En 1938, la France accueille pour la première fois la Coupe du Monde sur son sol. A domicile et en constant progrès depuis l'adoption du professionnalisme en 1932, les Bleus se présentent en outsider pour la compétition. Présentation de la meilleure équipe de France de l'entre-deux-guerres.
Préambule
A quelques semaines d'accueillir "sa" Coupe du Monde, l'Equipe de France est en confiance. Victorieuse lors de ses cinq derniers matchs, elle n'est plus le "paillasson de l'Europe" qui enchaînait les déculottées quelques années auparavant. Non, depuis 1932 et l'adoption du professionnalisme, le football français est en net progrès. Présentation des joueurs, tactique mise en place, points forts et points faibles, nous vous proposons aujourd'hui de revenir sur cette équipe qui défendit les couleurs de la France pour la première Coupe du Monde de l'histoire organisée dans l'Hexagone.
Les 22 sélectionnés
Le 17 mai 1938, soit un peu plus de quinze jours avant le début de la Coupe du Monde, Gaston Barreau, sélectionneur de l'Equipe de France, dévoile la liste des 22 joueurs sélectionnés pour le Mondial :
Gardiens : L. Di Lorto (FC Sochaux), J. Darui (O. Lillois), R. Llense (FC Sète)
Défenseurs : E. Mattler (FC Sochaux), H. Cazenave (FC Sochaux), J. Vandooren (O. Lillois), A. Ben Bouali (OM), L. Jasseron (Le Havre)
Demis ( ou Milieux) : F. Bourbotte (SC Fives), Povolny (Le Havre), J. Bastien (O.M.), E. Delfour (RC Roubaix), R. Diagne (RC Paris), G. Jordan (RC Paris)
Attaquants: Ignace (FC Metz), F. Aston (Red Star), J. Nicolas (F.C. Rouen), M. Zatelli (O.M.), O. Heisserer (Strasbourg), M. Brusseaux (FC Sète), R. Courtois (FC Sochaux), E. Veinante (RC Paris).
Peu de surprises dans cette liste concoctée par le sélectionneur des Bleus puisqu'aucun des joueurs appelé n'est un petit nouveau. Toutefois, parmi les 22, Barreau a désigné quatre réservistes parmi lesquels figure Edmond Delfour, recordman de sélection de l'époque. Accompagné de Jasseron, Povolny et Vandooren "Mômon" est chargé de s'entretenir physiquement afin de pouvoir remplacer un joueur en cas de besoin. Cependant, il est, comme les autres réservistes, écarté de la préparation et notamment du match de gala organisé face à l'Angleterre à dix jours du début du tournoi.
La crème du football à Chantilly
En guise de préparation, la délégation française se réunit dès le 19 juillet à Chantilly. Là-bas, les Bleus sont soumis aux entraînements de Maurice Cottenet, ancien gardien de l'Equipe de France dans les années 20. Le sélectionneur Gaston Barreau, lui, ne s'occupe pas directement des séances qui ont simplement pour but de maintenir les joueurs en forme physiquement. Au programme de Cottenet : culture physique, sprints, promenade en forêt tous les jours, un peu de ballon avec un gros focus sur les coups de pieds arrêtés et notamment les corners. En somme, une préparation axée sur la récupération après une saison harassante pour les organismes. Pour ne pas perdre l'habitude des matchs et pour effectuer des derniers tests, les Bleus ont tout de même une rencontre amicale de prévue avant le Mondial. Leur adversaire ? L'Angleterre qui, si elle boude toujours la Coupe du Monde, reste considérée comme la meilleure équipe de la planète. Pour cette rencontre, Barreau s'appuie sur l'ossature qui débutera la Coupe du Monde dix jours plus tard face à la Belgique. Il aligne ainsi la composition suivante : Di Lorto, Mattler, Cazenave, Jordan, Bourbotte, Diagne, Brusseaux, Heisserer, Aston, Courtois, Nicolas.
Bien en place, les Bleus tiennent la dragée haute aux anglais pendant toute une mi-temps avec notamment une incroyable frappe en lucarne des 25 mètres de l'avant-centre rouennais Jean Nicolas. Usés physiquement, les français sont nettement dominés lors du deuxième acte mais ne s'inclinent que 4 buts à 2. A dix jours du début du Mondial, le bilan est globalement positif malgré deux ombres au tableau : la mauvaise performance de Michel Brusseaux au poste d'inter (équivalent d'un milieu offensif) et la blessure de François Bourbotte, pièce maîtresse de la ligne de demis.
Le onze français
Pour l'entrée en lice des Bleus face à la Belgique en 1/8ème de finale de la Coupe du Monde (la compétition ne comportant alors pas de phase de poules), Gaston Barreau doit effectuer deux changements par rapport à la rencontre face à l'Angleterre. Blessés, François Bourbotte et Roger Courtois doivent laisser leur place à Jean Bastien et Emile Veinante. La blessure de Bourbotte est un coup dur pour les Bleus : excellent demi-centre, le grand François formait un trio de tout premier ordre avec ses compères Gusti Jordan et Raoul Diagne. Son remplaçant, le marseillais Bastien, est un bon joueur mais ne dispose pas d'un abattage équivalent.
