Nation majeure du football mondial des années 30, l'Autriche va être la première à faire les frais de l'arrivée d'Hitler au pouvoir en Allemagne. Annexée en 1938, elle voit disparaître avec elle quelques unes des plus belles pages de l'histoire du football européen.
Il n'aurait pas aimé voir ça
Il n'aurait pas aimé voir ça. Lui, qui avait construit puis dirigé de main de maître le football autrichien pendant des années, n'aurait pas supporté de le voir dépouillé, rayé de la carte par un petit moustachu aux idées terribles. "Il", c'est Hugo Meisl, l'homme qui avait fait de l'Autriche l'une des trois plus grandes nations du football européen avec l'Angleterre et l'Italie. Instaurateur du professionnalisme au pays de Mozart, Meisl avait tour à tour été arbitre, dirigeant et surtout sélectionneur de la Wunderteam, la mythique sélection autrichienne qui enchanta les observateurs au cours des années 30. En avance sur son temps, c'est lui qui avait créé de toutes pièces la Mitropa Cup, première véritable Coupe d'Europe mettant aux prises les clubs d'Europe Centrale et d'Italie. Pas avare en idées, il avait également mis sur pied la Coupe Internationale, pendant de la Mitropa Cup pour les sélections. Avec Meisl, le football autrichien avait connu un véritable âge d'or, une gloire derrière laquelle il court désormais. Symbole de cette période bénie, il le resta jusqu'au bout : sa disparition brutale à l'âge de 55 ans en 1937 marqua le début de la fin du football autrichien.
L'Anschluss
12 mars 1938. Il est 5h30 lorsque les troupes de la Wehrmacht franchissent la frontière séparant l'Allemagne et l'Autriche. Après plusieurs semaines de tensions entre les deux pays, Hitler a obtenu du gouvernement autrichien de donner l'ordre à son armée de n'opposer aucune résistance aux soldats allemands. Ainsi, l'invasion de l'Autriche se déroule sans éclats de sang et dans une ambiance festive ! Craignant une guerre et étant assez largement acquise aux idées nazies, la majorité de la population autrichienne accueille les Allemands en libérateurs. Finalement, les premières victimes de cette annexion de l'Autriche par l'Allemagne sont les Juifs autrichiens. Victimes d'un antisémitisme largement diffusé en Autriche, beaucoup d'entre eux sont battus et voient leurs commerces être dévastés par une foule hors de contrôle. Le 13 mars, dans cette atmosphère entremêlant les scènes de joie et de chaos, l'Autriche est officiellement rattachée à l'Allemagne.
Le dernier tour de Sindelar
En football, l'annexion de l'Autriche a des conséquences immédiates. La première et la plus importante d'entre toutes est la disparition de l'équipe nationale d'Autriche. Première grande équipe à avoir pensé le football comme un jeu fait de redoublement de passes dans les pieds et de mouvement perpétuel, la grande sélection autrichienne est rattachée à la sélection du Reich qui, jusqu'ici, n'a guère brillé par ses résultats. Toutefois, avant de disparaître définitivement, l'ex Wunderteam se voit offrir un dernier tour de piste. Le 3 avril 1938, afin de "fêter" l'Anschluss, un grand match opposant l'Autriche et l'Allemagne est organisé à Vienne devant 60 000 spectateurs. Disputé devant bon nombre de dignitaires nazis présents pour l'occasion, il est prévu que le match se termine sur un score nul et vierge afin de contenter tout le monde mais, du côté autrichien, un homme n'est pas de cet avis : Matthias Sindelar. Ancien leader technique du Wunderteam, "Sindy" est, à 35 ans, au crépuscule de sa carrière. Toutefois, il demeure un magnifique footballeur, largement supérieur aux joueurs allemands, bien entraînés physiquement mais assez frustres sur le plan technique. Surtout, Sindelar faisant partie d'une minorité d'autrichiens rejetant l'Anschluss, il n'est pas du tout décidé à laisser le match se terminer sur un 0-0. Non, pour sa dernière sous le maillot autrichien, "l'homme de papier" veut briller. Pendant une heure, il s'amuse à faire tourner dans tous les sens les défenseurs allemands avant de louper ses occasions de façon invraisemblable, comme pour montrer au public la supercherie qui lui est proposé. Puis, décidant de mettre un terme à ce grand cirque, il inscrit enfin le premier but de la rencontre à l'heure de jeu, imité par son coéquipier Sesta dix minutes plus tard. Score final, 2-0 pour l'Autriche à la grande stupéfaction des spectateurs présents en tribune. Pour la petite histoire, un tournoi mettant aux prises quelques semaines plus tard le Rapid et l'Austria de Vienne (club de Sindelar) et les allemands de Furth et Stuttgart tournera aussi à la démonstration. En quatre rencontres face aux géants viennois, les clubs allemands encaissent 17 buts et n'en inscrivent qu'un seul...
