait brillante. Revenu vivant de la guerre, Gallice reprendra sa carrière avec son club des Girondins de Bordeaux mais il ne connaîtra l'honneur de la sélection qu'à une seule reprise.
Pour d'autres joueurs, cette parenthèse forcée n'est pas due à un engagement patriotique mais à une captivité prolongée. Héros de la finale de Coupe de France 1939, l'attaquant du RC Paris Jules Mathé ne retrouvera la liberté qu'en 1945. Fait prisonnier à 24 ans et libéré à 30, il aura donc vu s'envoler ce qui constitue le plus souvent les six meilleures années d'une carrière de footballeur. Nouvelle coqueluche du football français de la fin des années 30, Larbi Ben Barek aussi se voit contraint de mettre entre parenthèses le football pendant ces six années de guerre. Pas rassurés par la situation des footballeurs professionnels en France métropolitaine, ses parents l'obligent à rentrer au Maroc pour gérer les maisons d'avocat qu'il détient. Il déclare ainsi à L'Auto en 1941 : « J’ai 25 ans, je suis au mieux de ma forme mais je devrai me priver de jouer chez les pros, papa n’a pas voulu, ni maman non plus... ».
Enfin, pour certains éléments, la période de guerre et d'occupation ressemble à un long chemin de croix. Alors meilleur buteur de l'histoire de l'Equipe de France, le rouennais Jean Nicolas est fait prisonnier et ne parvient pas à reprendre sa carrière à son retour. Eloigné des terrains, il sombre petit à petit jusqu'à être arrêté pour une série d'escroqueries en 1946...
Nés au mauvais moment
Loin des difficultés rencontrées par les Nicolas, Mathé ou Gallice, la plupart des joueurs professionnels peuvent reprendre leur carrière dès 1940. Toutefois, dans cette période trouble où le championnat national disparaît au profit de championnats de zones (sauf en 1943-1944 où Vichy décide d'une vaste réforme du football français), les exploits des meilleurs joueurs ne peuvent recevoir la même reconnaissance qu'en temps de paix. Ainsi, après la guerre, tous les records et les titres obtenus (hormis la Coupe de France) durant la période seront déclarés nuls. Meilleur buteur du championnat du Sud en 1942 - 1943 avec 45 réalisations, le canonnier de l'OM Emmanuel Aznar ne verra jamais son record homologué. Pire encore, l'Equipe de France ne disputant que deux matchs entre janvier 1940 et décembre 1944, matchs pour lesquels Aznar est contraint de déclarer forfait, il ne connaîtra jamais de deuxième sélection chez les Bleus. Ce constat est le même pour le fantastique Henri Hiltl, sélectionné uniquement en janvier 1940, pour Stanis, l'homme des 16 buts en un match de Coupe de France, ou encore pour Michel Lewandowski, milieu du RC Lens qui est alors considéré comme le meilleur joueur français à son poste.
Lancés dans le grand bain sans apprendre à nager
Souvent barrés par les titulaires et n'ayant pas l'occasion d'entrer en cours de matchs à cause de l'interdiction d'effectuer des remplacements, les jeunes joueurs n'avaient pas, en temps de paix, beaucoup d'opportunités pour faire leurs preuves. Avec la guerre et les troubles qu'elle occasionne, cette tendance va s'inverser puisque les clubs vont être dans l'obligation de lancer leurs jeunes joueurs. Un mal pour un bien ? Pas forcément. Privés de leurs entraîneurs étrangers, partis en masse au début du conflit, les clubs confient bien souvent leurs entraînements à un joueur clef de l'effectif, la plupart du temps le capitaine. Les jeunes lancés sont donc privés de véritables entraîneurs au moment où ils en ont le plus besoin d'un mentor pour progresser. Il en résultera une période de vaches maigres pour le football français qui, jusqu'en 1958, verra son Equipe de France loin du niveau de ses concurrents. Ainsi, un jeune joueur comme Milo Bongiorni du RC Paris n'atteindra jamais la plénitude de son potentiel, la faute à des carences techniques qui auraient pu être gommées pendant ses jeunes années.
Les rêves envolés de Robert Diochon
Tout comme les joueurs, certains clubs sont passés à côté d'un destin bien plus glorieux à cause du déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. L'exemple le plus marquant est sans conteste celui du FC Rouen, grand club français de la première moitié du XXème siècle. En 1939, le club normand, largement reconnu pour sa formation, souhaite passer dans une dimension supérieure et s'en donne les moyens. Son président, le charismatique Robert Diochon, sort le portefeuille à l'été 1939 dans l'optique de constituer une équipe de tout premier ordre. Afin d'épauler son buteur vedette Jean Nicolas, il fait venir le brillant attaquant espagnol José Mandaluniz ainsi que l'ex-recordman de sélections en Bleus Edmond Delfour. Surtout, Diochon s'attache les services du tacticien le plus réputé du moment : l'Anglais Georges Kimpton, importateur du WM en France. Avec sa nouvelle équipe de rêve, Rouen fait figure de favori pour le titre de champion en 1939 - 1940. Puis tout s'effondre. La guerre déclarée, les joueurs sont mobilisés et Rouen doit aligner des gamins pour disputer le championnat du Nord. Georges Kimpton, lui, reste sur place et emmène les jeunes pousses du club au sommet d'un championnat qui sera finalement interrompu par la Bataille de France... Fait prisonnier par les Allemands entre 1942 et 1944, Kimpton retrouve Rouen en janvier 1945. Cette fois, le championnat va à son terme et le club de Robert Diochon, en tête dans le championnat du Nord, est sacré champion de France après sa victoire finale face au Lyon OU, vainqueur du championnat du Sud. Malheureusement, en raison des conditions d'organisation chaotiques de cette saison marquée par les combats pour la libération du pays, le titre de champion de France du FC Rouen ne sera pas homologué. Plus de 75 ans plus tard, le club est plus que jamais à des années lumières d'être sacré champion de France pour la première fois de son histoire...
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