Au cours de la première moitié des années 30, le monde du football s'émerveille devant l'une des plus belles équipes nationales de l'histoire : le Wunderteam autrichien. Foot Universal revient pour vous sur ces années où l'Autriche domina la planète football.
Le génie d'Hugo Meisl
Pays-Bas 1974, France 1984, Barcelone 1992 ou Barcelone 2009... Derrière chacune des grandes équipes ayant marqué l'histoire du football, se cache un grand entraîneur. Qu'ils se nomment Michels, Hidalgo, Cruyff ou Guardiola, ces meneurs d'hommes de génie ont su inculquer à la perfection leur idée de jeu à des joueurs conquis. Le Wunderteam autrichien des années 30 ne déroge pas à cette règle. S'il comptait en son sein quelques uns des plus grand joueurs de l'époque, il fut surtout l'œuvre d'un sélectionneur hors du commun : Hugo Meisl. Homme multi-casquettes par excellence, Meisl fut en son temps l'animateur numéro 1 du football européen. Secrétaire à la Fédération Autrichienne, sélectionneur de l'équipe nationale, créateur de nouvelles compétitions, dans les années 30, Meisl est partout. Véritable visionnaire, il doit souvent combattre le conservatisme de ses contemporains pour pouvoir mettre en place ses nombreux projets. L'instauration du football professionnel en Autriche en 1924 ? C'est lui. La création de la Mitropa Cup, ancêtre de la Ligue des Champions, en 1927 ? C'est encore lui. La Coupe Internationale, précurseur de l'Euro ? Encore et toujours lui ! C'est simple, si l'on excepte Jules Rimet, jamais peut-être un dirigeant n'eût autant d'importance dans l'histoire du football que Hugo Meisl. Et pour l'Autriche, c'est simple : sans Meisl, pas de Wunderteam. Avant de parler de ses talents de sélectionneur et d'entraîneur, il est nécessaire de revenir sur l'importance des réformes impulsées par l'homme au chapeau melon dans le développement du football au pays de Mozart. La plus importante d'entre elle est bien évidemment l'instauration du professionnalisme en 1924. A partir de cette date, le football s'ouvre définitivement aux classes populaires. Sans cela, le jeune Matthias Sindelar qui passait ses journées à errer dans le pauvre quartier viennois de Favoriten serait-il devenu le plus grand avant-centre autrichien de tous les temps ? La réponse est non. Mais l'œuvre de Mesil ne s'arrête pas là. En créant la Mitropa Cup en 1927 (et la Coupe Internationale, son équivalent pour les sélections), il permet aux joueurs Autrichiens de se confronter chaque saison aux meilleures équipes d'Italie, de Hongrie, de Yougoslavie et de République Tchèque. Habitués à affronter quelques uns des meilleurs joueurs du continent, les joueurs autrichiens progressent à vitesse grand V et le pays devient très vite un véritable vivier de talents. Ne reste plus qu'à repérer les meilleurs d'entre eux pour les faire évoluer ensemble. Et, une fois encore, Hugo Meisl est à la baguette.
La naissance du Wunderteam
Si l'expression Wunderteam désigne la sélection autrichienne entre les années 1930 et 1934 globalement, il ne faut pas croire que cette équipe a surgi de nulle part du jour au lendemain. En réalité, la plupart des piliers de la grande équipe d'Autriche des années 30 ont débuté aux alentours des années 1925-1926. Fait très rare pour le football de l'époque, beaucoup de ces futurs cadres du Wunderteam ont débuté en sélection alors qu'ils étaient tout juste âgés de 20 ans. C'est le cas du gardien Rudi Hiden, des attaquants Josef Bican, Anton Schall, Johann Horvath et, du plus doué d'entre tous, Matthias Sindelar. Pendant cinq, six, sept ans, ces jeunes joueurs talentueux perfectionnent leur entente sous l'œil attentif d'Hugo Meisl. Pour l'aider dans sa mission, celui-ci s'accompagne de Jimmy Hogan, un ancien attaquant anglais aux idées totalement novatrices. Bien loin du kick and rush traditionnel anglais, Hogan prône un football beaucoup plus technique, fait de passes courtes et rapides. Grâce aux conseils d'Hogan, le quatuor d'attaque composé de Bican, Schall, Horvath et Sindelar va bientôt faire des merveilles...
