Après Angleterre-Écosse et Hongrie-Roumanie, Foot Universal vous présente une autre rivalité peut-être moins connue mais toute aussi réelle : celle opposant l'Italie et l'Autriche.
Des débuts 100 % autrichiens
L’Italie est un pays qui n’existe que depuis 1861. L’unité de l’Italie, morcelée jusque-là, s’est faite aux dépens de l’Empire d’Autriche, qui règne directement ou indirectement depuis des siècles sur les 4/5e de la Botte. Il aura fallu deux guerres, celle de 1859 (entre la France et l’Autriche) et 1866 (entre la Prusse et l’Autriche) pour que Vienne lâche, enfin, sa domination sur la Botte et que l’Italie devienne, enfin, indépendante, avec Turin comme capitale, Rome, cité du pape, ne faisant pas encore partie du nouveau royaume. Le football apparaît précocement dans l’Empire austro-hongrois (fin du XIXe siècle), plus tardivement en Italie. Dès le départ, le football danubien est en avance sur celui de son voisin, comme le montre la 1e opposition lors des JO 1912 à Stockholm, où les deux sélections, éliminées avant les 1/2 finales, s’affrontent en tableau de consolante. L’Autriche s’impose facilement, 5-1, les Transalpins ne marquant qu’en fin de match. De 1915 à 1918 l’Autriche-Hongrie et l’Italie se combattent dans les Alpes et les plaines de Vénétie, et plus de 4 millions de morts et blessés séparent les deux voisins. La haine va perdurer longtemps. Il faut attendre 1922 pour que les deux sélections se rejouent de nouveau. Désormais, l’Autriche, qui adopte le professionnalisme en 1924, est alors l’une des meilleures équipes du monde. Elle créée alors deux compétitions professionnelles qui animeront l’Europe d’Entre-deux guerres : la Coupe internationale (pour les sélections) et la Coupe Mitropa (pour les clubs), auxquelles participent aussi la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Italie et la Suisse. C’est l’Euro et la Ligue des champions avant l’heure, et l’Autriche domine. Systématiquement, c’est elle qui l’emporte. La 1e victoire italienne n’a lieu qu’en 1931 lors de la 11e confrontation entre les deux sélections, ce qui n’empêche néanmoins pas celle qu’on appelle désormais Wunderteam (équipe des miracles) de remporter la 2e édition de la Coupe internationale après avoir battu les Transalpins 2-1 au Prater de Vienne l’année suivante.
Mussolini, Coupe du Monde et Sindelar...
Les mouches changent d’âne lorsque l’Italie organise la Coupe du monde 1934. Mussolini exige une victoire pour exalter la supériorité de son régime fasciste. Menée par Matthias Sindelar, la Wunderteam figure parmi les favorites de l’épreuve. Elle vient de battre une nouvelle fois la Squadra Azzura à Turin 2-4 quelques mois plus tôt et est très bien partie pour remporter la 3e édition de la Coupe internationale, qui vient de débuter. Mais cette fois-ci, elle doit s’incliner face à sa plus grande rivale, qui évolue à domicile. La 1/2 finale de Milan contre la Squadra Azzura est le choc au sommet. C’est toute l’Italie qui attend l’Autriche à San Siro le dimanche 3 juin 1934, devant 35 000 tifosi déchaînés. Des pluies torrentielles ont transformé le terrain en bourbier. Même le temps est du côté des protégés du Duce, car les artistes danubiens ont du mal à déployer leur jeu technique. L’Italie se qualifie de façon très honteuse, en marquant un but alors que le portier autrichien est maintenu au sol par trois transalpins. Victimes de la brutalité adverse, les Autrichiens terminent à 9 contre 11, voire contre 12 car même l’arbitre est contre eux : on voit même l’homme en noir dégager de la tête un long ballon devant les cages transalpines ! De quoi confirmer à posteriori les prévisions du sélectionneur autrichien qui savait que son équipe n’avait aucune chance… L’Autriche a raté le coche ; la Wunderteam n’est plus désormais qu’une Plunderteam (équipe en toc), Sifflets, invectives et sévères critiques dans la presse sont maintenant au rendez-vous à Vienne. Même les clubs, qui survolaient jusque-là la Coupe Mitropa (4 victoires et 4 finales en 10 éditions), ne se qualifient plus ne serait-ce que pour une finale à partir de 1936. Dans la foulée de sa victoire en Coupe du monde, l’Italie renverse la situation en Coupe internationale en s’imposant l’année suivante à Vienne 0-2 et remporte le trophée pour la 2e fois. L’année suivante, en finale des JO de 1936 à Berlin la Squadra azzura l’emporte encore sur l’Autriche, dans des conditions, une fois de plus, particulières. Interdite aux professionnels, l’épreuve voit en effet le sacre de l’Italie et de ses « amateurs marron », les fameux Goliardi (la liste des médaillés d’or en 1936 est imposante et s’apparente plutôt à une sélection espoirs avec sa cohorte de titulaires en Série A, tous rompus aux joutes de la Coupe Mitropa en club), qui s’imposent aux amateurs autrichiens sur le score de 2-1. L’Italie est bien désormais au sommet.
