Lors de la Coupe du Monde 1934 en Italie, la Fédération Française de Football décide de s’attacher les services de l'anglais George Kimpton en tant que nouvel entraîneur de l'Equipe de France. Portrait d'un British pas comme les autres.
Un entraîneur ? Et pourquoi faire ?
Dans la France du football des années 30, l'utilité de l'entraîneur commence doucement à être reconnue. En effet, pendant de longues années, beaucoup de supporters, joueurs ou dirigeants ont jugé que le football n'était qu'un jeu d'instinct, nécessitant uniquement du talent, une bonne forme physique et de la cohésion entre les joueurs. La tactique, les schémas de jeu... des foutaises ! Comme l'explique Laurent Grün dans sa thèse consacrée à l'histoire des entraîneurs dans notre pays, l'entraînement ne va se démocratiser qu'à la fin des années 20 pour s'imposer définitivement avec l'instauration du professionnalisme en 1932. Oui mais, quel entraînement ? La plupart du temps, il ne s'agit que de footings ou d'exercices de musculation organisés sous les ordres du capitaine, celui-ci faisant souvent office d'entraîneur-joueur. Pour les compositions d'équipe le dimanche, la décision revient au président du club. Confiants en leurs capacités pour gérer leur équipe, les dirigeants hésitent bien souvent à faire appel à un véritable technicien, jugeant qu'il s'agit d'une dépense peu utile. Si certains embauchent un préparateur physique pour faire office d'entraîneur, ils sont peu nombreux à faire appel à un technicien reconnu. Toutefois, quelques dirigeants visionnaires ont bien compris l'importance de l'entraîneur pour le développement de leur équipe. Aucune formation n'existant en France, ils vont donc débaucher des techniciens à l'étranger, souvent en Angleterre. C'est par exemple le cas du doyen des clubs français, Le Havre Athletic Club qui, en 1924, s'attache les services de George Kimpton, un joueur professionnel anglais de 37 ans qui entame sa reconversion. Entraîneur-joueur, Kimpton est rapidement reconnu pour son "approche scientifique" du football qu'il transmet du mieux possible à ses joueurs, malgré un français hésitant. Après trois saisons de bonne facture, il quitte néanmoins la Normandie pour retourner en Angleterre, entraîner Coventry City, un de ses anciens clubs.
Les cours magistraux de Mister Kimpton
Eloigné de la France pendant cinq ans, George Kimpton conserve des contacts avec l'Hexagone, si bien qu'en 1932, il est contacté par la Ligue de football de Paris pour donner des conférences sur le football. Ces cours obtiennent un franc succès et font de Kimpton l'homme du moment dans le milieu du football parisien. Dans les grands clubs, dans les clubs de banlieue mais aussi dans les lycées ou les collèges, tout le monde s'arrache les savoirs de l'ancien entraîneur du Havre. Tous les dimanches, "Mister Kimpton" sillonne donc la région pour expliquer l'importance de la tactique, du placement mais aussi du mouvement perpétuel des joueurs de football. Autrefois largement ignorée par le monde du football français, la parole de Kimpton est cette fois écoutée attentivement, signe d'une évolution dans la façon de penser des acteurs du football de notre pays : pour la première fois l'utilité de l'entraîneur et de l'entraînement sont unanimement reconnus.
Un British chez les Bleus
Deux ans après cet été de conférences à l'issue desquelles il était retourné en Angleterre, George Kimpton cède à nouveaux aux sirènes du football français. Sa nouvelle mission ? Devenir entraîneur de l'Equipe de France. Entraîneur ? Sélectionneur plutôt ? Et bien non, car à l'époque le sélectionneur se nomme Gaston Barreau (accompagné dans sa tâche par Jean Rigal et Maurice Delhange). Figure respectée, Barreau a donc en charge de sélectionner les joueurs. mais pas de les entraîner pour la simple et bonne raison que les Bleus ne se sont jamais entraînés à proprement parler ! Lors des rencontres internationales, les joueurs arrivaient ainsi la veille ou le matin du match (ou quelques jours avant en cas de déplacement, le temps de faire le voyage), disputaient la rencontre et rentraient chez eux. Au mieux, ils pratiquaient un peu de culture physique et quelques frappes la veille de la rencontre mais cela n'allait jamais plus loin. Toutefois, à quelques semaines de la Coupe du Monde 1934 en Italie, la Fédération Française de Football, inquiète des résultats peu glorieux obtenus par les Bleus, décide de modifier sa façon de fonctionner. Fini l'amateurisme, cette fois, les joueurs français auront une véritable préparation ! Ainsi, quinze jours avant le début du Mondial, les joueurs sélectionnés par Barreau sont réunis à proximité de la forêt de Compiègne dans l'Aisne pour deux semaines d'entraînement sous les ordres de Kimpton. S'il n'a pas choisi les joueurs sélectionnés, l'anglais parvient à composer du mieux qu'il peut et obtient l'adhésion de ses "boys". Avec ses connaissances qui dépassent très largement celles des joueurs français et son humour typiquement britannique, Mister George séduit. Tactiquement parlant, il instaure le WM, schéma à la mode en Angleterre depuis son instauration à Arsenal par Herbert Chapman.
