En 1924, le monde du sport se réunit à Paris pour les Jeux Olympiques. En football, le tournoi accueille pour la première fois des pays venus du continent américain, annonçant ainsi les prémices des premières Coupes du Monde...
Comme un air de Coupe du Monde
"C'est aujourd'hui le premier acte de l'épopée qui doit attester le colossal et magnifique essor du Sport-Roi, du sport universel. Nous avons longuement et durement bataillé nous, les amis de la balle ronde, pour essayer de convaincre ceux qui ne voulaient pas croire à son succès. Et c'est notre revanche aux incompréhensions, que ce premier tournoi mondial du football, enfin prodige des précédentes compétitions olympiques." Le 25 mai 1924, le journaliste de L'Auto Gautier Chaumet est on ne peut plus enthousiaste à l'occasion des débuts du tournoi de football des Jeux Olympiques qui se déroulent à Paris. Il faut dire que pour la première fois de l'histoire des Jeux, des nations américaines vont participer au tournoi : les Etats-Unis et l'Uruguay. Si la venue des joueurs issus du pays de l'Oncle Sam est appréciée, c'est bien la participation des uruguayens qui déclenche un tel engouement autour de ce tournoi olympique. Vainqueur de la Copa America en 1923, la Céleste a la réputation d'être une équipe sensationnelle et le public français a hâte de la voir aux pieds d'œuvre. Toutefois, plus que la simple présence de l'Uruguay, c'est l'ensemble du tournoi qui s'annonce alléchant. Là où seulement 14 équipes participaient aux Jeux d'Anvers en 1920, les pays inscrits sont cette fois au nombre de 22 ! Italie, Yougoslavie, France, Hongrie, Tchécoslovaquie, Suisse; les meilleures nations de l'époque sont présentes même si deux d'entre-elles brillent particulièrement par leur absence : l'Autriche et l'Angleterre, toutes les deux partisanes du professionnalisme et opposées à l'exclusion des joueurs professionnels des Jeux Olympiques...
Cocoricouac !
Côté français, le tournoi olympique ne s'annonce guère sous les meilleurs auspices. Les promesses entrevues au lendemain de la guerre lors des Jeux Interalliés de 1919 n'ont pas eu de suite et les Bleus connaissent des années noires. Depuis 1920, le bilan est tout simplement catastrophique : 25 matchs, 6 victoires, 19 défaites et quelques sévères corrections (au hasard un terrible 1-8 face aux Pays-Bas en 1923 ou une défaite 7-0 en Norvège en 1922). La seule éclaircie dans ce brouillard ? La première victoire de l'histoire face à l'Angleterre à l'occasion du centenaire de Napoléon. Les raisons de cette descente aux Enfers pour l'équipe de France sont multiples : perte de nombreux jeunes joueurs pendant la guerre, départ en retraite ou déclin des cadres qu'étaient Lucien Gamblin, Gabriel Hanot ou encore Pierre Chayriguès, aversion à adopter le professionnalisme, etc. Pourtant, dans la semaine précédant la quinzaine olympique, les Bleus réalisent une performance encourageante face aux professionnels anglais puisqu'ils ne sont défaits "que" par 3 buts à 1. Désormais correspondant à L'Auto, Lucien Gamblin écrit : "Nous étions dans un tunnel. Nous commençons à apercevoir la sortie, clarté qui chasse nos inquiétudes". La lumière ne durera guère. Exempt du tour préliminaire en tant que pays organisateur, la France n'entre en lice qu'au stade des 1/8ème de finale. Opposés à la Lettonie, une nation qui n'a jamais fait parler d'elle pour son football, les hommes du sélectionneur Gaston Barreau déroulent et s'imposent 7-0. Si les buteurs se font plaisir (triplé pour l'attaquant de l'OM Edouard Crut et doublé pour la vedette des Bleus Paul Nicolas), le niveau de jeu proposé par les français n'incite guère à l'optimisme. Gamblin estime ainsi que les Bleus "n'ont pas accompli une performance qui nous permette d'espérer beaucoup de leurs futures exhibitions". Visionnaire, "Lulu". En 1/4 de finale, les français sont sévèrement corrigés par l'Uruguay (1-5). Après une belle première heure de jeu au cours de laquelle ils rivalisent avec des adversaires incontestablement supérieurs, les Bleus s'effondrent sous les coups de boutoir répétés d'une attaque composée de quelques uns des plus brillants footballeurs de l'époque tels que Hector Scarone ou le jeune Pedro Petrone, tout juste 19 ans.
Le football à l'heure uruguayenne
Malgré la dureté du score final, les français peuvent se consoler d'avoir été défaits par "les plus redoutables adversaires qu'ils aient jamais rencontré" pour reprendre les termes employés dans L'Auto. Largement supérieurs techniquement et tactiquement aux autres participants du tournoi, les uruguayens sont la véritable attraction, non pas du tournoi de football, mais des Jeux tout entier. L'engouement autour de la Céleste avait commencé à prendre forme en Espagne deux mois avant le début des Jeux de Paris. Débarqués là-bas pour une tournée de matchs amicaux ayant pour but de récolter des recettes pour leur participation aux Jeux, les uruguayens avaient impressionné en terrassant une à une les meilleures équipes d'Espagne : Celta Vigo, Real Sociedad, Real Madrid; tous étaient tombés face à la supériorité de la Céleste. La passion qui avait entouré leurs matchs en Espagne s'était ébruitée jusqu'à Paris puis s'était propagée en France dès le premier match des sud-américains dans la capitale parisienne. Ne cessant de gagner en importance au fur et à mesure du tournoi, elle avait atteint son point culminant lors de la finale face à la Suisse, à laquelle assistèrent plus de 40 000 spectateurs, massés dans le Stade Yves-du-Manoir de Colombes. A elle toute seule, cette rencontre a réalisé 10% des recettes totales des Jeux de Paris. Un chiffre hallucinant.
Rétrospectivement, on peut considérer que les Jeux de Paris symbolisent l'avènement d'une véritable ère uruguayenne qui durera jusqu'au milieu des années 30. Portée par son capitaine José Nasazzi, son demi-centre José Andrade, premier joueur de couleur à obtenir le statut de vedette internationale, et son attaque de folie, l'Uruguay va remporter successivement les J.O de 1924, ceux de1928 puis la première Coupe du Monde de l'histoire en 1930, une performance jamais égalée depuis. Stoppée dans son élan par son refus de participer aux Coupes du Monde 1934 et 1938, la Céleste reviendra de plus belle après la Seconde Guerre Mondiale puisqu'elle remportera le Mondial brésilien en 1950, après une finale mythique face à la Seleçao.
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