L’ère de la violence
L’année 1937 voit une gradation dans la violence. Partout, le football italien se sert de la violence pour gagner. Ce climat de violence ouverte sur le pré est largement corrélé à la violence observée dans la société italienne depuis la montée du fascisme. Comme par hasard, les événements mémorables les plus brutaux ont lieu lorsque la Squadra Azzura se produit. Qui plus est, Mussolini se considère désormais comme le garant de l’indépendance de l’Autriche, menacée par les visées de Hitler : il ne veut pas voir son allié, déjà très encombrant, dominer sa frontière alpine. De leur côté, les Autrichiens, menacés par l’Allemagne, sont, encore, violemment antifascistes. D’où l’antagonisme entre les deux pays. Le 21 mars 1937, la rencontre Autriche-Italie au Prater de Vienne, comptant pour la 4e édition de la Coupe internationale, bien que menée par les locaux 2-0 à la 74e minute est interrompue en raison de violences commises sur le terrain. À la sortie du stade, de terribles affrontements opposent 105 supporters transalpins venus en car assister à la rencontre à des Viennois antifascistes. Entre crachats, insultes et saluts poings fermés, les Italiens réussissent à fuir du stade escortés par la police en emmenant avec eux 16 blessés. La Coupe Mitropa 1937 est à l’avenant : le 1/4 de finale entre l’Admira Vienne et le Genoa, disputé lui aussi au Prater, est perturbé par une bagarre générale et des démonstrations anti-italiennes après que l’arbitre ait accordé un penalty à l’Admira. En réaction, sur la foi du rapport de l’ambassadeur italien en Autriche, l’autorisation de disputer le match retour ne sera pas donnée par les autorités fascistes, entraînant la disqualification des deux équipes. L’annexion par le Reich après que Mussolini eût lâché l'Autriche puis la guerre suppriment les relations entre les deux voisins rivaux pour des années.
Une rivalité apaisée
Le 1er décembre 1946, c’est tout naturellement contre le voisin autrichien renaissant que la Squadra Azzura affronte à San Siro pour une victoire 3-2 devant 53 000 tifosi. La rivalité diplomatique et sportive est désormais terminée. La Squadra Azzura, détruite par le drame du Superga de 1949 (crash d'avion décimant l'équipe entière du Grande Torino où évoluaient la plupart des cadres de la sélection ainsi que le français Emile Bongiorni), l’Autriche redevenue une nation du football comme une autre, les duels perdent toute leur saveur, même les affrontements en Coupe internationale, elle-même devenue ringarde et définitivement abandonnée en 1960 lorsque l'UEFA créée l'Euro. En dehors d'un double affrontement en éliminatoires de l’Euro 72, dominé par les Italiens (1-2 à Vienne et 2-2 à Rome), la fin du XXe siècle voit un triple affrontement en Coupe du monde (78, 90, 98), tous remportés par l’Italie sur la plus petite des marges. En Argentine, au second tour au Monumental, c’est Paolo Rossi, déjà, qui délivre les Transalpins ; en France, au Stade de France, les 80 000 spectateurs assistent à un final époustouflant avec deux buts dans les arrêts de jeu, pour au final un 2-1 qui élimine les Autrichiens. Mais, surtout, nous nous souvenons tous de l’entrée en compétition tendue de la Squadra Azzura en 1990 à domicile au Stadio Olimpico de Rome, qui buta pendant 80 minutes sur son adversaire avant d’être délivrée par le surprenant joker Schilacci, tout juste rentré en jeu (1-0). Dernière opposition en date, une pâle rencontre dans un Wembley quasi-vide lors de l’Euro 2020 le 26 juin dernier, durant laquelle les Transalpins frôlèrent la correctionnelle dans le money-time du temps réglementaire avant d’inscrire deux buts durant la prolongation, prolongeant ainsi leur invincibilité qui remonte à 1960, soit 14 matchs. Au final, le bilan entre les deux sélections qui furent avant-guerre longtemps rivales, le bilan est beaucoup plus équilibré qu’on peut le penser aujourd’hui : 18 victoires italiennes, 8 nuls et 12 victoires autrichiennes.
Frédérik Legat
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