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Le premier France - Argentine de l'histoire

Le 15 juillet 1930, la France affronte l'Argentine pour son second match de poule de la première Coupe du Monde de l'histoire. Opposés pour la toute première fois, les deux nations livrent un match âprement disputé que les Argentins remporteront 1 but à 0. Récit.

L'équipe de France de 1930. Debout de gauche à droite : Chantrel, Pinel, Thépot, Capelle, Mattler, Villaplane, M. Caudron. Accroupis : Libérati, Delfour, Maschinot, L. Laurent, Langillier

Les vedettes de Montevideo !


En ce 4 juillet 1930, c'est l'effervescence au port de Montevideo. Paquebot de luxe imposant, le Conte Verde accoste enfin à bon port après une traversée de trois semaines. A son bord, le président de la FIFA Jules Rimet mais surtout les équipes de France, de Belgique et de Roumanie, venues prendre part à la première Coupe du Monde de l'histoire. Seules délégations européennes à avoir fait le déplacement, les trois nations reçoivent un accueil grandiose que se remémore le représentant du Bureau Fédéral de la F.F.F. auprès de l'équipe de France, Raoul Caudron :


"Nous avons eu une réception enthousiaste à notre arrivée à Montevideo. Des bateaux étaient venus au devant du nôtre, leurs passagers agitaient des drapeaux français; à notre débarquement, une musique s'est mise en tête du cortège et nous a conduit jusqu'au Rowing Club (nom du complexe où logent les Bleus); nous étions suivis de 3000 à 4000 personnes, et notre bateau est arrivé 5 heures en retard !"

Une fois sur place, l'attention des locaux pour l'équipe de France ne redescend pas, loin s'en faut ! Raoul Caudron toujours :

Depuis notre arrivée ici, nous sommes littéralement assaillis par les journalistes et photographes, c'est tout juste si on ne nous photographie pas au lit ! Les articles sont remplis de journaux plus ou moins invraisemblables. Le moindre geste, la moindre parole sont enregistrés et amplifiés, souvent à l'excès, nous sommes dans des pays chauds et le tempérament parle.

Malgré toute cette attention, les Bleus entrent bien dans leur tournoi en disposant du Mexique 4 buts à 1 lors de leur première rencontre, une rencontre marquée par le tout premier but de l'histoire de la Coupe du Monde, inscrit par Lucien Laurent !

L'Argentine se profile

Pour la deuxième rencontre de la compétition, c'est une équipe d'un tout autre niveau qui se dresse sur la route des Bleus : l'Argentine, considérée comme la principale concurrente à l'Uruguay pour la victoire finale lors de ce Mondial. De quoi donner de l'anxiété aux joueurs français ? Pas vraiment, car ces jeunes parfois issus de familles aux revenus modestes n'ont pas eu réellement l'occasion de voyager dans leur vie. Alors, en Uruguay, ils profitent, comme en témoigne la description d'une journée type par Jean Laurent, le frère de Lucien, lui aussi sélectionné pour ce Mondial :

On était logés au Rowing Club de Montevideo. Chouette de chouette ! Au lever, assez tardif, tennis et basketball. Balade en ville, breakfast, rebalade, théâtre, coucher. Vie de château. Soignés comme des coqs en pâte ! Et puis les Uruguayens sont des types épatants : il n'y en avait que pour la France.

Cet enthousiasme uruguayen pour les Bleus s'explique bien entendu par la rivalité entre la Celeste et l'Albiceleste : voire la France battre l'Argentine serait un cadeau rêvé pour tout le peuple uruguayen ! Mais du côté français, une inquiétude demeure tout de même : sorti complètement KO dès la 15ème minute du match contre le Mexique (et remplacé par Augustin Chantrel... un joueur de champ !), le gardien de but Alex Thépot, bien que remis, ne se sent pas en mesure de garder les buts des Bleus pour le match contre l'Argentine. La suite de l'histoire, c'est le soigneur de l'équipe Panosetti qui nous la raconte :

Le 14 juillet (veille du match contre l'Argentine), nous célébrions avec les Uruguayens notre fête nationale. (...) Le soir, le Rowing, dans les salons de l'hôtel donna un grand bal. Toute la colonie française de Montevideo, entourant notre ambassadeur, y pris part. Les jolies filles étaient nombreuses et nos joueurs n'arrêtèrent pas de danser. Mon Thépot oublia vite, au son du jazz, son accident de l'avant-veille et se révéla un boute-en train qu'on ne soupçonnait pas. Il dansa comme un forcené et chanta des refrains populaires. (...) A le voir ainsi se prodiguer avec une telle expansion, on jugea qu'il pourrait fort bien jouer contre l'Argentine. (...) C'est pourquoi quand le bal eut pris fin, je le fis venir dans ma chambre pour le sermonner.
- Alors Alex, es-tu toujours décidé à ne pas jouer ?
- Oui...
- Eh bien, mon petit, après avoir dansé comme tu l'as fait et chanté comme un rossignol toute la soirée, tu ne me feras pas croire que tu n'es pas en mesure de garder nos bois demain, en face de l'Argentine. Aurais-tu peur ?
L'argument de la peur produisit son effet car Alex se retira chez lui après m'avoir déclaré fermement "C'est bien, je jouerai". Il était dopé.

