Avec 21 buts en 25 sélections en Equipe de France et 193 buts en 164 matchs dans le championnat de France (D2 puis D1), Jean Nicolas est sans conteste l'un des plus grands joueurs de notre histoire. Pourtant, l'ancien rouennais est tombé dans un anonymat aussi incroyable qu'injuste, la faute à une carrière brisée à seulement 25 ans par la Seconde Guerre Mondiale. Portrait du plus grand oublié de l'histoire du football français.
De Paul à Jean
Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, le football français vit une période sombre. A des années lumières de ses voisins européens au niveau de la tactique ou de l'entraînement, le ballon rond hexagonal voit l'écart qui le sépare de ses concurrents se creuser irrémédiablement. Dans les faits, il faudra attendre 1932 et l'adoption du professionnalisme pour voir notre football prendre enfin la bonne direction. Pourtant, même dans ces terribles années 20 marquées par de véritables humiliations subies par l'Equipe de France (au hasard, une défaite 13-1 contre la Hongrie en 1927 ou un 7-0 infligé par l'Italie en 1925), les Bleus comptent dans leurs rangs deux "vedettes" : le gardien Pierre Chayriguès, héros de la courte de défaite française face à l'Angleterre en 1925 (2-3) et Paul Nicolas (35 sélections, 20 buts), charismatique leader de l'attaque française entre 1920 et 1931. Considéré alors comme le meilleur joueur de l'histoire du football français, Paul Nicolas laisse un véritable vide au moment de sa retraite et le sélectionneur Gaston Barreau peine pendant deux années à lui trouver un successeur. Ce successeur, il le trouvera en 1933 en la personne d'un jeune buteur de 20 ans qui évolue alors en division régionale du côté du F.C. Rouen. Son nom ? Jean Nicolas, homonyme sans aucun lien de parenté avec son illustre prédécesseur.
Un amateur chez les Bleus
En plus de présenter des statistiques hors du commun, Jean Nicolas fait partie des rares joueurs à avoir intégré l'Equipe de France alors qu'il n'était pas encore professionnel. En effet, au moment où le championnat de France professionnel est créé à l'aube de la saison 1932 - 1933, le FC Rouen de Jean Nicolas évolue toujours en division régionale. A ce moment là, ne pas faire partie d'un des clubs de l'élite n'est pas encore rédhibitoire puisque de nombreux clubs de haut niveau n'ont pas encore franchi le pas du professionnalisme. Ainsi, les matchs de haute volée réalisés sur le front de l'attaque rouennaise par Jean Nicolas tapent dans l'œil de Gaston Barreau. Pourtant réputé conservateur, le sélectionneur des Bleus est tellement impressionné par la vitesse et le sens du but du buteur normand qu'il décide de le lancer dans le grand bain dès février 1933 pour un match face au légendaire Wunderteam autrichien. A l'époque, le onze autrichien entraîné par le charismatique Hugo Meisl est probablement la meilleure équipe du monde. Dans ses rangs, elle compte notamment le génial Matthias Sindelar, considéré encore aujourd'hui comme le plus grand joueur de l'histoire de l'Autriche. Et pourtant, malgré un adversaire de taille et une défaite 4-0, Nicolas trouve le moyen d'impressionner les observateurs. Au lendemain de la rencontre, l'ancien international Gabriel Hanot écrit dans Le Miroir des Sports : "Nous avons perdu, par 4-0, devant l'Autriche, comme en 1925, à Pershing; mais nous avons trouvé un avant centre, Jean Nicolas".