Devant, en revanche, la blessure de Courtois retire peut-être une épine du pied au sélectionneur. En effet, ce dernier demeurait incapable d'effectuer un choix au poste de numéro 9 depuis plusieurs mois, hésitant sans cesse entre Roger Courtois et Jean Nicolas, deux avant-centre disposant de statistiques exceptionnelles en championnat de France. Pour ne pas devoir se priver de l'un des deux, Barreau avait souvent positionné Courtois à l'aile, une position dans laquelle le brillant buteur sochalien ne brillait guère. Avec sa blessure, le sélectionneur peut réintroduire deux purs ailiers en la personne d'Emile Veinante, un technicien hors-pair mais peu rapide et du feu-follet Fred Aston, au coup de rein dévastateur.
Pour le reste, la composition choisie pour ce match face à la Belgique est on ne peut plus classique. A l'arrière, on retrouve une défense 100% sochalienne avec Di Lorto dans les buts, protégé par une charnière composée d'Hector Cazenave et du capitaine Etienne Mattler. Secondée par une ligne de demis de haute qualité, la défense française fait figure d'atout majeur des Bleus pour la compétition. Au poste d'intérieur, le sélectionneur a également décidé de rappeler le taulier Delfour pour remplacer un Michel Brusseaux fin technicien mais manquant de volume de jeu. Pragmatique, Gaston Barreau a construit une Equipe de France combattive, "meilleure pour détruire (les occasions adverses) que pour construire", comme le souligne l'ancien international Lucien Gamblin dans L'Auto. Car en effet, c'est bien dans la construction du jeu que les français sont les plus limités. Leurs deux intérieurs, Edmond Delfour et Oscar Heisserer, sont d'infatigables travailleurs mais ne sont pas de purs meneurs de jeu capables de mener à bien les offensives françaises. Le chaînon manquant, c'est peut-être le fantastique Henri Hiltl de l'Excelsior Roubaix, qui attend alors sa naturalisation française, naturalisation qui n'arrivera qu'en janvier 1939..
Le schéma tactique
Pour aborder la compétition, les français évoluent en 2-3-5, un schéma classique pour l'époque mais qui commence de plus en plus à être contesté par les partisans d'un schéma plus moderne : le WM. En Equipe de France, le WM a été expérimenté dans le passé mais Barreau a jugé qu'il ne convenait pas à la façon de jouer de sa défense sochalienne qui ne le pratique pas en club.
En 2-3-5, la charnière reste donc très proche de son but pour le protéger du mieux possible tandis que les deux demi-ailes (Diagne et Bastien) sont chargés du marquage des ailiers. Seul au milieu, le demi-centre (Jordan) doit couvrir une importante surface.
En WM, Jordan reculerait pour prendre l'avant centre adverse en marquage individuel. Mattler et Cazenave seraient quant à eux astreints au marquage des ailiers ce qui permettrait à Diagne et Bastien de surveiller les intérieurs adverses.
Le "seum" de 1938
Armé de son schéma de jeu quelque peu archaïque mais disposant d'individualités de premier plan, l'Equipe de France entre de la meilleure des façons dans son match face à la Belgique. Devant les 30 000 spectateurs du stade de Colombes, les Bleus font démentir les critiques des observateurs jugeant leur jeu trop défensif en inscrivant deux buts dans les vingt premières minutes par l'intermédiaire de Veinante et Jean Nicolas. Ultra-dominateurs, les Bleus vont ensuite connaître un petit coup de mou dont vont profiter les Belges pour réduire le score avant que Nicolas ne délivre Colombes à 20 minutes du terme. Désabusé, l'arrière droit et capitaine de la Belgique Robert Paverick déclare à l'issue de la rencontre "Vos arrières jouaient très repliés... Nous au contraire, nous étions dépliés vers l'avant, vers l'offensive. La mécanique n'a pas fonctionné...". Vous avez dit "seum" ?
La marche était trop haute
La victoire face aux Belges acquise sans trop trembler, l'Equipe de France se prend à rêver d'une folle épopée dans cette Coupe du Monde. Bien entendu, leur adversaire en quarts n'est autre que l'Italie, championne du monde en titre, mais la Squadra vient de friser la correctionnelle en ne venant à bout de la Norvège qu'à l'issue d'une prolongation insoutenable. Malheureusement, les limites entraperçues face à l'Angleterre puis la Belgique vont s'avérer trop importantes face à des Italiens bien plus tranchants que lors de leur 1/8ème de finale. Malgré une belle résistance en première mi-temps (1-1, but d'Heisserer), les Bleus flanchent en deuxième, payant notamment un déchet technique trop important à ce niveau-là. Auteur d'un match héroïque lors d'un 0-0 obtenu par les Bleus en Italie en décembre 1937, Di Lorto se troue cette fois dans les buts tandis que Mattler, Diagne et Bastien peinent face à la vitesse du jeu italien. Malgré les progrès réalisés par l'Equipe de France depuis 1932, la marche est encore trop haute pour rivaliser avec les toutes meilleures nations du monde. Toutefois, avec une tactique plus moderne, l'émergence dans les buts de Julien Darui (à 22 ans, celui qui sera désigné "Gardien Français du XXème siècle par L'Equipe, n'est alors que remplaçant) et l'apport d'un meneur de jeu à la Hiltl, la France aurait pu espérer de très belles choses pour la Coupe du Monde 1942. Malheureusement, la Seconde Guerre Mondiale viendra passer par-là...
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