Les miracles d'Alex Thépot

Gonflé à bloc par les remontrances de Panosetti, Thépot est plus déterminé que jamais au moment d'entrer sur la pelouse de l'Estadio Gran Parque Central en ce 15 juillet 1930. Garni de ses 23 000 spectateurs, ce stade inauguré en 1900 produit un vacarme assourdissant : s'ils sont loin d'être les favoris, les Français bénéficieront d'un douzième homme pour les aider à accomplir l'exploit, comme en témoigne Augustin Chantrel :

Depuis bien longtemps, la foule était déchaînée et on ne se rend pas bien compte, en France, de ce que c'est une foule uruguayenne déchaînée. C'était un perpétuel hurlement d'encouragement en notre faveur. 30 000 bouches scandaient "Francia... Francia..." et je vous assure que cela donne du moral.

Du moral, il en faut aux Français car en face, les Argentins présentent une équipe redoutable. Outre le demi-centre Luis Monti, souvent considéré comme le joueur le plus dangereux à avoir disputé la Coupe du Monde, l'Albiceleste compte dans ses rangs quelques joueurs d'exception à l'image de Manuel Ferrera ou de l'attaquant de Boca Juniors Francisco Varallo. Logiquement, ce sont donc les Argentins qui prennent le contrôle du match, mais, dans les buts français, Alex Thépot est en transe. Alors âgé de tout juste 20 ans, le jeune uruguayen Pedro Duhart qui portera plus tard le maillot de Sochaux et même de l'Equipe de France, est dans les tribunes :

"J'ai vu jouer l'équipe de France pour la première fois à Montevideo en 1930, lors de la première Coupe du Monde. C'était à l'occasion du match France - Argentine, un match que je n'oublierai pas à cause de la formidable partie qu'y fît Alex Thépot".

Devenant le premier gardien de l'histoire du Mondial à stopper un pénalty à la 30ème minute, Thépot réalise "le match de sa vie" (dixit Panosetti) et pousse les joueurs français à se surpasser. Titulaire ce jour-là, la légende sochalienne Etienne Mattler se souvient de la performance XXL de ses coéquipiers :

Thépot fut magnifique. Et je n'oublierai pas davantage l'extraordinaire exhibition de Pinel, non plus que la vaillance merveilleuse de Capelle, Chantrel, Villaplane et de nos cinq avants Libérati, Delfour, Maschinot, Lucien Laurent et Langillier.

Car en plus d'être valeureux défensivement, les Bleus se procurent eux aussi de belles occasions. Mais à la 81ème minute, un immense coup de froid parcours les travées de l'Estadio Gran Parque Central : d'une frappe des vingt mètres, Luis Monti vient d'ouvrir le score pour l'Argentine.

Si près de l'exploit...

Si le but de Monti aurait pu assommer définitivement les Bleus, c'est tout le contraire qui se produit ! Plus que jamais soutenus, les coéquipiers d'Alex Thépot jettent leurs ultimes forces dans la bataille. Malheureusement, un arbitre au chronomètre facétieux et la malchance vont se dresser sur leur chemin. Etienne Mattler nous raconte cette fin de match folle :

Trois minutes après le but de Monti, Langiller filait seul le long de la touche, ayant dribblé Suarez. Il se rabattait, feintait Della Torre, il allait tirer au but... C'est alors que l'arbitre, M. Almeida Rego, consultait sa montre et, d'un coup de sifflet strident mettait fin aux opérations. Stupeur dans nos rangs ! Stupeur et colère dans les tribunes ! M. Almeida Rego avait tout simplement écourté la partie de six minutes...
Rendons lui cette justice : il revint rapidement sur son erreur. Le match reprit dans un tohu-bohu général. Le capitaine argentin Varallo, pour qui toutes ces émotions étaient sans doute trop fortes, piqua une crise de nerfs et du être emporté du terrain ! Nos avants étaient déchaînés. Ce fut durant ces six dernières minutes un bombardement continu des buts de Bosco. Delfour envoyait un shot canon.... sur la barre, Libérati, Maschinot, Lucien Laurent tentaient aussi l'égalisation.
Celle-ci ne vint pas. Nous étions battus mais combien content de nous ! La foule uruguayenne envahissait le terrain, portait Thépot et Pinel en triomphe, cependant que les Argentins regagnaient, tête basse, leur vestiaire.

Héroïques jusqu'au bout à l'image de leur gardien, catalogué en Une de toute la presse uruguayenne le lendemain comme étant "le meilleur gardien de la Coupe du Monde", les Bleus passent là tout près d'un exploit monumental. Eliminés de la compétition après une défaite face au Chili lors de l'ultime rencontre, ils quittent la compétition dès la phase de poule mais avec la satisfaction d'avoir été les acteurs d'un des plus grands matchs de la compétition. Après une ultime halte au Brésil pour y disputer quelques matchs, les joueurs français regagnent la France et arrivent à Paris le 15 août 1930, tout heureux d'avoir vécu le voyage de toute une vie. Le mot de la fin pour Jean Laurent :

Ce que c'est que d'être jeune, content de partir, content de revenir ! La vie est belle !
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