Aujourd'hui, Foot Universal vous propose de partir à la découverte de Henri Hiltl, joueur autrichien devenu international français en 1940.
Un Autrichien dans la ville
"Tuuuuuuttt, Paris Gare de l'Est, terrrrminnnus du train, tout le monde descend !" En ce soir de décembre 1933, c'est la cohue habituelle Gare de l'Est et les voyageurs se pressent de quitter les lieux afin de rentrer le plus tôt possible se mettre au chaud. Secoué de toutes parts par cette foule qui se hâte, un jeune homme de 23 ans apparaît totalement perdu. "Rrrroubaix" tente-t-il désespérément de crier, "Rrroubaix". Mais personne ne lui répond. Alors, les yeux perdus et le corps transi par le froid, Henri Hiltl commence à paniquer. Peut-être à cet instant repense-t-il à Vienne qu'il vient de quitter. Mais qu'est-il donc venu faire dans cette galère ? En Autriche, il avait connu la gloire. Son but en finale de la Mitropa Cup 1931, sa place dans le grand Wunderteam autrichien, les compliments du sélectionneur Hugo Meisl qui voyait en lui l'héritier du grand Matthias Sindelar : tout cela faisait désormais partie du passé.
Le futur, lui, s'écrira du côté de la France et de l'Excelsior Roubaix. En signant chez les vainqueurs de la Coupe de France 1933, Hiltl a fait un choix financier. Dans le Nord de l'Hexagone, il touchera un salaire bien plus important que celui qui était le sien en Autriche. M'enfin, encore faut-il trouver ce fichu dirigeant roubaisien censé l'attendre Gare de l'Est... "RRRROooubbbaiiiix" !
Le stratège de l'Excelsior
Après moultes péripéties, Hiltl parvient finalement à rejoindre sa nouvelle terre d'accueil. Une vraie libération pour un homme dont la discrétion légendaire n'a dû que peu goûter à cette arrivée en fanfare sur le sol français. L'épreuve traversée, il est temps pour l'international autrichien de retrouver le rectangle vert, assurément son meilleur terrain d'expression. Débarqué en tant qu'attaquant de pointe, la nouvelle recrue de l'Excelsior se montre très rapidement à son avantage dans un nouveau rôle : celui de véritable meneur de jeu. Rapidement, il s'impose comme l'un des meilleurs joueurs (si ce n'est le meilleur) du championnat de France. Lors d'un article consacré à son sujet en 1938, le journaliste Victor Denis du Miroir des Sports écrit : "A le voir, on a l'impression que le football est la chose la plus facile du monde, tant son style est aisé, subtil. Ses camarades, conquis, ne songent qu'à l'imiter". Décrit comme taciturne, homme de peu de mots, souriant rarement, Hiltl apparaît toutefois très vite comme l'idéal même du footballeur professionnel. A une époque où les joueurs sont souvent décriés pour leur manque de sérieux et leur individualisme, le stratège de l'Excelsior est loué pour son sens du collectif et son implication dans son métier. Professionnel jusqu'au bout des ongles, il fait partie de ces rares joueurs capables de rendre les autres meilleurs, un don réservé aux plus grands. S'il n'existe aucune vidéo disponible de ses exploits, on s'imagine aisément un meneur de jeu peu rapide, avec un certain flegme, une sorte de Zidane d'avant-guerre peut-être mais avec un sens du but encore plus aiguisé. En effet, entre 1935 et 1939, il n'inscrit pas moins de 74 buts en 113 rencontres avec l'Excelsior, un chiffre que bon nombre de pur buteurs rêveraient d'atteindre. Toutefois, aucun risque qu'il ne prenne la grosse tête. Modeste au possible, il fuit les félicitations et les honneurs, jugeant simplement qu'il ne fait que son travail.