La Coupe du Monde 1934
Après quinze jours de préparation, les Bleus entrent en lice pour les 1/8ème de finale de la Coupe du Monde, aucune phase de groupe n'ayant lieu à cette époque. Face à eux, un véritable monstre : le mythique Wunderteam autrichien, donné largement favori, non seulement de la rencontre mais aussi de la compétition. Pas impressionnés par le pedigree de leurs adversaires, les Français vont effectuer une rencontre magnifique. Appliquant à la lettre les consignes de leur anglais d'entraîneur, ils bousculent les hommes d'un Hugo Meisl hors de lui sur son banc de touche. L'exemple le plus frappant est sans doute la magnifique performance du défenseur roubaisien Georges Verriest. Assigné au marquage strict de l'artiste Matthias Sindelar, (Kimpton lui dit avant la rencontre "Geooorge, si Sindy go aux toilettes, you go aux toilettes avec Sindy") Verriest parvient à museler le génial attaquant pendant une large partie de la rencontre. Dominateurs, les français ouvrent logiquement le score par leur buteur Jean Nicolas à la 20ème minute et restent un cran au dessus de leurs adversaires jusqu'à la blessure de celui ci dix minutes plus tard. Sonné par la chaleur et à la suite d'un coup à la tête avec le demi-centre adverse, l'attaquant du FC Rouen erre comme une âme en peine sur la pelouse jusqu'à la fin du match, les remplaçants n'étant pas autorisés à cette époque. Rejoints au score par un but de Sindelar juste avant la mi-temps, les hommes de Kimpton effectuent une seconde période héroïque et arrachent les prolongations. Ce ne sera pas suffisant. Encaissant un but entaché d'un hors-jeu dès le début de la demi-heure supplémentaire, les Bleus s'effondrent physiquement et concèdent un troisième but par Josef Bican avant de sauver l'honneur sur un pénalty de Verriest quelques minutes avant la fin de la rencontre. Le lendemain, la performance française sera unanimement saluée par les observateurs, tous voyant en Kimpton l'artisan principal de cette résistance inespérée.
Une disgrâce... de courte durée !
Après une nouvelle année outre-Manche, Mister George revient au chevet des Bleus en 1935. Cependant, son emploi du temps est désormais bien chargé puisqu'il a également accepté de prendre la tête du Racing Club de France, un grand club parisien évoluant en Première Division. Chez les "Pingouins", Kimpton impose vite sa patte. Passé maître dans l'application du WM, il en inculque les préceptes à la perfection si bien que les Racingmen progressent à vitesse grand V. En revanche, chez les Bleus, c'est la déchéance. Après une victoire encourageante face à la Hongrie en mai 1935, les français connaissent un début d'année 1936 catastrophique avec deux cinglantes défaites face à la Hollande (6-1 à Amsterdam) et la Tchécoslovaquie (3-0 à Paris). Très vite, le coupable est désigné : George Kimpton. Accusé d'avoir imposé un WM qui ne conviendrait pas à la mentalité française, l'homme, portée aux nues en 1934, est descendu plus bas que terre. Egalement victime d'une anglophobie assez marquée à l'époque dans la société française, Kimpton est seulement défendu par les journalistes véritablement spécialisés dans le football. Après la défaite contre la Tchécoslovaquie, les membres du comité de sélection, dirigé par Barreau, décident d'interdire à Kimpton d'employer sa propre méthode de jeu, réduisant son rôle à la simple organisation de séances d'entraînement lors des rassemblements. Lâché par le comité de sélection mais aussi par certains joueurs qui, par méconnaissance du football de haut-niveau, critiquent le WM, Kimpton se défend dans une grande lettre ouverte publiée dans L'Auto. Touché par les critiques, il écrit :
"J'ai presque 50 ans et j'ai fait mes classes dans une bonne école. Or, des garçons de 21 ans, dont plusieurs ne jouent que depuis un ou deux ans comme pros, sont autorisés à exprimer leur opinion et à induire en erreur des millions de bons sportsmen de France. Et l'on s'étonne que le football soit à un niveau aussi bas dans votre beau pays. (...) ce qui manque à la France actuellement c’est de l’organisation, de la tactique, de la concentration, de la volonté et un peu plus de collaboration entre les joueurs pendant les matchs : chacun doit jouer pour l’autre et non pour lui-même."
Si elles lui permettent de mettre les choses au point une bonne fois pour toutes, ces critiques adressées aussi bien aux joueurs de l'équipe de France qu'au comité de sélection et à la presse condamnent l'avenir en Bleu de Kimpton. En juin 1936, sous l'influence de Gaston Barreau, la F.F.F. décide de ne pas renouveler le contrat du britannique. Pas sûr que Mister Georges ne s'en soit ému plus que ça : un mois plus tôt, il avait réalisé avec le Racing le premier doublé Coupe de France - Championnat de France de l'histoire du football français...
Comments