Age d'or et match du siècle
7 décembre 1932, Stamford Bridge, Londres. Dans le froid du décembre anglais, les deux plus grandes équipes du moment s'affrontent pour un match de gala. D'un côté, l'Angleterre, nation mère du football, toujours considérée comme la plus forte équipe au monde. De l'autre côté, l'Autriche, sur une série de 14 matchs sans défaite. Impressionnante depuis deux ans, la sélection menée par Hugo Meisl a infligé quelques unes des plus sévères défaites à bon nombre de ses derniers adversaires. L'Allemagne ? Défaite 5-0 puis 6-0. La Hongrie ? Humiliée 8-2 au mois d'avril 1932. L'Ecosse ? Ridiculisée 6-0 en 1931. Dans les jours qui précèdent la rencontre, la presse s'emballe donc à l'idée de ce match attendu par le monde entier, peut-être même bien plus que la finale de la Coupe du Monde 1930. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que les vingt-deux acteurs ne vont pas décevoir les attentes des tspectateurs. Un scénario à rebondissements, des actions de grande classe, des arrêts superbes des gardiens Hibbs et Hiden et un score final de 4 buts à 3 : à l'issue de la rencontre, l'expression "match du siècle" est très vite employée. En ce soir de décembre 1932, un homme s'est tout particulièrement illustré : l'avant-centre autrichien Matthias Sindelar. Auteur de deux passes décisives, "Sindy" a été dans tous les bons coups de son équipe. Bien plus qu'un simple buteur, Sindelar est l'âme du Wunderteam, l'artiste qui sublime ses coéquipiers. Passeur, dribbleur, buteur, "l'homme de papier" est alors considéré comme le meilleur joueur du moment. A l'image de son attaquant vedette, le Wunderteam vient peut-être, en ce soir de défaite, de disputer la plus belle rencontre de son histoire. Jamais encore l'Angleterre n'avait tant vacillé et jamais elle n'avait eu à affronter un football si séduisant techniquement. Sept ans plus tard, le journaliste Pierre Gosset se souvenait encore avoir "vu des artistes jouer avec une rigueur, une impersonnalité, et une promptitude qui laissaient loin derrière elles les arabesques sud-américaines..."
La fin du Wunderteam
Après son absence du premier tournoi mondial en Uruguay, le Wunderteam autrichien nourrit de grandes ambitions pour la Coupe du Monde 1934 organisée en Italie. Malheureusement, les artistes de la Mitteleuropa vont voir leurs rêves se heurter à un ennemi implacable : la dictature italienne du Duce Mussolini. A domicile, l'Italie ne peut pas perdre SA Coupe du Monde. Alors, le pouvoir fasciste ne lésine pas sur les moyens. Ainsi, la demi-finale du Mondial entre l'Autriche et l'Italie sera le théâtre d'un arbitrage scandaleux de la part du suédois Ivan Eklind, vraisemblablement corrompu ou menacé. Dès la 19ème minute, il valide le but italien d'Enrique Guaita bien que celui-ci soit entaché d'une grossière faute sur le gardien autrichien Peter Platzer. Ensuite, le referee va passer le reste de la rencontre à fermer les yeux devant les attentats des défenseurs italiens sur les vedettes autrichiennes. Anton Schall et Matthias Sindelar sont tous deux blessés au cours de la rencontre sans que les fautifs ne soient nullement sanctionnés. Pire encore, l'arbitre se permet même d'intercepter de la tête un long ballon lancé à destination de l'ailier Karl Zischek. Dans la tête d'Hugo Meisl, résonnent peut-être les mots que lui avaient prononcé le journaliste de L'Auto Maurice Pefferkorn avant la rencontre : "S'ils ne veulent pas, vous ne gagnerez pas". Après cette défaite, le Wunderteam s'effondrera petit à petit. Rudi Hiden partira jouer en France et portera bientôt le maillot Bleu et plusieurs éléments majeurs comme Schall, Bican ou Sindelar quitteront eux aussi bientôt la sélection. Tout s'effondrera définitivement à partir du décès brutal d'Hugo Meisl en février 1937. Sans leur sélectionner, la sélection autrichienne perdurera jusqu'à l'Anschluss de mars 1938. Avant la disparition totale de la sélection, quelques rescapés du Wunderteam joueront un ultime match face à l'Allemagne Nazie, dans un match de propagande organisé pour "célébrer l'Anschluss". Alors qu'un match nul avait été prévu par le Reich, un petit bonhomme d'1m60 à l'aspect miteux ne l'entend pas de cette oreille est inscrit un doublé qui permet à l'Autriche de l'emporter devant des officiels allemands médusés. Cet homme, c'est Matthias Sindelar. En janvier 1939, il sera retrouvé mort dans des circonstances plus que troubles à son domicile...
Comments