"L' Extraordinaire Monsieur Hiltl"
Fidèle à l'Excelsior malgré l'intérêt de clubs plus huppés, Hiltl devient le capitaine de l'équipe à partir de la saison 1938-1939, chose rare pour un joueur étranger. Enfin, étranger oui, mais plus pour longtemps. En janvier 1939, celui que l'on nomme désormais "Monsieur Hiltl" ou même "l'Extraordinaire Monsieur Hiltl" obtient sa naturalisation française. L'année précédente, la naturalisation de Gusti Jordan, un autre Autrichien, avait entraîné une vaste campagne de dénigrements de la part de la presse d'extrême-droite qui accusait le demi-centre du RC Paris d'avoir "vendu sa nationalité". Cette fois, ces mêmes journaux ne disent rien : on ne touche pas à "Monsieur Hiltl". Mieux, lors du match suivant l'annonce de sa naturalisation, Hiltl reçoit une gerbe de fleurs de la part du capitaine du FC Sète en guise de félicitations. Jusqu'alors, jamais peut-être un joueur n'avait suscité une telle admiration de la part de ses coéquipiers et adversaires. Ceux qui ont eu la chance de jouer avec ont d'ailleurs gardé une admiration sans borne pour l'ex-international autrichien. Dans son autobiographie écrite en 1987, l'ancien attaquant de l'Excelsior Marcel Poblome consacre ainsi toute une page sur l'immense honneur que ce fut pour lui d'évoluer aux côtés "d'un tel Monsieur". Il en profite également pour raconter un des buts marqués par Hiltl, le qualifiant "d'exploit extraordinaire qu'(il) n'a jamais revu depuis" :
"Sur la remise en jeu au centre du terrain, je lui passai le ballon et il s'en alla dribbler tous les adversaires qui se présentaient, gardien de but compris, pour égaliser et sans avoir eu besoin de l'aide d'un partenaire."
Marcel Poblome, Mon Garçon Footballeur, 1990
Hiltl, le Français
Devenu français en 1939, celui qui est parfois nommé "professeur Hiltl" dans les journaux, ne va pas fuir ses obligations lors du déclenchement de la guerre contre l'Allemagne. Appelé sous les drapeaux, il rejoint l'armée française, comme l'immense majorité des joueurs de l'époque. Le football n'est toutefois jamais bien loin. Mobilisé près de Paris, il vient renforcer les rangs du RC Paris le temps d'une saison et emmène les Racingmen à la victoire finale en Coupe de France 1939-1940. Pourtant, le temps fort de la saison, et peut-être même de la carrière de Hiltl, n'est pas cette finale de Coupe. En effet, en janvier 1940, à l'occasion du retour de l'Equipe de France pour une rencontre amicale face au Portugal, il est appelé pour la première fois chez les Bleus à l'âge de 30 ans. Difficile de dire qui est le plus honoré de cette sélection : Hiltl, tombé amoureux de la France ou ses coéquipiers, ravis de jouer avec lui, à l'image du buteur sochalien Roger Courtois : "Quel plaisir de jouer à côté d'Hiltl ! C'est un joueur épatant. Il construit le jeu de manière splendide. On peut presque entièrement se confier à lui. Quand il a la balle, à moins d'un miracle on ne lui prend pas."¹ Désigné à l'unanimité comme le meilleur joueur français de la rencontre, Hiltl ne connaîtra malheureusement pas les belles années en Bleu que son talent aurait dû lui valoir. Avec la guerre et la défaite de juin 1940, l'Equipe de France est mise en sommeil jusqu'en 1944, à l'exception de deux rencontres face à l'Espagne et la Suisse en 1942. Fait prisonnier pendant la guerre, Hiltl revient à l'Excelsior de Roubaix en juillet 1941 après plus d'un an de captivité. De retour dans son club, les difficultés de circulation liées à la partition du pays en trois zones l'empêchent d'être sélectionné pour les deux matchs des Bleus de 1942, disputés respectivement à Marseille et en Espagne. Si la guerre gâche les dernières années au plus haut niveau du génial meneur de jeu de l'Excelsior, elle ne l'empêche pas de servir plus que jamais son club de toujours. Devenu entraîneur-joueur du club, il professe de précieux conseils à des jeunes joueurs ravis d'apprendre d'un tel maître. A la Libération, l'artiste offrira à son club de toujours un ultime cadeau en conduisant le CO Roubaix-Tourcoing (fusion des principaux clubs de Roubaix et Tourcoing, dont l'Excelsior) à son unique titre de champion de France en 1947. Devenu entraîneur chez les amateurs et patron de café à Roubaix, il demeurera dans sa ville d'accueil jusqu'à la fin de ses jours en 1982.
¹ : Voir L'Auto, 27 janvier 1940.
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