Le fiasco du Mondial 1938
Si les défaites de la sélection et des clubs allemands face aux autrichiens peuvent apparaître humiliantes pour les nazis, elles sont également accueillies comme une formidable opportunité. En effet, les joueurs autrichiens étant désormais allemands, ils sont sélectionnables au sein de l'équipe du Reich, ce qui constitue une formidable aubaine à quelques semaines de la Coupe du Monde 1938 organisée en France. En tout et pour tout, l'Allemagne nazie attire dans ses rangs huit anciens internationaux autrichiens pour disputer le Mondial, parmi lesquels quelques joueurs de renom tels que Joseph Stroh ou Hans Mock. Toutefois, le onze du Reich échoue à enrôler Bican et Sindelar, les deux principales vedettes de l'ex-Wunderteam. Si le premier a profité de son exil en Tchécoslovaquie en 1937 pour prendre la nationalité tchèque, le second prétexte une vieille blessure au genou pour justifier son refus, une excuse qui ne trompe personne. Immensément populaire en Autriche, Sindelar s'affirme une fois de plus comme une icone refusant d'accepter la réalité de l'Anschluss. Il le payera peut-être de sa propre vie. En janvier 1939, il est retrouvé mort à son domicile avec sa maîtresse dans des circonstances plus que troubles. Asphyxié par une fuite de gaz ou assassiné par les nazis ? Le mystère ne sera jamais résolu.
Sans les deux ex-vedettes du Wunderteam, le parcours de l'Allemagne lors du Mondial 1938 tourne au fiasco. Opposés à la Suisse pour leur entrée en lice en 1/8ème de finale, ils concèdent le nul (1-1) avant d'être battus sèchement lors du replay (4-2). Une élimination sans gloire pour une équipe qui, par la voix du grand manitou du sport allemand Hans von Tschammer, ambitionnait avant la compétition de remporter le tournoi...
Le démantèlement du football autrichien
Bien loin de ce fiasco de la sélection du Reich, le football autrichien meurt en silence. Dès les premiers jours suivant l'Anschluss, les Allemands s'évertuent à réformer le football autrichien à leur image. Grande œuvre de Meisl, le professionnalisme est interdit tandis que l'antisémitisme des nazis frappe de plein fouet clubs, joueurs et dirigeants. Dès le 15 mars 1938, l'ensemble des fonctionnaires, managers et rédacteurs sportifs Juifs sont démis de leur fonction, au même titre que le président de la fédération autrichienne et de l'Austria Vienne Emmanuel Schwarz. Ce grand ami de Sindelar n'est malheureusement qu'une victime parmi tant d'autres de la haine du régime hitlérien. A Vienne, l'Hakoah Vienne, l'un des plus grands clubs du pays à l'identité juive fortement revendiquée est carrément dissout. Champion d'Autriche en 1925, le club qui vit passer dans ses rangs Bela Guttman, l'homme qui donna ses lettres de noblesse au football portugais, ne renaîtra jamais de ses cendres. Après un bref retour après la guerre, il disparaîtra définitivement en 1949. Par crainte de la persécution, de nombreux joueurs quitteront le pays après l'Anschluss. A la recherche d'une terre d'asile, beaucoup s'exileront en France à l'image de Camillo Jerusalem, qui rejoint le FC Sochaux en 1938. Dépossédée de ses meilleurs éléments et de son équipe nationale, l'Autriche ne retrouvera jamais le niveau qui fut le sien dans les années 30. Orpheline des Meisl, Sindelar et autres Bican qui n'eurent jamais d'héritiers, elle semble aujourd'hui à des années lumières de renouer avec son glorieux passé.
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