L'égal de Just Fontaine
Lorsque l'on s'attarde sur les statistiques de Jean Nicolas sur la période 1933-1939, on s'aperçoit que seul l'illustre Just Fontaine peut soutenir la comparaison dans toute l'histoire du football français. D'ailleurs, "Justo" est le seul à devancer Nicolas en terme de ratio matchs joués/buts marqués avec l'Equipe de France. Il faut dire qu'entre ses débuts en Bleus et le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale, Jean Nicolas va exploser tous les compteurs. En plus de ses buts en sélection, il fait sensation pour sa première saison en professionnel avec le FC Rouen en inscrivant 54 buts en 26 matchs de Deuxième Division, un record qui ne sera probablement jamais battu. Logiquement sollicité par des écuries supérieures étant donné que son club échoue tout de même à monter en D1, Nicolas demeure fidèle aux Normands et inscrit 30 buts en 29 rencontres de championnat en 1934-1935 puis 45 en 1935-1936 ! Cette fois, ce total ahurissant permet enfin au club du président Robert Diochon de remporter la D2 et d'accéder à la Première Division. L'acclimatation de Nicolas sera expresse : 26 matchs, 27 buts pour sa première saison puis 26 buts en autant de rencontres pour la seconde ce qui lui permet d'empocher son premier (et dernier) titre de meilleur buteur de la division. Malheureusement, les performances sensationnelles de Nicolas ne sont pas récompensées par une consécration collective. Avec Rouen, si le club atteint une belle 4ème place en 1937 et 1938, il n'est jamais en mesure de remporter un titre. Le constat est le même sous le maillot Bleu : lors du Mondial 1934, les Français tombent dès les 1/8ème de finale (2-3 a.p.) face au Wunderteam autrichien malgré un but de Nicolas et, en 1938, c'est l'Italie qui met fin aux rêves d'une Equipe de France, pourtant à domicile, dès les 1/4 de finale (1-3). Cependant, en 1938, Jean Nicolas n'a que 25 ans et peut légitimement espérer disputer au moins une nouvelle Coupe du Monde. Il n'en sera rien.
Le début de la fin
L'éclatement de la Seconde Guerre Mondiale marquera, hélas, le début de la fin pour Jean Nicolas. Mobilisé, le buteur rouennais est éloigné des terrains pendant la saison 1939 - 1940 qui se dispute de toute manière dans de drôles de conditions (un championnat dans le Nord, un dans le Sud avec des équipes essentiellement composées de jeunes joueurs). Seul lot de consolation, lors d'une permission, il est retenu avec l'Equipe de France B pour affronter une sélection militaire britannique au début de l'année 1940. Ce sera son dernier match officiel avant trois ans. Fait prisonnier durant la Bataille de France, il n'est libéré qu'à l'été 1941. Dès lors, Nicolas trouve un poste d'inspecteur du service du contrôle du ravitaillement général en Gironde ce qui l'éloigne du football. En effet, Vichy étant désormais au pouvoir, la situation de footballeur professionnel en France n'est plus réellement enviable. Viscéralement opposé au professionnalisme, le régime du Maréchal Pétain s'attaque de plus en plus à celui-ci et menace de l'interdire purement et simplement. Dans ces conditions, Nicolas se voit mal quitter son travail à Bordeaux pour reprendre son activité de footballeur. Par la suite, muté à la Roche sur Yon, il est tour à tour annoncé aux Girondins de Bordeaux, au Red Star puis au FC Nantes nouvellement créé. A l'arrivée, aucune de ces pistes n'aboutira et Nicolas restera éloigné du football jusqu'en 1943 - 1944, moment choisi par Vichy pour s'attaquer frontalement au football professionnel.
L'autoroute de l'oubli
Cette saison là, les clubs sont en effet destitués de leurs joueurs professionnels au profit d'équipes fédérales nouvellement créées. A cette occasion, l'ancien buteur des Bleus est sommé d'intégrer la nouvelle équipe de Paris-Capitale, lui qui est pourtant domicilié à Saumur, en Maine-et-Loire. En méforme et dans l'incapacité de s'entraîner à cause de la distance qui le sépare de sa nouvelle équipe, Nicolas peine à retrouver son niveau. Malheureusement pour lui, la réforme de Vichy n'est pas faite pour laisser du temps aux joueurs en difficulté. Ainsi, Nicolas est remplacé par un autre joueur et est laissé un temps en "réserve fédérale", contingent de joueurs pouvant être appelé à tout moment pour pallier une absence dans une équipe fédérale. Condamné à jouer les bouche-trous, il se retrouve affecté à deux autres équipes fédérales sans jamais avoir le temps de convaincre. A seulement 30 ans, on lui annonce qu'il est fini. La descente aux enfers n’en finira plus pour l’ancienne vedette des Bleus. Définitivement éloigné des terrains, il est même arrêté en 1946 pour une série d’escroqueries. Après une brève carrière d’entraîneur sans grands succès au niveau amateur, Nicolas tombe définitivement dans l’oubli et meurt dans une triste indifférence en 1978.
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